Le TOGO adopte un système de gouvernement parlementaire et fait face à des élections fatidiques : est-ce le bon choix ?

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Le TOGO adopte un système de gouvernement parlementaire et fait face à des élections fatidiques : est-ce le bon choix ?
Le TOGO adopte un système de gouvernement parlementaire et fait face à des élections fatidiques : est-ce le bon choix ?

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Togo. En Afrique, tout semble se chambouler et prendre de nouvelles voies politiques pour tenter d’offrir aux « gouvernants » de certains pays, qu’ils soient civils ou militaires, des structures constitutionnelles un peu trop à leur « guise ».

C’est ainsi qu’ouvrant la voie à une nouvelle phase, le Togo a approuvé récemment un amendement constitutionnel qui transforme le système de gouvernement en un système parlementaire.

• Le vendredi 19 Avril 2024: Une date historique pour les Togolais

La réforme constitutionnelle, qui tenait en haleine le Togo depuis la fin du mois de mars dernier, a finalement dit son dernier mot.

Les députés ont définitivement adopté, lors de la session législative du vendredi 19 avril, une nouvelle Constitution (contestée par l’opposition). C’est ainsi que la nouvelle Constitution fait basculer désormais le pays d’un régime présidentiel à un régime parlementaire, où l’Assemblée nationale togolaise a voté massivement en faveur d’une nouvelle constitution qui transformerait le système de gouvernement, avec 87 voix sur 87 à l’Assemblée, ce qui constitue la mesure la plus notable depuis le référendum constitutionnel de 1992.

On peut donc affirmer que cette transformation ouvre la voie à une nouvelle phase dans le pays, car les autorités affirment qu’elle renforce la démocratie, tandis que l’opposition la critique et y voit un renforcement de l’influence du président et de son entourage.

• A propos du transfert de pouvoir dans l’historique du Togo

Il importe de rappeler qu’au cours de son histoire estimée à près de 65 ans, la République du Togo, n’a connu aucun transfert de pouvoir pacifique.

-/- Sylvanus Olympio, pionnier de l’indépendance togolaise et son « premier président », a été tué dans un coup d’État sanglant le 13 janvier 1963, lors d’un renversement fomenté par Gnassingbé Eyadema.

-/- Peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Nicolas Grunitzky (1963 – 1967), mort le 27 septembre 1969 à Paris, Eyadema s’empara du pouvoir le 14 avril 1967, ouvrant ainsi une nouvelle ère dans l’histoire du pays. Au cours de son mandat, qui a reçu un fort soutien de la France, Eyadema a exercé une large influence, ce qui a fait de lui l’une des icônes éminentes du système « France-Afrique », malgré les critiques internationales dirigées contre lui.

Néanmoins, après un référendum organisé en 1972, le Togo a connu des élections controversées en 1979 et 1986, et le pays a connu également des troubles dans les années 1990, avec des appels locaux et internationaux en faveur de réformes démocratiques. Sous une pression croissante, Eyadema accepta en 1991 de nommer un Premier ministre, mais reprit rapidement le contrôle total du pouvoir.

-/- Peu de temps après, le célèbre opposant Tavio Ayao Tobias Amorin, homme politique socialiste togolais, est assassiné en 1992, une période suivie de l’élection d’Eyadema à la présidence en 1993 et 1998, élection rejetée par l’opposition.

En réponse aux violences qui ont accompagné les élections de 1993, l’Union européenne a gelé l’aide au Togo. Les relations avec l’Union européenne se sont progressivement améliorées après qu’Eyadema ait servi de médiateur dans le conflit en Côte d’Ivoire et annoncé de nouvelles élections législatives en 2005, un processus qui a débuté en novembre 2004. Eyadema est décédé le 5 février 2005, laissant derrière lui un héritage complexe au Togo.

-/- Après le décès du président Eyadema, son fils, Faure Gnassingbé, lui a succédé, contournant les procédures constitutionnelles spécifiées à l’article 65 qui exigeaient la passation du pouvoir au président du Parlement de l’époque, Fambaré Ouattara Natchaba.

D’abord président par intérim du 7 au 25 février 2005, Faure Gnassingbé est ensuite élu à quatre reprises (24 avril 2005 / 4 mars 2010 / 25 avril 2015 et 22 février 2020), dans des conditions contestées, succédant ainsi à son père, Gnassingbé Eyadema.

Jusqu’à l’amendement de 2019, la Constitution de 1992 stipulait que le chef de l’État est élu au suffrage direct pour une durée de 5 ans, et que le Premier ministre est nommé par le Président, qui choisit également le Conseil des ministres en consultation avec le Premier ministre.

A noter que l’Assemblée nationale, composée de 91 membres, est élue pour un mandat de 5 ans.

En 2019, Gnassingbé introduisit un amendement constitutionnel qui limite les mandats présidentiels à deux seulement.

• Retour sur les amendements constitutionnels les plus importants

Les amendements à la nouvelle constitution ont restructuré la vie politique pour la centrer sur l’Assemblée nationale et le Sénat, en introduisant des réformes majeures, dont la plus notable est la définition de la présidence de la république pour un mandat de six ans au cours duquel le président est élu par l’Assemblée nationale et le Sénat en une assemblée unifiée.

Le Premier ministre est nommé pour une période de 6 ans et doit être le chef du parti ou de la coalition qui remporte la majorité aux élections à l’Assemblée nationale.

Les exigences de la nouvelle constitution précisent que « le chef de l’État est pratiquement déchu de ses pouvoirs au profit du Premier ministre, qui devient le représentant de la République togolaise à l’étranger, et qui dirige effectivement le pays dans l’administration quotidienne ».

La nouvelle constitution a suscité une controverse entre partisans et critiques. Ses opposants de l’opposition et de la société civile condamnent ce qu’ils considèrent comme un « coup d’État constitutionnel » de la part d’une Assemblée nationale dont le mandat a pris fin il y a 3 mois.

• Critiques clés de l’amendement

A cet égard, Gerry Komandega Tama, représentant du Parti togolais du « Nouvel Engagement », a qualifié, dans une déclaration confiée aux médias, l’amendement d’« acte honteux » qui va au-delà des divergences politiques normales avec le pouvoir actuel, soulignant que son opposition ne vient pas seulement du fait qu’il fait partie de l’opposition, mais aussi du fait que le processus de vote lui-même est considéré comme inapproprié au regard des normes participatives..

Tama a expliqué que le public n’avait pas été officiellement informé des projets d’amendement de la constitution, mais qu’il avait plutôt été invité à attendre l’annonce. Il a critiqué la façon dont la nouvelle constitution a été approuvée comme s’il s’agissait d’une loi ordinaire, sans lui accorder de poids ni discuter de son importance, et c’est « pour cette raison, que nous nous opposons fermement à cet amendement », a-t-il indiqué.

Quant aux partisans de l’amendement, ils y voient une étape vers le démantèlement de la structure étroitement verticale du pouvoir que le peuple réclame depuis longtemps.

D’autres ont ainsi commenté l’amendement: « Si nous voulons vraiment renforcer la démocratie dans notre pays, explorer des systèmes parlementaires qui fournissent des plateformes de dialogue, nous soutiendrons désormais les forces politiques qui partagent notre vision pour parvenir au changement ».

En vertu d’une nouvelle constitution controversée, on peut affirmer que ces élections ont été considérées comme une étape décisive pour façonner l’avenir du système politique au Togo, notamment avec la transition attendue vers la Cinquième République, après que le système parlementaire ait été adopté et approuvé.

D’autres constatent d’ailleurs que la situation au Togo présente un contraste frappant par rapport aux développements démocratiques dans la région de l’Afrique de l’Ouest et dans des pays de la région comme le Sénégal, qualifiant le régime togolais d’« autoritaire », ajoutant dans ce contexte que: « Même si le parti au pouvoir gagne, ce qui est probable, le peuple togolais continuera à résister à cette constitution ».

Ils soulignent, par ailleurs, que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) n’a peut-être pas la capacité d’influencer un changement de régime. En conséquence, ils ont appelé l’Union européenne, « le véritable partisan du régime togolais », à faire pression sur le président Faure Gnassingbé pour qu’il quitte le pouvoir, ajoutant dans le sens même: « S’ils n’interviennent pas, nous poursuivrons nos tentatives pour obtenir un changement par les moyens dont nous disposons».

• Le Président Faure Gnassingbé remporte une victoire écrasante grâce à son parti

Il n’échappe pas aux observateurs et aux spécialistes des affaires africaines, autant qu’au peuple togolais lui-même, que le parti du Président, Faure Gnassingbé, a remporté la majorité des sièges à l’Assemblée nationale à l’issue des Législatives de lundi 29 avril, comme l’a déjà annoncé dans la soirée du samedi 4 mai 2024, la Commission électorale togolaise.

Le texte du communiqué stipule que le pays bascule d’un régime présidentiel à un régime parlementaire, sachant que le pouvoir sera détenu par un président du Conseil des ministres, lequel est automatiquement le chef du parti majoritaire à l’Assemblée nationale.

De facto, une fois ces résultats confirmés par la Cour constitutionnelle, il s’agira donc d’une victoire écrasante pour le parti du Président Faure Gnassingbé, à la tête de ce pays ouest-africain, dont le père a déjà dirigé le Togo pendant 38 ans, ce qui mènera Faure Gnassingbé à diriger le Togo pendant six autres années, au moins.

• Une victoire « amère » pour l’opposition qui suscite une vive controverse

Pour ainsi dire, l’opposition et la société civile ont dénoncé cette victoire comme un « coup d’État constitutionnel » visant à maintenir Faure Gnassingbé au pouvoir. En effet, selon l’ancienne Constitution, il ne lui restait qu’un seul mandat à briguer en 2025, et avec ce changement, Faure Gnassingbé peut être reconduit indéfiniment.

Pour affronter la nouvelle constitution, l’opposition au Togo a suivi deux lignes parallèles, la première juridique, basée sur des appels et des objections, et la seconde politique, représentée par la mobilisation de masse, estimant entre-autres que l’analyse qui sera menée par la Cour Constitutionnelle garantira le respect de la loi et déterminera si le Président de la République doit ou non ratifier la nouvelle constitution.

Quant au volet politique qui s’inscrit dans la lignée des campagnes électorales qui ont débuté le 13 avril, l’Alliance Collective, regroupement politique des partis d’opposition, a jugé utile de lancer un appel à la mobilisation populaire contre la nouvelle constitution.

Il importe de rappeler par ailleurs que plusieurs autres pays africains, dont la République centrafricaine, le Rwanda, la République du Congo, la Côte d’Ivoire et la Guinée, ont procédé ces dernières années à d’autres changements constitutionnels et juridiques permettant à leurs présidents de prolonger leur mandat. La région de l’Afrique de l’Ouest et centrale a également connu huit coups d’État militaires au cours des trois dernières années.

• En virant vers un « Régime Parlementaire », le Togo a-t-il fait vraiment le « Bon choix » ?

1-D’ores et déjà, on peut assurer qu’à l’instar de pays comme l’Allemagne, l’Italie, le Liban et d’autres, le Togo aura un président du conseil élu au sein du parti majoritaire ou coalition de partis politiques majoritaire au Parlement.

Il jouera le rôle de Premier ministre et prêtera serment devant la Cour constitutionnelle, tout en ayant d’autant plus de pouvoir étant donné que c’est lui qui détermine et conduit la politique générale de la Nation, définit la politique étrangère, choisit ses ministres, préside le gouvernement et assure l’exécution des lois.

2-Dans ce contexte, plusieurs acteurs politiques trouvent que le Parlement, dont le mandat est arrivé à terme depuis décembre 2023, n’est plus légitime pour proposer, voire même adopter, une révision constitutionnelle.

Certains observateurs de la scène politique togolaise imputeraient à l’actuel chef de l’État une intention de conserver le pouvoir, et pensent que la nouvelle révision constitutionnelle fût taillée sur mesure pour profiterait au président Faure Gnassingbé qui a pris les rênes du depuis février 2005.

Cependant, d’autres font valoir le fait que la nouvelle Constitution introduit plutôt une limitation des pouvoirs décisionnels du chef de l’État sur certains plans, indiquant à ce propos que « la présidence de la République est désormais un titre honorifique » et l’occupant disposera d’un mandat unique de six ans.

Désormais, tout sera vérifié depuis le Parlement, qui va donner plus de pouvoir au président du Conseil des ministres d’agir en toute liberté, car dorénavant, le président togolais qui ne travaille pas bien pourra être destitué par une action parlementaire, du fait qu’il a été choisi par le Parlement pour un travail et une durée bien définie.

3-L’adoption de cette nouvelle Constitution viserait probablement à mettre en place « un nouveau régime politique plus représentatif » afin de transformer le système politique et apporter un nouvel élan dans la gestion des affaires publiques. Son avantage réside dans la plénitude des pouvoirs que confère le peuple, seul détenteur du pouvoir dans cette situation.

• Où se situera donc le rôle de l’armée au sein de ce nouveau régime ?

Bien qu’elle soit apolitique selon la Constitution du pays, l’armée a toujours joué un rôle clé dans la consolidation du pouvoir au Togo. Certains analystes pensent qu’elle serait à la solde du chef de l’État, qui en est le chef suprême. Néanmoins, aujourd’hui, le passage au régime parlementaire vient rebattre les cartes concernant la mainmise du chef de l’exécutif sur l’armée togolaise.

Désormais, ce sera le président du Conseil des ministres qui va devoir exercer également le pouvoir réglementaire et nommer aux emplois civils et militaires.

Pour certains analystes, l’armée pourra désormais jouer son rôle régalien de protection des populations dans son ensemble.

Selon une émission « micro-trottoir », des citoyens ont laissé entendre que « les armées africaines sont toujours à la solde des chefs suprêmes qui sont les présidents. Elles suivent beaucoup plus les ordres sans penser au respect des droits humains des populations qu’elles sont censées protéger au même titre que les autres. Désormais, l’armée pourra veiller à la protection de nous tous et non de quelques personnalités ».

Pour certains d’entre eux, « Le changement de Constitution qui vient de se produire au Togo est une idée datant de 2010 quand nous avions accepté de former un gouvernement d’union. Toutefois, le régime en place avait à ce moment refusé notre idée de mettre en place un régime parlementaire. Aujourd’hui, le régime a jugé bon d’adopter ce régime parlementaire. Mais le moment où l’adoption a été faite n’est pas bon pour nous, mais on accepte cela, car l’opposition a essayé depuis l’adoption de la Constitution de 1992 de faire changer en vain les choses dans ce pays. Donc il faut aujourd’hui essayer un autre régime pour voir si on aura un jour un changement de régime au Togo ».

Désormais, on dire que la gestion du pays va se retrouver sur les épaules des parlementaires qui feront pour la première fois l’expérience d’un régime parlementaire au Togo.

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