Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. Le Tchad a franchi une première étape vers la révision de sa constitution après le vote du Parlement, le lundi 15 septembre dernier, sur un projet de loi constitutionnelle prévoyant des amendements politiques et institutionnels, notamment l’allongement du mandat présidentiel de cinq à sept ans, la création du poste de vice-Premier ministre et l’unification de la durée des mandats des organes élus.
Pour rappel, cet amendement fût soutenu par le comité qui a supervisé le précédent dialogue national.
Une réunion aurait eu lieu le 17 septembre pour la rédaction du règlement intérieur d’une conférence, ouvrant ainsi la voie à la phase cruciale des débats.
Les observateurs estiment que les prochaines semaines mettront à l’épreuve la capacité des institutions tchadiennes à faire passer des réformes que le gouvernement qualifie de « techniques », alors qu’elles pourraient profondément remodeler la gouvernance du pays.
Effectivement, on croit savoir déjà qu’à la date du 17 décembre 2023, le Parlement tchadien avait approuvé à l’unanimité le projet d’amendement constitutionnel ouvrant ainsi la voie à la prolongation du mandat présidentiel du général Mahamat Idriss Deby Itno, ainsi que du mandat présidentiel lui-même.
• Réformes controversées
Le gouvernement a justifié les amendements proposés, toujours en discussion, par leur objectif de « renforcer la stabilité institutionnelle ». Cependant, leurs détracteurs estiment qu’ils pourraient ouvrir la voie à une plus grande concentration du pouvoir entre les mains du président.
Ces réformes prévoient également l’unification de la durée des mandats des députés, des sénateurs et des conseillers locaux à six ans, une mesure qui, selon les autorités, renforcera également la cohésion institutionnelle.
Malgré le vote initial, les amendements n’entreront en vigueur qu’après leur approbation définitive par le Sénat, suivie d’une session conjointe des deux chambres du Parlement, le 13 octobre prochain, sachant que l’approbation requiert une majorité des trois cinquièmes.
Certes, le Parlement tchadien a voté massivement en faveur d’un amendement constitutionnel prolongeant le mandat présidentiel de cinq à sept ans, tout en supprimant toute limite de renouvellement, néanmoins cette initiative a suscité une vive controverse dans les milieux politiques et de défense des droits humains.
L’amendement, qui fût proposé par le Mouvement du salut national (MNS), parti au pouvoir, a été soutenu par 171 députés sur 188, une seule voix contre a été enregistrée.
Dans ce contexte, le président de l’Assemblée nationale, Ali Kolotou Tchaïmi, a expliqué que le vote actuel « constitue une prise en considération, et non une modification immédiate de la loi fondamentale ».
• Une idée sur les principaux changements
— Mandat présidentiel: 7 ans, renouvelable indéfiniment, au lieu de 5 ans, renouvelable une fois.
En vertu de ce nouvel amendement, le mandat présidentiel sera renouvelable sans restriction. Il s’agit d’un changement radical du système constitutionnel, adopté il y a seulement vingt mois.
Ainsi le président peut exercer un nombre illimité de mandats, contre deux seulement dans la constitution précédente.
— Nouveau poste: Premier vice-Premier ministre.
— Prolongation du mandat des députés: de 5 à 6 ans.
— A propos de la « Levée de l’immunité »: Le président bénéficie d’une « immunité juridique » contre toute poursuite pour les actes commis pendant son mandat.
Par contre, on constate la levée de l’immunité des membres du gouvernement pour les crimes et délits économiques et financiers commis pendant leur mandat, les soumettant directement à la justice ordinaire.
Il a été également décidé la modification des conditions d’éligibilité et, de facto, l’âge minimum pour se porter candidat à la présidence a été abaissé de 55 à 40 ans, ce qui s’applique à l’actuel président Mahamat Idriss Deby Iteno (41 ans à l’époque).
• Financement des campagnes électorales et responsabilité ministérielle
L’amendement s’étend à la vie politique en introduisant un système de financement public des campagnes électorales. Il vise à limiter l’influence des fonds privés et à garantir une concurrence plus équitable, dans un contexte de questions relatives aux mécanismes de distribution et à la transparence.
Ce projet prévoit également que les membres du gouvernement soient traduits en justice pour les affaires de criminalité et de corruption financière, en réponse aux demandes croissantes de responsabilisation des élites politiques.
Le projet de loi prévoit notamment de changer le nom du « Médiateur de la République » en « Médiation de la République », ce qui, selon le gouvernement, constitue une modernisation de la terminologie institutionnelle.
A noter que « Le Médiateur de la République » est une institution officielle dont l’objectif est de promouvoir le dialogue entre les citoyens et l’État et de garantir le traitement des plaintes et des préoccupations liées à la mauvaise gestion ou aux violations des droits.
L’amendement instaure également des vacances d’été pour le président et le Premier ministre, à l’instar de ce qui se pratique dans d’autres pays.
• Réaction de l’opposition tchadienne, du Sénat, et de la Communauté internationale
Les membres de l’opposition ont boycotté la séance, et d’autres ont quitté la séance après qu’un membre du Mouvement du salut national (MNS) a proposé d’étendre le mandat à une « présidence à vie », invoquant la « légitimité divine » du gouvernement et le coût élevé des élections.
L’opposition a rejeté donc ces amendements, en les considérant comme un « coup d’État constitutionnel » et une « trahison » des promesses d’une transition démocratique.
Elle craint son affaiblissement, en soulignant qu’accorder au président une prolongation du mandat sans élections véritablement compétitives renforce sa position et affaiblit l’opposition, qui peine à s’organiser et à contester un régime fort.
Quant au Sénat, a formé une commission spéciale pour examiner le projet de loi. Les représentants des deux chambres se réuniront lors d’une conférence conjointe à partir du mois prochain (17 septembre) avant l’approbation finale le 13 octobre.
Pour la Communauté internationale, de nombreux partenaires internationaux et organisations de défense des droits humains ont accueilli cette décision avec inquiétude, la considérant comme un recul par rapport aux principes de la démocratie et de la passation pacifique du pouvoir.
L’opposition et la communauté internationale perçoivent cette initiative comme une consolidation du régime militaire et d’un gouvernement familial, ignorant les promesses d’une transition démocratique.
• Quelles sont les intentions, les véritables raisons, ou encore les intentions cachées derrière l’approbation par le Parlement tchadien d’un amendement constitutionnel visant à prolonger le mandat présidentiel?
Cette pertinente question porte sur un aspect important de la vie politique au Tchad. Il importe donc de comprendre que l’interprétation des événements politiques, notamment ceux liés aux amendements constitutionnels, repose souvent sur des perspectives multiples.
Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude l’existence d’« intentions cachées », car les intentions sont intrinsèques aux acteurs politiques. Nous tenterons de présenter plutôt les analyses et les raisons avancées par les partisans et les opposants, sur la base d’articles de presse et d’analyses politiques populaires.
En réponse à cette question qui se pose autour des raisons officielles et invoquées (points de vue du gouvernement et des partisans), nous portons ci-après quelques éclaircissements.
a) Assurer la stabilité et la continuité:
Les partisans soutiennent que le Tchad, après une transition mouvementée suite au décès du président Idriss Deby Itno, aurait besoin d’une période de stabilité pour mener à bien les réformes et les projets de développement majeurs.
b) Achèvement de la période de transition:
L’amendement est présenté comme faisant partie de la transition politique promise par le gouvernement militaire de transition, visant à établir un nouveau régime (la Quatrième République) plus démocratique et mieux adapté aux défis du pays.
c) Légitimité populaire:
Les partisans soulignent que la nouvelle constitution sera soumise à un référendum populaire, ce qui lui confère une légitimité démocratique. Si le peuple l’approuve en définitive, sa prorogation relèvera de la volonté populaire plutôt que d’une décision individuelle.
d) Remédier aux lacunes de l’ancienne constitution:
La révision est présentée comme une réforme globale du système de gouvernance, et non comme une simple prorogation présidentielle. Elle pourrait inclure entre-autres de nouvelles dispositions relatives aux droits de l’homme, à la structure du pouvoir ou à la décentralisation.
• Contextes politiques, sécuritaires, et économiques
Selon les observateurs, trois contextes apparaissent ici:
1-Succession politique
Mahamat Idriss Deby Itno a pris le pouvoir après la mort de son père, l’ancien président Idriss Deby Itno, qui avait régné pendant plus de 30 ans, et cela donne l’impression, au sein de l’opposition, qu’il s’agit d’une tentative d’instaurer une « dynastie » ou de maintenir l’ancien régime sous une nouvelle direction.
2-Situation sécuritaire fragile
Il ne faut pas oublier que le Tchad est confronté à d’importants défis sécuritaires, notamment des menaces fomentées par des groupes armés dans la région du lac Tchad et des troubles régionaux. Le gouvernement utilise ce prétexte pour justifier la nécessité d’un leadership fort et durable.
3-Pressions économiques et sociales
Le pays souffre aussi d’une pauvreté extrême et de l’existence de services médiocres. La prolongation permet au gouvernement d’éviter une responsabilité électorale immédiate sur ces questions.
Par ailleurs, du point de vue risques à court terme, les partisans du président pensent que les élections comportent un risque d’incertitude. La prolongation par amendement constitutionnel reste le moyen le plus sûr d’éviter ce risque et une contestation électorale directe à l’heure actuelle.
Ces partisans contrôlent le Parlement et les institutions clés, et cela leur permet d’adopter des amendements sans entrave significative, créant ainsi un semblant de légitimité juridique pour une décision politique.
Ils rappellent qu’après sa prise de pouvoir, la junte militaire s’était engagée à organiser des élections dans les 18 mois et à transférer le pouvoir à un gouvernement civil élu, et soulignent de facto que la prolongation et l’amendement constitutionnel sont perçus comme une rupture de ces promesses et une prolongation involontaire de la période de transition au profit du pouvoir installé.
Nous pouvons conclure par le fait que, si le processus de révision constitutionnelle est officiellement justifié par l’instauration de la stabilité, l’achèvement de la transition et la réforme du système politique, l’interprétation dominante parmi l’opposition et les observateurs est que la raison sous-jacente est de permettre au président actuel de rester au pouvoir plus longtemps, d’éviter des élections compétitives à court terme et de consolider l’autorité du régime au pouvoir sous couvert de légitimité constitutionnelle et populaire.
En réalité, il s’agit probablement d’une combinaison de ces facteurs, le gouvernement utilisant des arguments de sécurité et de stabilité pour atteindre son objectif politique de maintien au pouvoir, et nombreux sont ceux qui considèrent ces amendements comme un recul par rapport à ces promesses et la consolidation d’un régime militaire sous couvert de civils.
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