Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Tchad. La victoire du président de Transition Mahamat Idriss Deby a été pour beaucoup « sans surprise » car, selon les résultats relatifs à l’élection présidentielle du 6 mai 2024, rendus publics dans la soirée du jeudi 9 mai par l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), il a été déclaré vainqueur dès le premier tour avec 61,03%, suivi de son Premier ministre Succès Masra avec 18,53%, et de l’ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké qui a récolté quant à lui 16,91% des voix, et un taux de participation globale de 75,89%.
• Premières déclarations de Deby Jr et Succès Masra
Le chef de la junte militaire tchadienne, le général Mahamat Idriss Deby, n’a pas trop attendu pour annoncer à son camp sa victoire au premier tour de l’élection présidentielle, après avoir été déclaré vainqueur au 1er tour par la Commission électorale, devançant son Premier ministre Succès Masra.
« Je suis désormais le président élu de tous les Tchadiens », a déclaré Mahamat Déby quelques heures après l’annonce de sa victoire, comme pour tenter d’apaiser les esprits, et aussitôt, des rafales de tirs en l’air ont été entendues dans les cieux de la capitale, N’Djamena, comme pour célébrer cette victoire, mais aussi pour dissuader les manifestants, après que Masra ait annoncé lui-aussi sa victoire dans cette présidentielle, mettant en garde l’équipe de Deby « contre toute falsification des résultats ».
En effet, Masra, considéré le « leader de l’opposition », a déclaré qu’il avait remporté les élections présidentielles dès le premier tour, enchaînant sur sa page officielle Facebook: « Nous avons gagné en tant que peuple grâce à vous. Vous nous avez mis en tête au premier tour avec 90% des résultats centraux des urnes, qui confirment la victoire au premier tour ».
Il a ajouté également: « J’ai des milliers de preuves pour cela, et vous avez aussi des preuves parce que vous avez vous-même vraiment fait confiance aux urnes, parce que vous connaîtrez la vérité qui vous libérera ».
Pour faire face aux tensions qui commençaient à se faire sentir, un grand nombre de forces de sécurité ont été déployées aux principaux carrefours de la capitale, N’Djamena, avant l’annonce des résultats, et nous craignons que le Tchad se dirige vers une nouvelle crise, après que le chef du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Deby, et le chef de l’opposition et actuel Premier ministre de transition, Succès Masra, aient annoncé avoir remporté, chacun de son côté, la présidentielle.
A noter que le président de l’Autorité nationale de gestion des élections (ANGE), Ahmed Bartchiret, avait mis en garde les candidats contre toute violation des règles électorales dans leurs campagnes et a souligné que l’annonce des résultats provisoires après le vote du 6 mai relevait de la compétence exclusive de la Commission Électorale, et que toute annonce des résultats avant leur publication par la Commission Électorale est considérée comme interdite.
• Réactions de l’opposition quant au déroulement de cette échéance électorale
Les électeurs tchadiens se sont effectivement rendus aux urnes, ce lundi 6 mai, pour s’acquitter de leur devoir civique et voter lors des premières élections présidentielles dans la région africaine du Sahel depuis une vague de coups d’État, trois ans après la prise du pouvoir par l’armée dans le pays.
Ces élections ont opposé dix candidats (retenus des 20 candidatures déposées), dont le général Mahamat Deby Itno et son Premier ministre, Succès Masra, qui était auparavant un farouche opposant politique et qui avait fui le pays en 2022, avant d’y retourner et de rallier le camp Deby.
L’annonce de ces résultats confirmant la victoire du Chef de la junte militaire, Deby Jr, était initialement prévue pour le 21 mai, mais elle a été avancée au soir du 9 mai, non sans raison sûrement, du fait que le vainqueur a franchi largement le taux des 50%, comme il a été officiellement annoncé, et qu’il n’était plus question d’un probable second tour.
Toutefois, d’après plusieurs estimations médiatisées, l’opposant Succès Masra devait sortir vainqueur avec 59% des suffrages, sous réserve qu’une fraude massive ne le prive d’une telle victoire, en se basant sur les très nombreux partisans et supporters qu’il aurait rassemblé durant les meetings de sa campagne présidentielle et qui avaient donné un signal fort quant à son degré de popularité.
« Vrai ou faux », on ne le sait pas encore, mais Masra a déclaré, dans un message publié sur sa page Facebook, qu’il avait remporté la présidence dès le premier tour, et s’est donc autoproclamé vainqueur de l’élection présidentielle, en se référant aux compilations de résultats de son camp, tout en accusant le camp de Mahamat Deby de préparer une annonce victorieuse en faveur du général, dans le but de « voler sa victoire au peuple ».
C’est ainsi qu’il a lancé un appel aux Tchadiens à se mobiliser pacifiquement pour défendre leur choix: « Tchadiens, mobilisez-vous pacifiquement, dans le calme…pour prouver votre victoire »…
La réaction du camp de Deby à cette annonce anticipée reste à voir, ainsi que la réponse de la communauté internationale à ce développement potentiellement déstabilisateur.
Aujourd’hui, beaucoup craignent qu’une crise politique ne provoque un nouveau bain de sang, surtout que les propos de Succès Masra, appelant les Tchadiens à se « mobiliser pacifiquement pour la vérité des urnes », pourrait donner lieu à une période d’incertitude.
Néanmoins, durant la matinée du vendredi 10 mai, aucune mobilisation n’a été constatée ni même signalée dans la capitale, N’Djamena, toujours sous étroite surveillance des forces armées.
• Réactions internationales
Avec des yeux braqués sur le Tchad à travers ses bureaux à N’Djamena, l’Union européenne a ainsi réagi aux élections tchadiennes et aux résultats rendus publics par l’ANGE: « L’UE au Tchad déplore la non-accréditation de ces organisations de la société civile. Ce faisant, la commission électorale, dont les membres ont été nommés par M. Mahamat Deby, a empêché leur contribution à la transparence du processus électoral, pour financé à hauteur de 3,8 millions d’euros avec des fonds européens ».
Elle a déploré la mise à l’écart de 2.900 observateurs de la société civile, qui nuit selon elle à « la transparence » de l’élection présidentielle, mise en doute par l’opposition et par de nombreuses ONG internationales.
Ces dernières avaient déjà émis des doutes sur la « crédibilité » et la transparence d’une élection qu’elles jugeaient, au diapason de l’opposition, jouées d’avance en faveur du général Mahamat Idriss Deby Itno, proclamé chef de l’Etat.
Pour rappel, quatre organisations de la société civile tchadienne, dont la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH), s’étaient insurgées contre le refus de la commission électorale de délivrer des accréditations à ces 2.900 observateurs pour « l’observation du scrutin », malgré des demandes soumises « dans les délais requis ».
Le mardi, jour de l’annonce des résultats par l’ANGE, la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) a affiché quant à elle son inquiétude d’une « élection qui ne semble ni crédible, ni libre, ni démocratique, entachée par la multiplication des violations des droits humains ».
De son côté, l’Organisation non gouvernementale international « Crisis Group » a émis également des « doutes sur la crédibilité du scrutin » après l’éviction des candidats d’une opposition réprimée, parfois dans le sang.
• Pourquoi donc l’opposition a-t-elle boycotté l’élection présidentielle et bien avant le Référendum sur la constitution ?
Pour ceux qui se demandent pourquoi l’opposition a-t-elle appelé au boycott des élections présidentielles du 6 mai 2024, on peut leur dire que l’opposition a mis l’accent sur le fait que c’est la première fois dans l’histoire du Tchad que l’opposition se trouve « exclue des élections », sachant que les candidatures de 10 candidats furent rejetées pour « des raisons fictives », dont la plupart sont originaires des régions du nord.
L’opposition prétend que tout a été « manigancé » pour laisser la place libre à Mahamat Deby de remporter les voix du Nord, rappelant entre-autres que les observateurs internationaux formés avec le soutien de l’Union européenne ont été empêchés et la Commission électorale a refusé de leur accorder l’autorisation d’effectuer leur travail.
Par ailleurs, il importe de rappeler que l’opposition a précédemment boycotté le « Référendum sur la constitution » lancé les 16 et 17 décembre 2023, et dans ce contexte, on relève que « Le coordinateur du syndicat d’opposition a appelé, dans une lettre adressée au président de la Cour suprême, l’Autorité nationale à annuler les résultats du référendum, tout en appelant, à travers cette lettre, le gouvernement à organiser à nouveau le référendum « dans de meilleures conditions démocratiques ».
• Des élections sans crédibilité quant à leur forme
La coalition de l’opposition a indiqué à ce propos que les résultats de ces élections conduiraient à une crise politique majeure en raison de la corruption des institutions qui les supervisent, et leur soumission à l’autorité du président nommé à la présidence.
La coalition considère incontestablement que les élections ont été marquées par l’absence des observateurs de l’opposition, ceux des organisations internationales, ainsi que les organismes de surveillance indépendants et d’autres, ce qui rend ainsi leurs résultats « caducs »
• Une opposition sujette à de multiples « répressions »
Il importe de rappeler à ce propos, que depuis le 20 avril 2021, suite à l’assassinat de son père le président Idriss Deby Itno par des rebelles, Mahamat Deby (Kaka) s’est engagé à rendre le pouvoir aux civils en tant que président par intérim nommé par l’armée.
Sauf que la violente répression de l’opposition pacifique au Tchad a révélé l’intimidation coercitive qui se cachait derrière le refus de la junte de faciliter une véritable transition démocratique, et dans le même contexte, un Dialogue inclusif sur la souveraineté nationale (DNIS) avait réuni environ 1.400 participants de la junte militaire, des éléments de l’opposition armée et certains membres de l’opposition civile, de la société civile, des groupes traditionnels et religieux et des associations professionnelles.
Cependant, le Conseil exécutif de ce dialogue a été choisi par la junte et a poursuivi un programme sous la supervision de Deby Jr. Même si un débat ouvert entre les participants était autorisé et que divers points de vue étaient inclus, la junte militaire contrôlait les paramètres du dialogue, et donc ses travaux.
Pendant ce temps, d’importants groupes d’opposition ont boycotté le dialogue, le considérant comme illégitime et appelant à la résistance civile. D’autres se sont retirés lorsqu’il est devenu clair que la junte avait l’intention d’imposer son propre programme, y compris la nomination de hauts dirigeants de l’opposition. Ces importants groupes d’opposition et leurs dirigeants ont été harcelés par les forces de sécurité lors du Dialogue inclusif.
En septembre, les forces de sécurité ont perquisitionné le siège du principal groupe d’opposition « Les Transformateurs », et le procureur a contraint le leader du parti, Succès Masra, à être jugé.
Néanmoins, malgré la violence, l’exclusion et le boycott de nombreux groupes, le Dialogue souverain national inclusif (DNIS) a adopté la décision de prolonger la période de transition de 24 mois supplémentaires. L’annonce a « apparemment » dissous la junte, mais a conservé Mahamat Deby comme président de transition, tout en déclarant, de manière controversée, que les membres de la junte (y compris Deby) et le gouvernement de transition ne seraient pas empêchés de se présenter aux prochaines élections.
-/- Violente répression du régime de Déby
La répression et les violences contre l’opposition se sont poursuivies depuis les manifestations du 20 octobre. Plusieurs corps auraient été retrouvés dans les rivières Chari et Logone qui traversent la capitale, N’Djamena, et la deuxième plus grande ville du pays, Moundou. Le ministre de la Justice de la junte, Mohamed Ahmed al-Habbu, a reconnu que plus de 600 manifestants avaient été arrêtés et envoyés dans la tristement célèbre prison du désert de Koro Toro.
Selon les experts des affaires africaines, la violente répression des manifestations du 20 octobre s’inscrit dans la continuité d’une tradition politique oppressive de la famille Deby, dont souffre la population tchadienne depuis des décennies. Assassinats politiques, tortures, disparitions et rébellions ont ponctué 30 années d’instabilité politique sous Idriss Déby.
-/-Assassinat de l’opposant Yahya Dillo
Le 28 février 2024, le chef du Parti socialiste sans frontière (PSF), Yahya Dillo, a été assassiné à l’issue de violents affrontements entre les forces de sécurité et les membres du parti. Le même jour, le général Salah Déby, l’oncle du président de transition, et 26 fidèles du parti ont également été arrêtés.
Le 9 mars 2024, le parti a publié un communiqué dénonçant ce qu’il a appelé « l’arrestation illégale » de ses militants et a accusé la junte militaire au Tchad d’avoir assassiné « à distance » son chef, qui refusait de maintenir au pouvoir son cousin, le général Mahamat Idriss Deby Itno.
Mais la société civile, l’opposition et la diaspora tchadiennes sont inquiètes de l’avenir politique du pays.
• Quels défis internes et externes pour le Président Mahamat Deby Itno ?
La victoire du chef de la junte militaire au Tchad, Mahamat Idriss Deby, aux élections présidentielles qui se sont déroulées le 6 mai 2024 a soulevé des questions sur sa capacité à éviter les crises internes qu’a connues le pays pendant les trois années de transition, aussi bien que les crises externes.
Les analystes et experts spécialisés dans la politique africaine estiment que le président élu constitutionnellement « jouit d’un consensus interne » qui peut être utilisé pour faire face aux défis sécuritaires et économiques auxquels le pays est confronté.
Il faut reconnaître que les élections tchadiennes se sont déroulées dans un environnement régional mouvementé, entre « coups d’État » dans certains pays de la région du Sahel africain, sans compter les fortes tensions dans les pays voisins du Tchad, dont le Soudan et la Libye.
Toujours d’après les analystes, les développements régionaux affectent négativement les conditions économiques et sécuritaires au Tchad, ce qui entraîne des défis auxquels Deby devra faire face, soulignant que le président tchadien, pour eux, a su résister aux défis de la période de transition au cours des trois dernières années, tout en estimant que Mahamat Deby Itno est devenu « une figure consensuelle pour les Tchadiens », ayant également reçu la bénédiction de l’Occident, notamment la France, qui a une grande influence encore au Tchad et dans la région du Sahel.
Ces dimensions lui permettront de faire face aux défis de la réconciliation interne et aux défis sécuritaires, malgré la difficulté du dossier économique en raison des conditions régionales environnantes et de l’afflux important de réfugiés soudanais dans son pays.
Certes, le Tchad dispose de nombreuses capacités qui lui permettent de faire face aux défis économiques, et la répartition équitable des revenus pétroliers contribuera à la réalisation du développement et à la distribution des services publics à tous les citoyens, et contribuera entre-autres à alléger le fardeau des tensions sociétales.
Et il ne faut pas oublier que le Tchad est considéré comme un pays pivot dans la guerre contre les groupes armés dans la région du Sahel africain et représente une base importante pour la présence française et occidentale dans ladite région qui visent un intérêt occidental et régional dans la stabilité du Tchad.
• Une voie politique au Tchad entre le défi d’une transition apaisée et l’espoir d’une démocratie à instaurer
Il ne faut pas oublier que la République du Tchad, située au cœur de l’Afrique, a connu dans le passé de nombreuses fluctuations politiques et troubles sécuritaires, depuis plus de 63 ans, sans toutefois connaître aucun transfert de pouvoir pacifique ni véritable transition démocratique, surtout que le pays a traversé des événements politiques mouvementés au cours des six dernières décennies.
Par ailleurs, le Tchad a connu un changement de trajectoire politique le 11 avril 2021, lors des élections présidentielles, alors que le président Idriss Deby Itno, au pouvoir pendant trois décennies, était sur le point de remporter une victoire écrasante pour un sixième mandat présidentiel, obtenant 80% des voix selon les résultats annoncés par le gouvernement.
Cependant, les mois précédant les élections ont été marqués par des tensions, le régime intensifiant ses efforts pour réprimer les manifestations réclamant la rotation du pouvoir « objectif essentiel auquel appelait l’opposition ».
• Une attente sur des feux de braises
Pour beaucoup d’experts internationaux et régionaux, il semblerait qu’à travers les élections présidentielles aujourd’hui concrétisées, le président élu cherche à reproduire un modèle similaire au régime de son père à travers une légitimité électorale d’une intégrité douteuse, et qui pourrait provoquer une inflammation de la situation politique et sécuritaire, que ce soit par une escalade des protestations politiques ou des affrontements armés.
Il aurait su exploiter les intersections et les contradictions régionales et internationales pour consolider les piliers de son pouvoir et consolider sa légitimité par le biais du processus électoral remporté « hauts les mains ».
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