Le Tchad aujourd’hui : Une « cocotte-minute » qui menace d’exploser à tout instant

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Le Tchad aujourd’hui : Une « cocotte-minute » qui menace d’exploser à tout instant
Le Tchad aujourd’hui : Une « cocotte-minute » qui menace d’exploser à tout instant

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Tchad. Le bilan meurtrier des manifestations organisées contre le pouvoir à N’Djamena, le jeudi 20 octobre 2022, se serait soldé sur un tragique bilan de près de 50 morts et plus de 300 blessés, selon le premier ministère tchadien, dont le communiqué rendu public a affirmé que ces affrontements ont opposé des policiers à des manifestants qui protestaient contre la prise du pouvoir par l’armée.

Couvre-feu décrété

A la suite de ces affrontements sanglants, le Gouvernement tchadien a annoncé un couvre-feu applicable jusqu’à nouvel ordre de 18h00 du soir à 06h00 du matin (17h00 à 05h00 du matin GMT).

Il semble que des centaines de citoyens ont déferlé et manifesté à travers les artères de la capitale, N’Djamena et ailleurs, jeudi dernier, pour marquer la date à laquelle les militaires avaient initialement promis de céder le pouvoir, soit une période qui a été prolongée de deux ans, surtout que les manifestants rejettent les résultats du dialogue national global.

C’est ainsi que, pour les disperser, les forces gouvernementales auraient ouvert le feu sur les protestataires, et le drame survint.

La rue en colère au Tchad contre le pouvoir militaire

Dans une déclaration accordée à l’agence de presse française AFP, le porte-parole du gouvernement, Aziz Muhammad Saleh, a accusé les manifestants d’avoir attaqué des « bâtiments publics », déclarant à ce propos que « La manifestation non autorisée s’est transformée en rébellion ».

D’ailleurs, les médias ont décrit de gros nuages de fumée noire qui ont été vus dans certaines parties de la ville et le bruit des grenades lacrymogènes qui a résonné en l’air. Selon eux des barricades ont été érigées dans plusieurs zones et des pneus ont été incendiés sur les routes principales pour perturber la circulation.

Le Premier ministre tchadien, Saleh Kebzabo, a affirmé que le couvre-feu imposé demeurera en vigueur jusqu’à ce que « l’ordre complet soit rétabli » dans les points chauds de l’agitation, ajoutant également la « suspension de toutes les activités » de certains groupes d’opposition, tout en promettant de rétablir l’ordre rapidement dans tout le pays.

Manifestants tchadiens à N’Djamena

Réaction de l’Union africaine

Le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, n’a pas hésité à « condamner fermement » la répression des manifestations au Tchad, et à appeler « les parties au respect des vies humaines et des biens » et à « privilégier les voies pacifiques pour surmonter la crise ».

Condamnation de l’UE

L’Union européenne a « fermement » condamné « la répression de manifestations au Tchad » qui a fait une cinquantaine de morts, dénonçant « l’usage excessif de la force ».

« La répression des manifestations et l’usage excessif de la force constituent de graves atteintes aux libertés d’expression et de manifestation qui fragilisent le processus de transition en cours », a souligné le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell.

La rue en colère au Tchad contre le pouvoir militaire

Réaction de la France

Quant aux autorités françaises, elles ont condamné les violences survenues au Tchad pour protester contre les résultats du dialogue national et ont insisté pour démentir les allégations de leur implication dans ce qui s’est passé.

Effectivement, la France a condamné la survenance de violences au Tchad, lors des manifestations qui ont éclaté dans la matinée du jeudi 20 octobre, en rejet des résultats du Dialogue national global et de la nouvelle phase de transition, qui a vu l’utilisation d’armes meurtrières par les forces de sécurité, et qui s’est soldée par des tueries, la mort d’un journaliste, ainsi que la blessure de centaines d’autres manifestants, soulignant que les rumeurs sur l’implication de Paris étaient erronées dans cette affaire.

Manifestants tchadiens à N’Djamena

Le ministère français des Affaires étrangères a déclaré jeudi dans un communiqué publié à l’occasion, que « la France a condamné les violences survenues dans la matinée au Tchad et l’utilisation d’armes létales contre les manifestants », niant « la présence d’un rôle dans ces événements, car il est une question strictement liée à la politique intérieure du Tchad ».

Dans une tentative de convaincre l’opinion tchadienne aussi bien que l’opinion internationale, le ministère a ajouté que « les fausses informations sur l’implication présumée de la France sont sans fondement ».

Seulement, des Tchadiens se disent ne pas être « dupes », pour eux Déby fils s’accroche au pouvoir, et la communauté internationale, plus précisément l’ancienne puissance coloniale française, ferme déjà les yeux sur un coup d’Etat qui dure depuis 18 mois.

Selon eux, la France, farouche défenseur des démocraties africaines, rejette la Transition au Mali et en Guinée et valide une dévolution monarchique du pouvoir au Tchad ! Alors, comment dans ce jeu de dupe, la France peut-elle espérer conserver sa place de modèle en Afrique où elle est de plus en plus rejetée ?

Beaucoup d’entre eux ne s’étonnent pas de voir Mahamat Idriss Déby, demeurer au pouvoir au Tchad pendant trente ans, à l’instar d’Idriss Déby Itno, soutenu par l’Etat français.

Réaction d’autres pays occidentaux

D’autres sources tchadiennes bien informées ont confié à leur tour aux médias, que Washington et certains pays occidentaux tentent de faire pression sur le Conseil militaire présidé par Mahamat Idriss Deby, et qu’ils soutiennent certains partis qui lui doivent allégeance, ce qui conduit à une multiplicité de fronts au Tchad.

Lesdites sources ont souligné que le Conseil militaire ne cherche pas à prolonger au-delà d’une période, et que ce qui a été convenu vise à créer les conditions pour la rédaction de la constitution et la tenue d’élections libres et démocratiques.

Qu’en dit l’opposition ?

Commentant la situation inquiétante au Tchad, le porte-parole de la coalition des actions citoyennes « Wakit Tama », Soumaïne Adam, a déclaré aux médias que les manifestants sont sortis dans trois villes, notant que les forces gouvernementales ont ouvert le feu sur les manifestants dans la capitale, N’Djamena, ce qui a entraîné entre-autres le meurtre du journaliste « Orédjé Narcisse», et des blessures à beaucoup d’autres citoyens.

La victime Orédjé Narcisse – aspirant journaliste, étudiant à l’ESJ Lille

Adam a décrit que : « Les habitants sont descendus dans les rues lors d’une marche pacifique, et le ministère tchadien de la Sûreté en a été informé par correspondance, mais il a refusé d’autoriser la marche ».

Au sujet des raisons qui ont poussé les protestataires à manifester, Adam a déclaré : « Aujourd’hui, la phase de transition devait se terminer et nous n’acceptons pas cette nouvelle phase de transition qui a été annoncée à l’issue du Dialogue national global, car nous rejetons le résultat de ce dialogue et ne reconnaissons pas l’autorité existante et nous ne pouvons pas accepter que le sort de 17 millions de Tchadiens soit décidé par 1400 personnes qui se sont réunies avec l’ordre de prendre des décisions bien précises et décidées à l’avance ».

« Les engagements pris par le gouvernement concernant la période de transition après le premier coup d’État, que nous avons fini par accepter pour sortir de la crise, n’ont pas été respectés », a-t-il ajouté.

Le porte-parole de Wakit Tama, Soumaïne Adam, a indiqué que son mouvement considère les événements dans le pays comme une sorte de « coup d’Etat » et qu’il s’attend à plus de violence car c’est la seule politique poursuivie par le gouvernement actuel.

Il a insisté sur le fait que : « Dans un tel climat politique, il faut au moins écouter ce que le peuple attend et ne pas recourir à la violence. Désormais, les mouvements politiques armés n’acceptent pas cette situation et menacent de reprendre la violence contre les forces gouvernementales. Mais ce sont les pauvres qui vont en souffrir le plus ».

Par ailleurs, selon l’opposition, les délégués au « Dialogue national global » tchadien ont adopté des conclusions qui soutiennent « la prolongation de la phase de transition dans le pays pour une durée maximale de deux ans, pendant laquelle le pays reste sous l’autorité du conseil militaire ».

De facto, le président du Conseil, Mahamat Idriss Deby, peut briguer la présidence du pays, après être devenu, selon ces procédures, le « Président de transition » du Tchad.

L’investiture de Deby aurait ravivé la flamme

Il importe de noter que le président tchadien Mahamat Idriss Deby a annoncé, lors de son discours d’investiture pour un deuxième mandat transitoire de deux ans, le lundi 10 octobre dernier au Palais du 15 Janvier à N’Djamena, la formation d’un gouvernement d’union nationale dans les prochains jours, pour travailler durant cette période.

Deby a déclaré, selon ce qui a été publié sur le site Internet de la présidence tchadienne que : « La deuxième phase de transition que nous avons entamée, sera entièrement consacrée à la mise en œuvre des résultats du dialogue national global et souverain, et à la mise en place d’un gouvernement d’unité nationale ».

« Le gouvernement travaillera pour rétablir l’ordre constitutionnel et le développement humain », soulignant que le gouvernement sera formé dans les prochains jours et se concentrera sur « la réponse aux préoccupations légitimes du peuple », a-t-il promis.

Deby a ajouté également que : « Les recommandations de notre réunion nationale (faisant référence au dialogue) sont le seul mémoire qui régira toutes nos actions, en particulier la mienne, et j’y concentrerai toute mon attention pendant la période de transition ».

Ainsi, le lundi 10 octobre 2022, Mahamat Idriss Deby a été investi en tant que « Président de la seconde phase de transition » dans le pays, conformément aux résultats du Dialogue national qui s’est achevé samedi 8 mois courant.

Désaccords aggravés qui mèneraient à la congestion

Pour sa part, l’universitaire tchadien Ismail Muhammad Taher a déclaré que la tenue des élections à temps dépend de l’étendue de la stabilité politique et économique du pays, en particulier à la lumière de la présence d’un certain nombre de mouvements armés et d’organisations politiques qui rejettent les résultats du dialogue.

Il a tenu à souligner le grand manque de consensus sur les résultats du dialogue jusqu’à présent, car il existe, selon lui, de nombreux mouvements armés tels que les mouvements :

• Conseil du commandement militaire pour le salut de la République (CCMSR),

• Le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT),

• Le mouvement « Les Transformateurs »,

• le Parti socialiste,

• et certaines plateformes de la société civile, comme la plateforme « Wakit Tama ».

Il estime que la situation dans le pays se dirige vers la congestion au cours de la période à venir, en raison de l’accusation de ceux qui rejettent les résultats du dialogue du Conseil militaire de monopoliser le pouvoir et de créer un État à un seul homme, et que les mouvements armés peuvent être actifs avec quelques manifestations et mobilisations rejetant ladite situation.

L’analyste tchadien n’a pas exclu l’échec du dialogue national et la rentrée du pays dans le « vortex des guerres pour le pouvoir ».

« Kebzabou » réussira-t-il à franchir la phase de transition ?

Le 12 de ce mois d’octobre, le président tchadien de transition, Mahamat Idriss Deby, a nommé Saleh Kebzabo à la tête du gouvernement de transition, deux jours après son investiture en tant que Président du Tchad, pour une période de transition de deux ans et a promis de former un gouvernement d’union nationale jusqu’à la tenue d’élections législatives et présidentielles.

Kebzabo, 75 ans, dirige le parti de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR), et fût précédemment Premier ministre sous l’ancien président Idriss Deby Itno, tué en 2021.

Il s’agit d’un opposant historique de l’ancien régime qui possède une vaste expérience politique en raison de sa grande histoire, à commencer par son travail de journaliste et sa candidature à la présidence comme concurrent au président disparu, à 4 reprises, ainsi que sa participation active lors de la dernière période aux négociations de Doha pour dans le cadre de l’accord de paix.

Les Tchadiens attendent beaucoup de lui, semble-t-il, car c’est un adversaire farouche, néanmoins, c’est un « grand ami de la France », et cela pourrait lui nuire un peu du côté « populaire ». Mais le grand militant est doté d’une grande expérience et d’une immense connaissance de la réalité de la politique tchadienne.

Pour certains analystes, Kebzabo serait l’homme de la période car il aurait déjà abandonné ses précédentes positions fanatiques, et s’est engagé dans cette nouvelle voie.

Saleh Kebzabo – Premier ministre tchadien

Suspicions de révolte en vue de renverser le pouvoir

Plusieurs questions se sont trouvées posées suite aux circonstances, dont en particulier « Quel est l’objectif de ces manifestations douloureuses ? ».

Pour le Quai d’Orsay, qui a mis en avant l’absence de rôle de la France dans les événements de N’Djamena, il existe déjà un sentiment anti-français qui s’est développé dans la région, et qui semble bien être alimenté notamment par des intérêts russes.

De son côté, le Gouvernement de transition tchadien a rendu public un communiqué dans lequel il a annoncé que : « la manifestation publique, prévue pour le 20 octobre par certaines organisations, est formellement interdite pour non-respect des dispositions légales liées aux marches pacifiques ».

Il a précisé, dans le même contexte que, selon les informations en sa possession, « cette marche vise à créer une insurrection populaire et armée avec l’appui des forces extérieures afin de déstabiliser » le pays.

Argumentant son point de vue à ce sujet, le communiqué a affirmé que « plus de 1500 jeunes ont été entraînés et formés dans le but de faire des casses ciblées contre certains édifices publics et des personnalités ».

Quant au leader de l’opposition et président du parti « Les Transformateurs », Succès Masra, il a invité sur les réseaux sociaux, le mercredi 19 octobre, les opposants à sortir massivement jeudi dans toutes les rues de la capitale et sur l’ensemble du territoire national, pour réclamer le « gouvernement du peuple ».

Masra a également annoncé qu’il avait l’intention de dévoiler, le jour de la manifestation, un « gouvernement parallèle pour conduire la transition au Tchad ».

De même, plusieurs partis politiques et coalitions de la société civile, ont appelé à leur tour à des manifestations le jeudi 20 octobre au Tchad, pour protester contre la prolongation de la période de transition à deux ans, exigeant du président de la transition Mahamat Idriss Déby de remettre le pouvoir aux civils, au terme d’une transition de 18 mois, comme il l’avait promis, et qui a pris fin le jeudi 20 octobre.

Les choses ne vont sûrement pas s’arrêter là, car on a l’impression que la « cocotte-minute » risque bientôt d’exploser et de faire beaucoup de dégâts dans ce pays du Sahel africain.

Nous y reviendrons dès que possible, selon le développement des évènements !

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