Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Togo. L’Afrique, pour le président des Etats-Unis, Joe Biden, ne devait plus rester un continent mystérieux qu’il n’a pas visité durant son mandat présidentiel, surtout qu’il a planifié depuis quelques semaines de s’y rendre dans une visite officielle en Angola, devant se dérouler du 13 au 15 octobre 2024.
• Tout était fin prêt
Le voyage prévu était censé être historique en tant que première visite en Afrique au cours de son mandat présidentiel, mais il a été reporté à une date indéterminée en raison de « l’ouragan Milton » qui a frappé la Floride la semaine dernière, selon la Maison Blanche, et devait être précédé d’une visite en Allemagne pour discuter avec les dirigeants européens de la guerre en Ukraine avant de se rendre à Luanda.
Le voyage du président Biden, qui vit les derniers jours de son mandat (car il cèdera son siège présidentiel à celui qui sortira vainqueur des urnes, soit l’ancien président Donald Trump, soit la vice-président actuelle Kamala Harris), représente l’accomplissement final de ses nombreuses promesses de visiter l’Afrique.
Bien que la raison du report semble plausible, les critiques affirment que Joe Biden n’a jamais semblé vouloir donner la priorité à l’Afrique, même à la lumière de la forte concurrence avec la Chine et la Russie, qui étendent de manière agressive leur influence sur ce continent doté de vastes ressources naturelles, d’une croissance démographique rapide et d’un bloc électoral important aux Nations Unies.
• De grandes promesses, mais pas assez d’action !
Biden a promis pour la première fois de se rendre en Afrique en décembre 2022 lorsqu’il s’adressait à 49 dirigeants africains réunis à Washington D.C., dans le cadre du sommet des dirigeants afro-américains « USA – AFRICA 2024 ». Ce sommet s’est tenu à un moment où l’influence des États-Unis sur le continent avait déjà considérablement diminué, la Chine l’ayant dépassé en termes de volume commercial en 2019.
A noter également que depuis 2021, les pays de la région du Sahel en Afrique de l’Ouest se sont tournés vers la Confédération de Russie pour établir des partenariats de sécurité après que celle-ci ait réussi à expulser l’Occident, y compris les forces américaines qui y étaient stationnées.
On se rappelle qu’à l’issue d’un festin organisé à la Maison Blanche, Biden a fait des promesses solennelles à ses homologues, affirmant que les États-Unis s’efforceraient de garantir aux pays africains des sièges permanents au Conseil de sécurité de l’ONU, un objectif que l’Union africaine poursuivait depuis 20 ans. Il a ajouté que Washington soutient la recommandation visant à ce que l’Union africaine rejoigne le G20, sous les applaudissements nourris des dirigeants africains participant au sommet.
Biden a annoncé entre-autres que les États-Unis s’intéressent à l’Afrique avec un programme de soutien d’un montant de 55 milliards de dollars à l’Union africaine pour les soins de santé, les infrastructures et un bouquet d’autres secteurs.
Toutefois, selon les observateurs et experts des affaires africaines, de nombreuses promesses n’avaient pas été tenues, du fait que l’incapacité de Biden à faire correspondre ses actions avec ses paroles est en grande partie due à l’inaction de l’administration envers le continent.
« En fait, la Maison Blanche de Biden n’a pas donné suite et n’a publié de document politique décrivant ses relations prévues avec l’Afrique qu’en août 2022. Cela ne lui a laissé que deux ans pour bâtir un héritage, ce qui ne suffisait pas pour avoir un impact réel et significatif », ont-ils souligné.
Néanmoins, lorsque le document de stratégie africaine tant attendu a fait surface et a été décrit par les analystes comme « ambitieux » et « moderne », il s’est éloigné de l’accent mis par l’ancien président Donald Trump sur les relations commerciales et le suivi des millions de dollars d’aide en promettant de se concentrer sur:
-/- l’augmentation de la représentation africaine dans les institutions internationales mondiales,
-/- le renforcement des économies,
-/- la promotion de l’adaptation au climat, et l’enthousiasme pour cette politique a progressivement diminué, surtout après la sortie de Biden de la course présidentielle en juillet dernier.
Certains experts soulignent que Biden a remporté quelques victoires, puisque l’Union africaine a été acceptée comme membre permanent du G20 en septembre 2023 et que l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations Unies, Linda Thomas-Greenfield, a annoncé le mois dernier que son pays soutiendrait deux sièges permanents au Conseil de sécurité des Nations Unies pour l’Afrique, sans droit de veto.
Par ailleurs, le président américain a également envoyé un groupe de responsables de son pays sur le continent, avec le secrétaire d’État Anthony Blinken, qui a contribué à négocier la paix entre les voisins en guerre, le Rwanda et la République démocratique du Congo, lors de quatre voyages.
A ne pas oublier aussi que la vice-présidente Kamala Harris s’était rendue à son tour au Ghana, en Tanzanie et en Zambie lors d’un voyage d’une semaine, en mars 2023.
• Pourquoi donc l’Angola ?
Si telles sont les raisons générales de visite, la deuxième question que l’on se pose est la suivante: Pourquoi cet intérêt américain pour l’Angola ?
Il convient de noter ici que l’Angola, « l’État colonial satellite du Portugal », a été l’une des étapes importantes de la première visite du secrétaire à la Défense Lloyd Austin sur le continent en octobre 2023, qui s’est également rendu au Kenya et à Djibouti, ce qui est la première visite d’un secrétaire américain à la Défense en Angola depuis son indépendance en 1975.
L’Angola était également le seul pays du sud du continent visité par le secrétaire d’État Blinken lors de sa dernière tournée sur le continent au début de cette année.
Cette tournée comprenait 3 pays d’Afrique de l’Ouest: le Cap-Vert, le Nigeria et la Côte d’Ivoire.
La même question serait donc devenue comme suite.
• Pourquoi les Américains se concentrent-ils sur l’Angola ?
Il convient ici de noter plusieurs considérations américaines spécifiques à l’Angola, notamment:
*** Son emplacement stratégique important sur l’océan Atlantique en Afrique australe. Outre sa richesse en ressources minières, notamment dans la province du Cabinda, qui connaît encore quelques tensions. Ses réserves de pétrole sont estimées à environ 9,1 milliards de barils, auxquelles s’ajoutent 11 000 milliards de pieds de gaz naturel, des minéraux de diamant et d’or et des ressources rares comme le cobalt et le coltan, ce qui en fait une station pour les exportations technologiques américaines à destination des pays du Sud, de l’Est et de l’Afrique australe, ou une station d’importation des riches ressources naturelles de cette région, notamment le cobalt (République démocratique du Congo), le cuivre (Zambie), le coltan et d’autres, ce qui constitue la base des industries technologiques avancées, tant civiles que militaires..
*** La volonté de l’administration Biden de soustraire l’Angola aux anciennes tendances marxistes à toute influence russe.
Les présidents de l’Angola et de Russie
L’Angola, troisième producteur de pétrole d’Afrique, entretenait des relations étroites avec l’ex-Union soviétique, Moscou ayant soutenu l’ancien président Dos Santos pendant la guerre civile dont le pays a été témoin entre 1975 et 2002, face au mouvement d’opposition UNITA soutenu par les États-Unis, dirigé par Jonas Savimbi.
Moscou a également été le premier à se rendre en Angola, puisque le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov l’a visité lors de sa deuxième tournée sur le continent début 2023, soit environ neuf mois avant la visite d’Austin et environ un an avant celle de Blinken.
*** La volonté de contrer l’influence chinoise en retirant l’Angola du projet stratégique chinois « la Ceinture et la Route ».
L’Angola, en raison de sa situation maritime stratégique sur l’océan Atlantique et de sa situation terrestre, en est l’un des principaux pays pivots, étant un corridor pour les marchandises chinoises via les chemins de fer construits par la Chine vers l’Afrique.
C’est aussi une route vers des ressources rares provenant de la ceinture de Cobalt et de Coltan de Zambie et de République démocratique du Congo. L’Angola entretient des relations étroites avec Pékin, car il est l’un des cinq plus grands fournisseurs de pétrole de la Chine et son plus grand partenaire commercial sur le continent africain avec un volume commercial supérieur à 120 milliards de dollars depuis 2010. Ainsi, les entreprises chinoises (prés de 400 entreprises) jouent un rôle important dans plusieurs domaines à Luanda, notamment dans le domaine des infrastructures, car une sorte d’échange commercial se produit souvent entre les investissements chinois dans ce secteur en échange de pétrole angolais.
Il n’est donc pas surprenant que Washington cherche à s’implanter à Luanda grâce à des investissements estimés à environ 250 millions de dollars dans le projet de corridor ferroviaire atlantique de Lobito, qui relie l’Angola aux mines de cobalt de la République démocratique du Congo et à la ceinture de cuivre en Zambie.
Récemment, en août dernier, Washington a cherché à prolonger cette ligne jusqu’à l’océan Indien via la Tanzanie. Cela explique peut-être les raisons pour lesquelles, lors de sa première visite sur le continent en mars 2023, Kamala Harris s’est rendue en Tanzanie et en Zambie à l’est et au sud du continent, en plus du Ghana à l’ouest.
• Les Angolais considèrent les Etats-Unis comme un allié controversé
Alors que le gouvernement Biden considère l’Angola comme un allié proche, certains Angolais remettent en question cette relation, car le gouvernement du président Lourenço est profondément impopulaire en raison du coût élevé de la vie, de la corruption et de l’escalade des violations des droits de l’homme.
Il importe qu’en recevant en décembre 2023 son homologue angolais João Lourenço à la Maison Blanche, Joe Biden avait qualifié le projet « corridor de Lobito », également soutenu par l’Union européenne, de « plus important investissement américain de tous les temps dans le rail africain de 1 300 km ». Cei entre dans le cadre de l’affrontement géopolitique opposant, sur le continent, Washington et ses alliés à la Chine, laquelle détient entre autres investissements, des mines en RDC et en Zambie.
Avec leurs épouses
Pour Washington, l’Angola est un exemple de pays africain devenu moins idéologique et qui diversifie activement ses relations, pour être moins exposé à la Chine et, dans une moindre mesure, à la Russie.
Il faut rappeler ici que le président angolais a investi massivement dans des efforts de lobbying pour améliorer son image à Washington.
« Il fait face à des protestations dans son pays », a déclaré Florindo Chivucute, directeur du groupe Friends of Angola, qui milite pour des valeurs démocratiques plus fortes en Angola et est basé à Luanda et à Washington, D.C.
« Les États-Unis ne devraient pas compromettre leurs valeurs fondamentales de la démocratie et des droits de l’homme pour tenter de rattraper son retard, car les relations avec les États-Unis ne se sont améliorées que récemment », a déclaré Chivucute.
Les présidents américain, angolais, et chinois
Historiquement, l’Angola penchait vers la Russie, et au début des années 2000, il penchait vers la Chine. Le récent gouvernement angolais a choisi d’emprunter à la Chine plutôt que de recourir aux emprunts auprès d’institutions telles que la Banque mondiale.
Donc, pour Biden, arracher l’Angola à la Chine ou à la Russie peut être considéré comme un succès pour lui et pour les Etats-Unis, mais les experts affirment que de nombreux Angolais ne le reconnaissent pas. Les analystes affirment qu’une fois son mandat terminé, Biden ne peut plus faire grand-chose pour renforcer son faible héritage africain.
Cependant, les promesses non tenues de Biden resteront probablement une honte, et comme on le dit assez souvent: « Le problème des attentes non satisfaites est qu’elles sont plus douloureuses que les promesses qui n’ont jamais été faites ».
En fin de compte, les politiques de l’administration Biden envers l’Afrique ne seront pas autant jugées que l’écart entre ces politiques et les attentes fixées par l’administration.
• Que représente pour l’Angola la visite que devait faire Joe Biden ?
Pour l’Angola, la visite devait être une victoire diplomatique pour le gouvernement en difficulté du président João Lourenço, donnant à ce pays d’Afrique australe le « droit de se vanter au niveau régional » en tant que pays choisi par Washington pour la visite après une absence de dix ans.
Remarque, depuis que Biden a été élu président en 2020, il n’a mis les pieds sur aucun sol africain, malgré l’insistance de son administration à donner la priorité aux besoins des plus de 1,3 milliard d’habitants du continent et à respecter ses dirigeants. D’autre part, Biden a pu se rendre à plusieurs reprises en Europe – cinq fois rien qu’au Royaume-Uni – ainsi que dans des pays du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique latine.
« L’administration Biden n’a pas été à la hauteur de sa rhétorique », a déclaré Cameron Hudson, analyste principal de l’Afrique au Centre d’études stratégiques et internationales basé aux États-Unis.
« Même le voyage à Luanda semblait être un dernier effort organisé à la hâte pour le président alors qu’il approchait de ses derniers mois de mandat », a ajouté Hudson.
« Ironiquement, ce voyage pourrait être plus important pour Biden, qui cherche à cimenter son héritage Afrique et veut tenir la promesse qu’il a faite à plusieurs reprises à une Afrique qui se prépare en effet à devenir l’affaire de son successeur ».
Le Mot de la Fin
Même si la décision de Biden de se rendre en Angola – si cela se produit comme annoncé par la Maison Blanche – est également erronée, selon les critiques, les deux parties (USA – ANGOLA) ont vanté l’approfondissement des liens commerciaux et militaires, ainsi que l’augmentation de la connectivité aérienne, et ont même signé un accord d’exploration spatiale l’année dernière.
Plus important encore, l’Angola est attractif aux yeux des États-Unis en raison du « corridor de Lobito », ce projet ferroviaire inachevé d’un milliard de dollars qui permettra le transport de métaux précieux de la République démocratique du Congo jusqu’au port de Lobito en Angola, sachant que les États-Unis ont injecté 3 milliards de dollars dans ce projet.
Cependant, certains disent que cela semble être le plus grand héritage de Biden sur le continent, ce qui est étrange, tandis que d’autres soulignent que l’accord est finalement axé sur l’accaparement des ressources et ressemble à « l’exploitation » que les États-Unis accusent la Chine de se livrer sur le continent.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press