Africa-Press – Tchad. Le Tchad vient d’engager la première étape du processus de paix promis par le gouvernement de transition. Au cours des dix derniers jours, un comité technique spécial mené par l’ancien président Goukouni Oueddei a rencontré l’opposition ainsi que les rebelles pour initier un dialogue national inclusif.
Les réunions ont eu lieu dans plusieurs villes, dont Paris, Le Caire, et Doha. Au total, 18 groupes politico-militaires ont participé aux réunions. Timan Erdimi, qui dirige le RFC (Rassemblement des forces pour le changement) ainsi que l’UFR, une coalition de plusieurs mouvements rebelles, est condamné à mort dans son pays et vit au Qatar depuis plus de dix ans.
Il a rencontré lundi 1er novembre les membres du comité technique à Doha. Journaliste : Le moment de faire la paix au Tchad est-il arrivé ? Timan Erdimi : Comme la tradition le veut, il y a un moment pour faire la guerre et un moment pour faire la paix.
Présentement, nous sommes résolus à faire la paix et le fait que le pouvoir en place envoie une admission à Doha pour discuter avec nous les thèmes de pré-dialogue comme ils le disent, nous sommes contents.
Nous avons apprécié cette démarche et nous avons signé un procès-verbal. Mais dans ce procès-verbal, nous avons très bien indiqué nos préalables. Quelles sont alors vos conditions pour initier le dialogue ?
L’amnistie générale pour tous les condamnés collectivement et individuellement. Il y a des gens qui sont condamnés à mort, il y a des gens qui sont condamnés à perpétuité, il y a des gens qui sont condamnés à dix ans, vingt ans, ainsi de suite.
Et pour des raisons strictement politiques. Deuxièmement, il faut effectivement la libération de tous les détenus politiques et des détenus d’opinion bien sûr.
Nous avons dit principalement, le docteur Tom Erdimi [frère jumeau de Timane] qui a été arrêté par le pouvoir de Ndjamena, même si ce n’est pas monsieur Mahamat Idriss Kaka, c’était son père, mais l’administration est une continuité, et le pouvoir en place ne peut pas se dérober en disant : « non, ce n’est pas nous qui avons arrêté Tom ».
Non. Cela ne se dit pas et cela ne se fait pas comme ça. Il s’agit de votre frère jumeau, arrêté au Caire fin 2020… Il a été arrêté avec la complicité du régime tchadien et des services français.
Et vous ne savez pas s’il a été extradé vers le Tchad et s’il est en vie ? On n’a aucune nouvelle précision. Aucune. Et nous les avons aussi ajouté dans cette liste, à libérer monsieur Adouma Hassaballah qui a été le vice-président de l’UFR.
Il a été arrêté en Éthiopie et transféré à Ndjamena. Et nous savons de sources sûres et crédibles qu’il est à Ndjamena. Il est dans une cellule, isolé depuis plus de dix ans, il est à Ndjamena et il faut le libérer.
Troisième point, on a demandé la restitution de tous les biens, matériels et financiers, confisqués par l’État pour les personnes détenues pour des raisons strictement politiques. Donc, nous avons posé ces trois conditions préalables et je crois que ce ne sont pas des conditions infranchissables.
Donc, s’il y a de la bonne volonté, si le CNT [Conseil national de transition] veut marquer sa bonne volonté de faire la paix, il doit nécessairement accepter ces trois préalables. De qui la délégation que vous avez rencontrée à Doha était-elle composée ?
D’abord, c’est le président Goukouni Oueddei, puis Aboubakar Assidick Choroma qui est le chef de mission, et ensuite quelques membres influents de l’entourage de monsieur Mahamat Idriss Déby.
Quand allez-vous reprendre les discussions. Est-ce que vous attendez que ces conditions que vous avez posées soient d’abord appliquées ou comment cela va se passer pour les prochaines étapes ?
Vraiment, on n’a pas discuté pour les prochaines étapes. Mais, les conditions que j’ai posées ne sont pas des conditions impossibles. Pas du tout. Et ça, je crois qu’il est des prérogatives du président de les prendre automatiquement.
Ça ne pose pas de problème. Mais le comité dirigé par l’ex-président Goukouni [Oueddei] a envoyé des émissaires un peu partout. Je pense que logiquement, toutes ces délégations rentrent à Ndjamena.
Ils vont compiler les données et les exigences des uns et des autres. Ensuite, ils doivent revenir, mais on les attend dans les plus brefs délais. Est-ce que vous allez rentrer bientôt à Ndjamena ?
(rires) Non. Je ne rentrerai que quand il y aura des négociations. Il n’y a pas eu de négociations. Et le fait que je rentre à Ndjamena n’est pas dans le programme de la délégation qui est passée ici.
La délégation m’a transmis une invitation à assister au pré-dialogue et après le pré-dialogue, sûrement on va rentrer à Ndjamena. Je l’espère. Vos collègues de la coalition de l’UFR vous reprochent d’être le seul responsable à avoir rencontré la délégation tchadienne.
Seront-ils présents, à vos côtés, à l‘avenir ? Mais bien sûr, madame. Là, parce que, nous sommes trois ici. Trois, c’est mon petit staff qui travaille avec moi depuis une dizaine d’années, mais l’UFR en tant que tel, je crois que ce n’est pas une réunion de négociation ce que nous avons fait.
Ils m’ont transmis une invitation à assister au pré-dialogue. Donc, prochainement, si effectivement il y a des assises de pré-dialogue ici à Doha, tout le bureau sera présent.
Si ce n’est pas à 100%, nous allons désigner une délégation à assister à ces assises. Donc, l’UFR étant une coalition, tous les membres dirigeants de la coalition doivent être présents, doivent prendre part à ces assises.
Que ce soit clair et net. Quelle a été votre impression en rencontrant dette délégation. L’approche a-t-elle convaincue ? On ne peut pas lire ce qui est dans leur fond, mais apparemment, ils sont conscients du problème, parce que si on voulait vraiment bâtir le pays, il faut d’abord nécessairement la paix.
Sans la paix, il n’y aura pas de développement, et la paix ne peut se faire qu’avec les politico-militaires, les gens qui ont des armes et qui entourent tous les territoires, de l’Est à l’Ouest, du Nord au Sud.
Il faut faire la paix avec eux, pour qu’il y ait la paix et la tranquillité de cœur et d’esprit. Moi, je n’ai pas senti une mauvaise volonté ou de la mauvaise foi, mais ils ont fait ce qu’ils devaient faire.
Depuis 2008, vous avez refusé les discussions et le dialogue avec les autorités tchadiennes. Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, vous avez changé d’avis ?
(rires). Ce sont des charabias que les gens racontent dans les quartiers.
Moi, depuis 2008 jusqu’à aujourd’hui, personne ne m’a contacté pour faire la paix. Cela va vous surprendre et ça va vous étonner, mais c’est comme ça.
Ce sont les gens qui racontent dans les quartiers « que Timan est réductible, que Timan est fondamentaliste, qu’il ne veut pas négocier, qu’il ne veut pas rentrer ».
Non, personne ne m’a contacté, malheureusement personne. À l’origine, Idriss Déby a dit aux Soudanais qu’il ne discutera pas avec moi, ni avec le général Nouri.
Et une fois assis à Doha, ils ont dit que « non, on ne va pas discuter avec Timan », puisque le général Nouri n’était plus ici. Donc, c’est eux qui ont bloqué les négociations.
Ce n’est pas nous, du tout. La situation au Tchad est-elle aujourd’hui plus propice au dialogue ? Il y a un eu changement radical. Monsieur Idriss Déby père est décédé, paix à son âme.
Son fils [Mahamat Idriss Déby] a pris le pouvoir. Il faut qu’il prenne ses marques. Il y a une nouvelle ère et il faut qu’il montre à l’opinion nationale et internationale qu’il veut changer les choses.
Il y a nécessairement des choses à changer. Il est à la fleur de l’âge. S’il veut construire le pays, dans l’avenir, il faut qu’il change du tout au tout.
Il ne peut pas continuer dans la ligne de son père. Non. Cela ne peut pas marcher. Cette prise de contact avec vous survient six mois après le décès du président Idriss Déby, le 20 avril 2021.
Est-ce une coïncidence ? Non. C’est une démarche tout à fait normale et naturelle. La rencontre aurait dû avoir lieu deux mois, trois mois ou quatre mois après le décès d’Idriss.
Il faut que le nouveau responsable du pays change quand même de politique et marque son souhait de changer de direction politique. Donc, il est tout à fait normal qu’il prenne contact avec les politico-militaires pour faire taire les armes et commencer à bâtir un État démocratique, un État de développement.
Pour vous, est-il plus facile de parler avec le fils qu’avec le père ? Le père a refusé de parler avec nous. Le père n’a jamais demandé à discuter, à dialoguer avec nous.
Le Conseil national de transition (CNT) au Tchad s’est inspiré de la transition au Soudan. Les évènements à Khartoum vous inquiètent-ils pour l’avenir de votre pays ? Je ne peux pas prédire l’avenir. Mais je crois que le système soudanais ne peut pas être exposé au Tchad. Je ne pense pas.
Il y a des raisons sociales, il y a des raisons historiques, il y a des raisons sociologiques qui font que le Soudan est toujours mouvementé, depuis la chute de Jaafar Numeiri. Non, je ne pense pas que ça sera la même chose pour le Tchad.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Tchad, suivez Africa-Press