Africa-Press – Tchad. Deux études, publiées dans les PNAS, viennent de modifier la chronologie de l’évolution des sens chez les ancêtres des mammifères. L’une montre qu’un tympan fonctionnel existait déjà il y a 250 millions d’années chez Thrinaxodon, une espèce appartenant au groupe frère des mammifères. L’autre établit une équation fiable entre taille du bulbe olfactif et répertoire génétique des récepteurs odorants. Ensemble, elles éclairent d’un jour nouveau la construction progressive des sens dans la lignée qui mènera aux mammifères modernes.
Un tympan opérationnel 50 millions d’années plus tôt que prévu
Les cynodontes constituent un groupe d’animaux très anciens dont les premiers spécimens datent de la fin du Permien, il y a 260 millions d’années, bien avant le règne des premiers dinosaures. Ils évolueront au cours des périodes suivantes pour donner naissance aux mammifères placentaires, aux marsupiaux et aux monotrèmes, les mammifères qui pondent des œufs comme l’ornithorynque. Chez Thrinaxodon liorhinus, l’un des cynodontes les mieux connus, les os de l’oreille moyenne sont toujours intégrés à la mâchoire et participent à la fois à la mastication et à l’audition. Pendant des décennies, ce compromis anatomique a conduit les spécialistes à supposer que ces animaux percevaient principalement les sons par conduction osseuse, en posant la mâchoire au sol pour percevoir les vibrations.
Dans l’étude menée à l’Université de Chicago, les chercheurs ont combiné imagerie et modélisation pour reconstruire numériquement le système auditif complet de Thrinaxodon, en y intégrant un tympan de tissus mous logé dans l’angle de la mandibule. Le modèle permet ensuite de simuler la réponse mécanique de chaque composant (tympan, osselets, mâchoire) à des ondes sonores de différentes fréquences et intensités.
Le résultat indique que le tympan est suffisamment développé et souple pour transmettre les sons. Selon les données recueillies, la plage d’audition de Thrinaxodon s’étend d’environ 38 à 1243 hertz, avec une sensibilité maximale autour de 1000 hertz. À l’inverse, les voies alternatives de transmission du son, par conduction osseuse, se révèlent très peu efficaces et incapables de couvrir l’ensemble de cette gamme.
Pour Zhe-Xi Luo, co-auteur de l’étude, cette efficacité précoce de l’audition aérienne change profondément la lecture écologique de ces animaux: « l’audition permet de percevoir l’environnement dans des situations où la vision, l’odorat ou le toucher ne sont d’aucune aide. Entendre un prédateur arriver par-derrière peut faire la différence entre la vie et la mort ». Autrement dit, bien avant l’apparition des mammifères, certains de leurs ancêtres disposaient déjà d’un outil sensoriel clé pour évoluer dans des environnements complexes, probablement à faible luminosité.
L’étude suggère également une séparation fonctionnelle plus nette qu’attendu entre alimentation et audition. Même si l’oreille moyenne de Thrinaxodon reste attachée à la mâchoire et donc sensible aux mouvements de mastication, la présence d’un tympan souple ouvre la voie à une dissociation progressive entre ces deux fonctions. « À ce stade de l’évolution, un tympan à membrane souple suspendu par des osselets crée déjà la possibilité de séparer l’oreille moyenne de la mandibule, afin de mieux isoler l’audition des perturbations liées à la mastication », explique Zhe-Xi Luo.
L’odorat, un sens lisible dans les endocrânes fossiles
Si l’audition commence à livrer ses secrets, l’odorat est, lui aussi, longtemps resté un angle mort de la paléobiologie. Essentiel pour la recherche de nourriture, l’évitement des prédateurs ou les interactions sociales, ce sens repose sur des tissus mous qui ne se fossilisent pas. Comment, dès lors, évaluer les capacités olfactives d’un animal disparu depuis des millions d’années?
Tout simplement en mesurant la taille du bulbe olfactif, la partie antérieure du cerveau dédiée au traitement des odeurs, qui laisse une empreinte osseuse dans la boîte crânienne. Cette empreinte, visible sur les endocrânes fossiles, peut être mesurée avec précision grâce au scanner.
Les chercheurs du Musée national d’histoire naturelle de Stuttgart ont ainsi analysé des crânes représentant l’ensemble des ordres de mammifères actuels, de la musaraigne de quelques grammes à l’éléphant africain de plusieurs tonnes. À cette base morphologique, l’équipe a associé des données génomiques détaillées, portant sur le nombre de gènes de récepteurs olfactifs fonctionnels chez chaque espèce.
Le résultat montre une corrélation forte et robuste entre le volume relatif du bulbe olfactif et le nombre de récepteurs odorants fonctionnels. Cette relation permet de construire un modèle prédictif, capable d’estimer les capacités olfactives d’espèces éteintes. Ainsi, on découvre que les premières baleines de l’Éocène, encore partiellement terrestres, possédaient un bulbe olfactif volumineux, suggérant un odorat développé.
À l’inverse, les odontocètes actuels, comme les dauphins, ont vu cette structure se réduire considérablement au cours de leur adaptation à la vie aquatique. Les félins à dents de sabre ou le thylacine montrent eux aussi des profils olfactifs cohérents avec leurs écologies supposées. Cette méthode, maintenant validée, aboutira certainement à une meilleure compréhension des aptitudes et de l’environnement des premiers mammifères.
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