Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. L’information, un peu trop énigmatique, répandue par le journal New Yorkais « The Wall Street Journal », il y a quelques jours, dont le contenu mettait à l’avant la menace d’atteinte probable à la vie du Président de la transition au Tchad, le Général d’armée Mahamat Idriss Deby Itno, visait « directement » le groupe paramilitaire privé russe « Wagner ».
Cette information, que les États-Unis ont partagée avec les autorités tchadiennes, mentionnait clairement que le « patron » du group Wagner « Evgueni Viktorovitch Prigojine » serait en train d’œuvrer avec les rebelles tchadiens pour déstabiliser le gouvernement, et potentiellement « tuer le président tchadien », considéré comme un allié clé de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme, selon des fonctionnaires américains, africains et européens.
Ces responsables auraient déclaré que les menaces actuelles contre le président de transition du Tchad, provenaient d’alliances existantes entre les rebelles tchadiens et Wagner, qui sont remarquablement présents en Libye et en République centrafricaine, et qui ont évoqué une alliance entre les deux parties pour se débarrasser de Deby Jr.
Ils auraient même confié audit journal, le 23 février 2023, que les informations obtenues provenaient des services de renseignement américains, et que le gouvernement tchadien actuel traitait la question « très au sérieux », à un moment où les Etats-Unis et des pays occidentaux s’intensifient pour expulser « Wagner » du Continent africain, après que le groupe militaire russe ait établi une « présence plus ou moins solide » et une influence dans plusieurs pays d’Afrique, notamment au cours de la période récente.
Evgueni Prigojine derrière Vladimir Poutine
Néanmoins, les autorités tchadiennes, aussi bien à N’Djamena qu’à l’ambassade du Tchad à Washington, n’ont pas réagi pour l’heure, tandis que le patron du groupe Wagner, Evgueni Viktorovitch Prigojine, aurait catégoriquement réfuté les propos publiés The Wall Street Journal comme, les qualifiant de « sans fondement ».
L’édition du Wall Street Journal
D’après le Wall Street Journal, Washington disposerait de preuves « crédibles » que Wagner collabore bien avec le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), un groupe rebelle tchadien basé en Libye voisine. C’est ce groupe qui avait revendiqué avoir tué le maréchal du Tchad, Idriss Deby Itno. Ce dernier avait dirigé le pays de 1990 jusqu’à sa mort sur le champ de bataille en avril 2021.
Il importe de rappeler, dans ce contexte, que la vaste nation désertique (le Tchad) riche en pétrole se trouve au centre de la région du Sahel africain, où la Russie, avec l’aide de Prigojine, remet ouvertement en cause des alliances économiques, militaires et politiques vieilles de plusieurs décennies avec l’Occident. Ancienne colonie française, le Tchad partage de longues frontières poreuses avec la Libye au nord, la République centrafricaine au sud et le Soudan à l’est, trois pays où Wagner est déjà présent.
Il semble que Prigojine aurait même offert à un groupe armé tchadien un soutien financier et opérationnel pour mettre en œuvre le plan d’élimination de Deby Jr.
Des antécédents de déstabilisation
A noter par ailleurs, que le jeudi 5 janvier dernier, le gouvernement tchadien avait officiellement annoncé avoir déjoué une « tentative de déstabilisation » de la part de certains officiers tchadiens, dans le but de saper « l’ordre constitutionnel et les institutions de la République ».
Le communiqué publié ce jour-là par le Ministre de la Communication et porte parole du Gouvernement du Tchad, Aziz Mahamat Saleh, indiquait que « ce plan a été élaboré par un petit groupe de complices composé de 11 officiers de l’armée, dirigé par le soi-disant Baradine Berdei Targuio, président de l’Organisation Tchadienne des Droits Humains (OTDH), et que les forces de sécurité ont commencé à les arrêter à partir du 8 décembre 2022 », et que « le gouvernement a l’intention de découvrir les circonstances de cette affaire et d’identifier les responsables ».
Rôle des Etats-Unis dans cette situation « ambiguë » au Tchad
Les informations publiées par The Wall Street Journal sont-elles réellement « crédibles », ou bien sont-elles de simples informations provocatrices pour semer l’embrouille dans ce pays sahélien dans le seul but de se débarrasser du groupe russe Wagner ?
Sous cet aspect, la plupart des observateurs occidentaux estiment que la Russie a déjà réussi à manœuvrer les États-Unis et leurs alliés sur le continent africain, dés le début de cette année. Au lieu d’être traités comme un État voyou mondial, comme l’indique la version de Washington, les dirigeants de certains pays africains, notamment d’Afrique du Sud, de l’Érythrée, de l’Angola et d’Eswatini ont traité le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, comme un ami intime pendant sa dernière tournée africaine.
Entre-autres, la dynamique du mouvement russe sur le continent, selon des récits occidentaux qui sont en fait « courants » ces derniers temps, est basée sur l’envoi d’armes pour soutenir des régimes autoritaires et l’envoi de mercenaires pour affronter des groupes armés, et que « Poutine se fiche complètement de la démocratie, de la corruption ou des droits de l’homme ».
Jusqu’à présent, toujours dans le même aspect, l’administration de Joe Biden n’a pas encore montré une feuille de route claire par rapport à l’utilisation de la force militaire au Sahel. Elle semble être plus concentrée sur une autre brûlante question de la politique étrangère, notamment la crise russo-ukrainienne. Toujours est-il que les forces armées américaines sont en nombre considérable et bien armées au Sahel et les Etats-Unis gagneraient à être plus transparents sur l’utilisation de cette force.
Réinventer les approches après Barkhane exige de communiquer avec une société civile africaine qui soit plus exigeante envers les dirigeants et les puissances étrangères, et plus regardante vis-à-vis de la nature de ces relations. Washington a beaucoup rayonné de par son armée dans sa politique étrangère, s’attirant à la fois des éloges et des ennemis, mais au Sahel, l’heure est venue de penser à miser sur des mécanismes afin de ramener des enfants à l’école, restaurer les hôpitaux, améliorer l’accès aux ressources de base comme l’eau et l’électricité.
Il va sans rappeler que la France n’était pas seule au Sahel. Washington a été aux côtés de Paris, depuis 2013, assurant le transport aérien des troupes françaises, tout en les ravitaillant et en offrant un dispositif incontournable pour le renseignement grâce aux drones.
La rencontre du 6 février à Paris de Macron et Deby Jr était-elle liée à ce qui se passait au Tchad ?
D’ailleurs, beaucoup se posent les questions suivantes :
• Les deux Chefs d’Etat français et tchadien ont-ils abordé la question de la tentative dé déstabilisation déjouée par le Gouvernement tchadien, le mois dernier ?
• Quels étaient les enjeux de la rencontre discrète tenue entre Macron et Deby Jr ?
A noter que Mahamat Idriss Déby Itno, président de transition de la République du Tchad avait été reçu le lundi 6 février 2023 à Élysée par le président Emmanuel Macron, dans le cadre d’un déjeuner de travail.
• De quoi avaient parlé donc les deux Chefs d’Etat ?
Analyse dans cette vidéo
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