La découverte des plus anciennes poteries d’Australie apporte un éclairage décisif dans l’histoire des Aborigènes

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La découverte des plus anciennes poteries d’Australie apporte un éclairage décisif dans l'histoire des Aborigènes
La découverte des plus anciennes poteries d’Australie apporte un éclairage décisif dans l'histoire des Aborigènes

Africa-Press – Tchad. Une centaine de tessons de poteries datant du 1er millénaire avant notre ère ont été mis au jour sur l’île de Jiigurru (ou Lizard Island), située sur la Grande barrière de corail, au nord-est du continent australien.

C’est la première fois que des archéologues arrivent à prouver formellement que les Aborigènes savaient fabriquer de la céramique bien avant la colonisation par les Anglais à la fin du 18e siècle.

Comme l’explique dans la revue Quaternary Science Reviews l’équipe de chercheurs australiens et néo-zélandais qui a étroitement travaillé avec la communauté autochtone Dingaal, même si elles ont été réalisées sur place, ces poteries indiquent par ailleurs que les groupes qui ont occupé l’île de Jiigurru entretenaient d’étroites relations avec les communautés de l’ouest du Pacifique, qui maîtrisaient cette technologie. Le nord-est du continent australien faisait donc partie de la sphère d’influence de la culture Lapita, qui s’est déployée depuis le golfe de Papouasie jusqu’aux îles Tonga et Samoa.

Découverte des plus anciennes poteries d’Australie

On sait combien les voyageurs et colons des temps anciens ont souvent présumé de l’infériorité des autochtones sur les terres desquels ils s’invitaient. Lorsque les Britanniques s’installent en Australie en 1788, ils remarquent que les Aborigènes n’utilisent pas de poteries – et depuis lors on a présumé que les Premières nations australiennes n’en avaient jamais fabriquées.

Mais pour les archéologues, cette intrigante et effective absence dans les observations ethnologiques n’était pas vraiment cohérente avec le fait que les régions les plus proches – l’est de l’Indonésie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les îles de l’ouest du Pacifique – connaissent la céramique depuis des milliers d’années.

Au plus proche du continent, on a tout de même retrouvé quelques tessons sur les îles du détroit de Torrès – qui sépare l’Australie de la Nouvelle-Guinée –, mais ils relèvent tous de la culture Lapita. Une seule exception: sur l’îlot sacré de Pulu, au large de l’île de Mabuyag, une vingtaine de tessons datés pour la plupart d’entre 300 et 500 de notre ère, et pour quelques-uns d’entre 580 et 80 avant notre ère, pourraient avoir été fabriqués par la population indigène australienne ; mais si tel était le cas, ce serait sans doute sous l’influence de peuples papous.

Les éléments étaient donc bien maigres jusqu’à la mise au jour de nouveaux fragments, plus conséquents et plus anciens, sur l’île de Jiigurru, à 600 kilomètres plus au sud.


Jiigurru n’a pas toujours été une île

Pendant la période glaciaire, Jiigurru et les quatre îlots qui l’entourent faisaient partie du continent australien. Il s’agissait alors de montagnes, qui dominaient une plaine côtière s’étendant jusqu’au littoral, situé 20 kilomètres plus à l’est.

Il y a environ 10.000 ans, l’élévation du niveau de la mer a inondé cette plaine, isolant les anciens sommets. Les premières traces d’occupation humaine y remontent à environ 6500 ans ; à cette époque, comme aujourd’hui, Lizard Island se trouvait à une trentaine de kilomètres de distance du continent. Entourant un profond lagon, il s’agit donc d’îles continentales constitutives de la Grande barrière de corail. C’est pour cette raison que plusieurs sources d’eau douce sont présentes sur Jiigurru, dont l’une a été documentée par James Cook en 1770.

Un lieu important pour la communauté Dingaal

L’île de 10 kilomètres carrés est surtout un lieu important pour les autochtones. Les chercheurs, qui ont obtenu auprès d’eux l’autorisation de fouiller ce site sacré, rapportent que “selon les histoires transmises par les Anciens de la nation Guugu Yimithirr, les îles sont un lieu de cérémonie, d’initiation, de rassemblement, de délibérations et un lieu où le savoir est transmis aux jeunes hommes”.

Les séjours initiatiques pouvaient y durer plusieurs mois, et les familles s’y rendaient aussi pour y rechercher de la nourriture: igname sauvage, coquillages, poissons et tortues.


Les poteries datent du premier millénaire avant notre ère

Si de premiers fragments de poterie ont été découverts sur l’île de Jiigurru dès 2006, il n’a pas été possible de les dater car ils étaient trop usés. Mais la découverte d’un nouvel assemblage entre 2017 et 2018, retrouvé dans plusieurs dépôts coquilliers contenant des restes de mollusques, d’os, d’oursins, de pierres et de coquillages, a permis aux chercheurs de procéder à une datation fiable.

Une étude par géoradar (GPR) a servi à déterminer la profondeur des dépôts sédimentaires, et la datation radiocarbone a été opérée par spectrométrie de masse sur les coquillages et les charbons de bois marins. Il en ressort que ces tessons proviennent de poteries fabriquées entre 2950 et 1815 avant le présent (soit entre 926 avant notre ère et 209 de notre ère).

Une poterie de fabrication locale

L’analyse des tessons indique que les céramiques ont sans doute été cuites à basse température et qu’elles ont été réalisées dans le même matériau, composé en particulier de sable calcaire constitué de détritus de coraux et de coquillages. L’hypothèse selon laquelle ce sable pourrait être d’origine locale se voit confirmée par l’analyse d’échantillons de sable recueillis sur la plage.


Ce sont les Aborigènes qui ont fabriqué ces poteries

Reste à savoir qui a fabriqué ces poteries: les Aborigènes australiens ou bien des groupes mélanésiens ? Pour les auteurs, ce sont les Aborigènes, car “les preuves archéologiques n’indiquent pas que des étrangers ont directement apporté à Jiigurru des poteries exotiques ou des technologies de poterie, et les preuves génétiques ne suggèrent pas non plus de contact direct soutenu avec les peuples provenant de lieux situés plus au nord où l’on fabriquait de la poterie”.

Mais si ce sont bien les Aborigènes et non les Mélanésiens qui ont fabriqué ces poteries, cela ne les exclut pas de la sphère d’influence Lapita – autrement dit, à défaut d’une circulation des objets, il y aurait eu “circulation des personnes et des idées dans toute la région de la mer de Corail”.

Le mode opératoire – fabrication avec des matériaux locaux, cuisson à basse température – est en effet similaire, même si la forme esthétique des céramiques de Jiigurru se distingue par l’absence des motifs incisés, caractéristiques des poteries de la culture Lapita. En outre, cette circulation était tout à fait possible grâce aux embarcations et aux techniques de navigation en haute mer avancées des autochtones, Aborigènes comme Mélanésiens.

Les poteries sont mentionnées dans les Songlines des Aborigènes

Dans une interview accordée à la chaîne de radio SBS, Kenneth McLean, président de la Walmbaar Aboriginal Corporation, qui est propriétaire des terres de la communauté Dingaal, explique que ses ancêtres utilisaient sans doute ces poteries pour emporter de l’eau et des crustacés lors de voyages en canoë.

Ces artefacts font d’ailleurs partie des Songlines, les “pistes de rêves” ou récits mythiques, du clan: “Ce type de recherches permet à tous nos peuples indigènes de voir et d’observer leur pays au cours des derniers milliers d’années, ajoute-t-il, ce qui nous permet de comprendre à quoi ressemblait notre environnement et comment les anciens chassaient et cueillaient, ainsi que les outils qu’ils utilisaient. En plus du commerce, cela faisait partie de notre piste de rêve, qui s’étend sur tout le territoire australien et qui est la chose la plus importante pour mon peuple. Dans ces pistes de rêves sont mentionnés de nombreux artefacts anciens qui n’ont pas encore été découverts”.

“Un nouveau chapitre de l’archéologie du Pacifique”

Pour aussi fragmentées qu’elles soient, ces poteries représentent donc un tournant radical dans l’historiographie de la région: “Les tessons de poterie de Jiigurru et l’ancienneté de l’occupation des îles offshore qui est démontrée dans cette étude ouvrent un nouveau chapitre dans l’archéologie de l’Australie, de la Mélanésie et du Pacifique, car ils indiquent une longue histoire d’interaction culturelle dans toute la mer de Corail”, concluent ainsi les auteurs.

La culture Lapita, qui s’est à l’origine développée dans l’est de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, s’est en effet étendue jusqu’aux archipels lointains du sud-ouest du Pacifique (Vanuatu, Nouvelle-Calédonie, Fidji, Samoa et Tonga), puis vers l’est. Jiigurru démontre à présent que les Lapitas ont également tissé des réseaux vers le sud, de l’autre côté de la mer de Corail, “pour englober l’Australie aborigène”.

Les découvertes réalisées à Jiigurru encouragent ainsi les chercheurs à envisager d’autres fouilles sur le littoral nord-est du Queensland, qui reste une terra incognita du point de vue archéologique. Ils espèrent à la fois y trouver de nouvelles poteries, aborigènes ou Lapitas, et surtout arriver un jour à comprendre pour quelle raison les céramiques ont disparu au cours des deux derniers millénaires. Avec l’espoir de tordre un peu plus le cou aux préjugés sur les Premières nations du continent austral.

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