Africa-Press – Tchad. Dès le Jurassique, certaines plantes communiquaient déjà avec les insectes, mais sans odeurs ni couleurs: elles chauffaient. Une équipe internationale montre que les cycadales, les plus anciennes plantes à graines pollinisées par des animaux, émettent chaque jour un bref pic de chaleur infrarouge capable d’attirer leurs insectes pollinisateurs à distance. Ce signal, apparu bien avant les fleurs modernes, aurait façonné l’une des premières alliances entre végétaux et animaux. Les résultats sont publiés dans la revue Science.
Aux origines d’un langage thermique
Les cycadales possèdent des cônes pollinisateurs qui abritent les gamètes mâles et femelles mais ces structures sont également le siège d’une thermogenèse intense, pilotée par des mitochondries particulièrement actives et synchronisée par une horloge circadienne. Chaque après-midi, les cônes s’échauffent rapidement, parfois de plusieurs dizaines de degrés au-dessus de la température ambiante, avant de refroidir en soirée.
Cette capacité n’avait rien d’un artifice sensoriel à l’origine. Comme l’explique Wendy Valencia-Montoya, première autrice de l’étude, « la thermogenèse a probablement émergé comme un sous-produit physiologique du métabolisme avant d’être cooptée comme signal de communication ». Il y a plus de 200 millions d’années, les cycadales étaient alors beaucoup plus diversifiées qu’aujourd’hui, dans des écosystèmes où la majorité des insectes étaient nocturnes. Dans ce contexte, poursuit-elle, « les signaux métaboliques étaient sans doute plus visibles ou plus fiables pour ces pollinisateurs ».
Les analyses menées sur une large gamme d’espèces du genre Zamia montrent que ce pic thermique quotidien est conservé, énergétiquement coûteux et strictement limité aux organes reproducteurs. L’étude détaille également comment cette chaleur se propage sous forme d’infrarouges, un mode de communication efficace dans la pénombre, quand les couleurs sont moins visibles.
C’est aussi un signal que les pollinisateurs interprètent immédiatement. En suivant les déplacements de coléoptères Rhopalotria et Pharaxonotha, les chercheurs montrent qu’ils convergent systématiquement vers la zone la plus chaude du cône, puis quittent les cônes mâles lorsque la température chute pour se diriger vers les cônes femelles.
Des coléoptères équipés pour détecter la chaleur
Pourquoi ces insectes perçoivent-ils aussi bien l’infrarouge? Les auteurs révèlent que l’extrémité de leurs antennes porte des sensilles spécialisées, abritant des neurones dotés d’un canal ionique très sensible à la chaleur: TRPA1(B). Ce récepteur, dont la structure varie d’une espèce à l’autre, réagit aux températures précises émises par les cônes qu’ils pollinisent: « Nous observons une variation du récepteur TRPA1(B) non seulement entre espèces de coléoptères, mais aussi au sein d’une même espèce, même si les conséquences fonctionnelles de cette diversité restent à tester », explique la scientifique.
En théorie, précise-t-elle, « une variation de sensibilité thermique pourrait moduler la fidélité d’un pollinisateur envers un hôte donné », renforçant ainsi les couples plante-insecte au fil du temps. Les chercheurs notent que ces affinités thermiques semblent s’être stabilisées sur des millions d’années, suggérant une étroite coévolution.
Les données fossiles situent l’apparition de cette stratégie au Permien, il y a environ 275 millions d’années, bien avant que les fleurs n’envahissent les paysages, il y a environ 130 millions d’années. Avec l’arrivée des angiospermes et de nouveaux pollinisateurs diurnes dotés d’une vision plus riche, la couleur a progressivement supplanté la chaleur.
Pourtant, l’infrarouge n’a pas disparu de la boîte à outils des plantes. « De nombreux pollinisateurs, des coléoptères aux papillons de nuit en passant par certaines abeilles, interagissent avec les fleurs dans des environnements peu lumineux, au crépuscule ou à l’intérieur de chambres florales », rappelle Wendy Valencia-Montoya. Dans ces conditions, « la chaleur peut fournir une information fiable sur la maturité d’une fleur ou la disponibilité en nectar ». Mais « les signaux thermiques sont probablement menacés par le réchauffement global », conclut-elle.
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