Africa-Press – Tchad. La bactérie Escherichia coli, à l’origine d’une vague d’intoxications alimentaires et d’un décès dans l’Aisne, est plus rarement mise en cause que la salmonellose et la listériose mais elle peut provoquer des cas très graves, notamment chez l’enfant. Rappel ce que l’on doit savoir à ce sujet.
Escherichia coli: une bactérie bien connue et souvent inoffensive
Souvent désignée sous le nom abrégé E. coli, Escherichia coli est en réalité le nom d’une grande famille de bactéries. Contrairement à une idée reçue, 95 % d’entre elles ne présentent aucun danger pour l’être humain. Elles sont même essentielles au bon fonctionnement du système digestif. On les qualifie de bactéries commensales, ce qui signifie qu’elles vivent en harmonie avec leur hôte, sans lui nuire.
La découverte de cette bactérie remonte à 1885, par le pédiatre allemand Théodore Escherichia, qui lui a donné son nom. Depuis, E. coli est connue pour coloniser principalement l’intestin des animaux à sang chaud, dont l’être humain.
Quand Escherichia coli devient pathogène
Environ 5 % de ces souches sont donc pathogènes. Elles peuvent être classées en deux grandes catégories: celles qui infectent principalement l’intestin, et celles qui s’attaquent à d’autres organes.
C’est dans la vessie que l’infection est la plus courante. 12% des femmes seraient touchées chaque année par une infection urinaire, et dans 80% des cas E. Coli en serait la cause. Chez le nouveau-né, la bactérie peut être bien plus dangereuse: elle est la deuxième cause de méningite et de septicémie, en attaquant le cerveau et la circulation sanguine.
À l’hôpital, E. coli représente une cause majeure d’infections nosocomiales, notamment à la suite de la pose de dispositifs médicaux comme des sondes urinaires, des cathéters ou des sondes d’intubation. Elle est impliquée dans 26 % de ces infections, ce qui en fait un agent pathogène redouté dans les établissements de soins.
Malgré tout, son organe de prédilection reste l’intestin, où certaines souches peuvent provoquer des troubles allant de la gastro-entérite bénigne à des diarrhées sévères, notamment chez l’enfant ou le voyageur.
Aisne: l’E. coli entérohémorragique en cause
Parmi ces souches intestinales, les souches dites entérohémorragiques (ECEH) sont particulièrement préoccupantes pour les autorités sanitaires. Productrices de toxines appelées shigatoxines, elles peuvent provoquer des intoxications alimentaires graves.
Identifiées pour la première fois aux États-Unis en 1973, puis rendues tristement célèbres en 1982 lors d’une flambée liée à des steaks hachés insuffisamment cuits, ces souches peuvent entraîner des diarrhées sanglantes et des atteintes rénales sévères, connues sous le nom de syndrome hémolytique et urémique (SHU).
Au début de la contamination le malade peut être pris de vomissements. De plus apparaissent des douleurs abdominales, accompagnées ou non de fièvre légère. Ces symptômes sont sensibles entre 3 et 4 jours après la contamination, mais selon l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire alimentation, environnement, travail), cette durée d’incubation peut être bien plus courte (2 jours) ou bien plus longue (12 jours).
Un malade est contagieux pendant une semaine, mais chez les enfants ce délai peut s’allonger. Il est par ailleurs possible d’être porteur sain de ces souches bactériennes. Les symptômes disparaissent assez rapidement, entre 5 et 12 jours après l’infection, et moins de 10% des personnes infectées développent des formes graves. Le SHU conduit dans 50% des cas à une insuffisance rénale, dans 25% des cas à des complications neurologiques. En France, dans 1% des cas le malade ne survit pas à l’infection, ce patient étant souvent un enfant de moins de 15 ans.
Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution car lors de l’épidémie de ECEH en Allemagne en 2011, l’âge médian des patients qui ont développé un SHU était de 42 ans.
Dans l’Aisne, les victimes sont toutes des enfants, 19 au total dont: une fille de 12 ans décédée lundi et huit encore hospitalisés pour avoir developpés SHU.
« On estime que, pour 10% des patients, l’infection à E.coli (productrice de shigatoxines) peut évoluer en SHU, avec un taux de létalité de 3 à 5% », résume l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Quels traitements sont-ils possibles?
Bien qu’il s’agisse d’une infection bactérienne, les antibiotiques sont déconseillés, car la destruction des bactéries entraîne la libération des toxines et aggrave la maladie. Dans le cas de la forme bénigne, il est conseillé aux patients de se réhydrater. Pour les formes graves, la stratégie thérapeutique consiste à compenser les déficits occasionnés par les toxines: par exemple, le malade est dialysé pour compenser le dysfonctionnement du rein, et des transfusions de sang sont réalisées pour compenser la chute de globules rouges. Cependant de nouveaux traitements sont en cours d’évaluation. Deux anticorps de synthèse, l’éculizumab et le ravulizumab, constituent des pistes prometteuses.
Comment contracte-t-on une infection à E. coli entérohémorragique (ECEH)?
Si cette souche d’Escherichia coli est parfois surnommée la « maladie du hamburger », en référence à une première épidémie liée à la consommation de steak haché contaminé, son mode de transmission est en réalité beaucoup plus large.
Le principal mode de transmission est l’ingestion d’aliments contaminés, notamment des produits carnés et des produits laitiers, en particulier le lait cru. Mais la contamination peut aussi provenir de fruits et légumes crus, non pelés, ou encore d’eau non traitée, s’ils ont été en contact avec des matières fécales d’animaux infectés. Un exemple marquant est celui des graines germées de fenugrec, responsables d’une importante flambée en Allemagne en 2011.
La contamination peut également survenir par contact direct avec des animaux de ferme ou leur environnement, comme cela a été documenté dans plusieurs pays (Japon en 2006, États-Unis en 2007, Royaume-Uni en 2009).
La transmission entre personnes n’est pas à exclure, notamment dans les lieux d’accueil de jeunes enfants ou au sein des familles.
Dans le cas de l’intoxication récente dans l’Aisne, la cause exacte n’est pas encore confirmée, mais les autorités sanitaires évoquent « probablement une infection alimentaire liée à la viande ». Le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a indiqué que les analyses sont en cours pour établir le lien formel.
Face à cette situation, des mesures préventives ont déjà été prises: quatre boucheries et les rayons boucherie de deux supermarchés de l’agglomération de Saint-Quentin ont été fermés temporairement, et des prélèvements ont été effectués dans tous ces commerces afin d’identifier la source de la contamination.
Est-ce rare?
En France, le syndrome hémolytique et urémique (SHU) pédiatrique demeure une affection rare mais préoccupante. Selon Santé publique France, entre 111 cas (en 2015) et 252 cas (en 2022) sont enregistrés chaque année. En 2023, 143 cas ont été rapportés chez des enfants, dont deux se sont malheureusement soldés par un décès. La tranche d’âge la plus touchée se situe entre 6 mois et 2 ans. L’incidence diminue progressivement avec l’âge.
En comparaison avec d’autres infections alimentaires, comme la salmonellose ou la listériose, le SHU provoque moins de décès. La salmonellose, par exemple, est responsable de plusieurs centaines de morts chaque année en France.
Quelles préventions peut-on mettre en place contre les infections à E. coli de type ECEH?
La première des préventions consiste à appliquer strictement des mesures d’hygiène et de contrôle à tous les stades de la chaîne alimentaire, de la production à la préparation des aliments, aussi bien dans les établissements industriels qu’en milieu familial. Pour les particuliers, le site internet de l’Institut Pasteur conseille huit types de précautions, en rappelant qu’elles concernent tout particulièrement les jeunes enfants, et mettent en garde contre deux produits: les steaks hachés et les fromages au lait cru. Les autorités françaises ont par ailleurs créé un site internet Rappel Conso répertoriant les lots d’aliments contaminés.
Depuis 1996, en France, une surveillance des SHU chez les enfants de moins de 15 ans a été mise en place par Santé publique France. Dans ce cadre, lorsque des cas suspects de SHU sont observés, ils doivent être déclarés ; des prélèvements chez les patients sont ensuite analysés par le CNR (Centre national de référence) afin de déterminer s’il s’agit d’une intoxication de même origine.
Cependant, certaines ONG regrettent que des mesures plus contraignantes n’aient pas été prises pour obliger les industriels de l’agroalimentaire à davantage de rigueur, et dénoncent le manque de contrôle des chaînes de fabrication de produits alimentaires. Le cas de l’usine de fabrication des pizzas Fraîch’Up Buitoni du groupe Nestlé en est un exemple frappant. Après l’apparition de plusieurs cas de contaminations et deux morts, l’inspection sanitaire de l’usine avait montré “un manque d’entretien et de nettoyage des zones de fabrication, de stockage et de passage”.
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