Minéraux Africains: Nouveau Risque de Conflit Mondial

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Minéraux Africains: Nouveau Risque de Conflit Mondial
Minéraux Africains: Nouveau Risque de Conflit Mondial

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Togo. Le conflit autour de l’accès aux minéraux stratégiques est devenu, de nos jours, un microcosme des tensions géopolitiques et géoéconomiques contemporaines. Alors que les acteurs occidentaux maintiennent leur influence grâce à leur expertise et leurs investissements, les pays émergents redessinent la carte des partenariats. Dans ce contexte, le plus grand défi auquel sont confrontés les pays africains est de transformer la « malédiction des ressources » en une opportunité structurelle qui positionne l’Afrique comme un acteur central de l’économie mondiale.

Ce défi réside dans leur capacité à se positionner intelligemment et à œuvrer pour transformer la convoitise internationale pour leurs ressources en une source d’influence et en un levier de développement économique durable.

Cet objectif peut être atteint grâce à la coopération, à des négociations solides, à des investissements dans la recherche et le développement, ainsi qu’au renforcement de la gouvernance, de la réglementation et des compétences locales.

Le dossier d’aujourd’hui, vise à examiner la position de l’Afrique dans la dynamique des conflits internationaux autour des minéraux stratégiques, en analysant diverses stratégies de pouvoir concernant ces minéraux, leurs interactions et leurs dimensions géopolitiques.

• Ressources et besoins en minéraux stratégiques

Selon nos recherches, il existerait actuellement une forte demande mondiale en minéraux stratégiques, comme l’a rapporté l’Agence internationale de l’énergie dans ses prévisions pour 2023, indiquant que le marché a doublé de taille au cours des dernières années, atteignant 320 milliards de dollars en 2022, une demande qui devrait plus que « doubler d’ici 2030 » et « quadrupler d’ici 2050 », avec des revenus annuels atteignant 400 milliards de dollars.

En réponse aux fortes demandes mondiales, les investissements dans le développement de ces minéraux ont également augmenté de 20 % en 2021 et de 30 % en 2022, sachant que la Chine domine actuellement le marché des minéraux stratégiques.

Cette hégémonie est devenue une menace géopolitique et sécuritaire pour les pays occidentaux, surtout que la Chine utilise déjà cet effet de levier en restreignant ses exportations de minéraux vitaux, en coupant les approvisionnements et en menaçant les chaînes d’approvisionnement des entreprises « américaines, européennes et japonaises ». Les économies occidentales se tournent donc désormais vers les pays africains, une région déjà dominée par la Chine, pour l’approvisionnement en minéraux stratégiques.

Conscients de leur vulnérabilité face à la Chine, les pays occidentaux ont commencé à chercher des alternatives à l’approvisionnement chinois pour garantir des approvisionnements plus diversifiés, plus sûrs et plus durables, et c’est ainsi que « l’Afrique est devenue une destination importante pour diverses puissances occidentales, ainsi que pour les puissances émergentes » cherchant à se positionner dans le domaine des minéraux stratégiques.

Cela indique le début d’un nouveau conflit mondial dans lequel l’Afrique sera un acteur clé.

• Place de l’Afrique sur le marché mondial des métaux

L’Afrique représente environ 30 % des réserves minérales critiques ou stratégiques de la planète. C’est un producteur majeur de nombreux minéraux que le monde occidental classe comme minéraux stratégiques ou critiques.

Les minéraux comprennent une gamme de ressources essentielles pour l’énergie, la transformation numérique et la sécurité nationale. L’importance du métal est principalement évaluée:

1. D’abord en raison de son caractère indispensable pour les industries que l’État considère comme stratégiques (défense et aéronautique, électronique, production d’énergie éolienne et solaire, industrie automobile, etc.),

2. Ensuite en raison des risques auxquels sont exposées les chaînes d’approvisionnement, c’est-à-dire en raison d’une pénurie de réserves ou de production de matières premières à l’échelle mondiale.

Il est donc important de noter que l’évaluation de l’importance des minéraux varie d’un pays à l’autre et est le résultat des conditions économiques et géopolitiques à un moment donné. Par conséquent, les pays et les blocs régionaux établissent leurs propres listes de minéraux stratégiques en utilisant des critères différents.

• L’Afrique: 3ème destination mondiale pour les investissements miniers

Malgré un budget d’exploration et de nouveaux investissements relativement faibles, l’Afrique, qui est la troisième destination mondiale d’investissement minier, a bénéficié de 13,9 % du total des investissements directs étrangers dans le secteur minier entre 2018 et 2022, ce qui fait du continent, avec un cumul de 77 milliards de dollars d’investissements directs étrangers, la troisième destination après l’Amérique latine (114 milliards) et le Canada (80 milliards).

Toutefois, l’Afrique a également été l’une des destinations qui a reçu le moins de dépenses d’exploration au cours de la même période, soit 4,7 millions de dollars (près d’un tiers du montant alloué à l’exploration en Amérique latine). Cela montre que l’Afrique n’a pas été très attractive ces dernières années par rapport à d’autres destinations.

Néanmoins, avec l’accélération de la transformation énergétique et numérique, les besoins mondiaux en minéraux stratégiques ont considérablement augmenté ces dernières années, et la demande en minéraux critiques devrait être multipliée par 3,5 d’ici 2030.

L’Afrique, qui dispose de ressources importantes, espère ainsi capitaliser sur cet essor pour renforcer son rôle dans les chaînes de valeur mondiales, notamment avec l’escalade des tensions géopolitiques internationales liées aux minéraux stratégiques, alors que de plus en plus de pays commencent à mettre en œuvre différentes stratégies pour accéder à ces ressources, notamment en formant des partenariats avec des pays africains riches.

• Forces d’initiative africaines

La richesse de l’Afrique intéresse désormais les puissances industrielles, et les pays africains concluent de plus en plus d’accords de partenariat qui s’appuient généralement sur les stratégies nationales de chaque pays en matière d’exploitation minière et qui varient en termes d’objectifs, de contenu, de types et de parties prenantes clés.

Quel que soit leur contenu, ces accords reflètent le paysage géopolitique contemporain.

Il est important de noter que même si le champ d’application est axé sur les acteurs extérieurs, les pays africains ne sont pas des participants passifs à ces partenariats, car l’Afrique du Sud, prise comme exemple, est depuis longtemps une exception sur le continent. C’est l’acteur le plus important de la production minière africaine et il compte un grand nombre d’entreprises très actives, de taille comparable aux plus grands investisseurs sur le sol africain.

Elle a développé des sociétés de classe mondiale, notamment « AngloGold Ashanti, Anglo American Platinum, Impala Platinum et Gold Fields », qui figurent parmi les 50 plus grandes sociétés minières du monde.

Grâce à ces grandes et petites entreprises, l’Afrique du Sud est un acteur important non seulement sur son propre territoire mais aussi à l’échelle continentale et mondiale.

Le Maroc développe également une stratégie africaine ambitieuse à travers des acteurs tels que « Managem » ou le « Groupe OCP ». Managem est l’entreprise leader du secteur minier marocain, ayant acquis une participation dans la société minière canadienne « SEMAFO » en 1997. À ce jour, la société exploite 15 mines produisant du cuivre, du zinc, du plomb, de l’or, de l’argent, du cobalt et de la fluorite dans huit pays africains. Elle a également démontré son dynamisme inépuisable en acquérant les actifs de la société canadienne « Iamgold » au Sénégal, au Mali et en Guinée en décembre 2022.

D’autres pays africains n’ont pas su développer des entreprises de cette envergure, pourtant le boom minier a vu l’émergence d’un certain nombre d’acteurs africains d’envergure nationale. Plus généralement, il existe dans de nombreux pays une volonté de revitaliser d’anciennes entreprises nationales, comme la « Gécamines » ou la « SOMIKO » en République démocratique du Congo, ou de créer de nouvelles entreprises comme la société « Mauritania Minerals », créée en 2020.

Par conséquent, la volonté de reprendre le contrôle du secteur minier national est devenue forte, que ce soit par la création de nouvelles sociétés ou par la réforme des contrats miniers existants.

• Les minéraux africains deviendront-ils un nouveau risque de conflit international?

L’instabilité politique généralisée en Afrique ajoute une complexité supplémentaire à la lutte géopolitique autour des minéraux stratégiques, à un moment où les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Union européenne et d’autres pays s’affrontent dans une arène de plus en plus instable.

La saisie des ressources minérales à l’étranger a été – et demeure – un objectif primordial de la politique étrangère américaine, ce qui explique le désir du président Donald Trump de conclure un accord minier avec l’Ukraine et d’annexer le Groenland et le Canada.

Les États-Unis ont également pris conscience du caractère stratégique des minéraux produits en Afrique et ont annoncé leur intention de renforcer leur présence dans ce secteur. Certains Africains ont essayé d’exploiter cet angle:

-/- La République démocratique du Congo a offert l’accès à ses ressources minérales en échange d’une aide pour parvenir à la sécurité et à la stabilité,

-/- L’Algérie a exprimé sa volonté d’établir un partenariat avec Washington concernant ses ressources minérales demandées à l’échelle mondiale.

Si le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie sont les champions du secteur minier africain, ils sont confrontés à une concurrence croissante de la part de nouveaux acteurs sur la scène africaine.

Tirant parti de ses relations au sein du Commonwealth et de sa présence de longue date dans le secteur minier africain, le Royaume-Uni a établi des partenariats avec des pays tels que l’Afrique du Sud, le Nigéria et la Zambie pour garantir l’accès aux minéraux vitaux. Alors que la forte dépendance de l’UE à l’égard de la Chine pour ces minéraux compromet sa transition énergétique plus large, elle a orienté ses efforts dans le cadre de la « Global Gateway Initiative » vers les pays africains en signant des partenariats stratégiques avec la Namibie (2022), la République démocratique du Congo, la Zambie (2023) et le Rwanda (2024) pour développer des chaînes de valeur durables.

• Le cas de la Chine

L’augmentation spectaculaire de la demande chinoise au cours de la première décennie du XXIe siècle, a conduit à un doublement de ses investissements, notamment en Afrique, qui a attiré près d’un tiers (30,2 %) des investissements miniers chinois entre 2018 et 2022.

La Chine est particulièrement bien implantée dans la production de cobalt en République démocratique du Congo et de platine en Afrique du Sud, et accroît ses investissements dans la bauxite guinéenne. Elle est de loin le plus grand acteur du secteur minier africain.

Au cours des dernières années, la Chine a investi des milliards de dollars dans le cadre de l’initiative « La Ceinture et la Route ». Rien qu’en 2022, elle a importé pour 10 milliards de dollars de minéraux de terres rares du continent. Outre sa domination, la Chine demeure le plus grand raffineur mondial de nombreux minéraux stratégiques, sachant que les raffineries chinoises fournissent chaque année 68 % du nickel, 40 % du cuivre, 59 % du lithium et 73 % du cobalt.

• De nouveaux acteurs entrent en jeu

Pour atténuer les risques de perturbation de la chaîne d’approvisionnement, la Chine a cherché à étendre et à renforcer son vaste réseau de relations diplomatiques afin de promouvoir la coopération dans le secteur des minéraux, en particulier avec les pays africains, avec lesquels elle a conclu 19 partenariats miniers couvrant des régions à travers le continent.

Bon nombre de ces partenariats ont été conclus au milieu des années 2000, certains en 2010, ainsi que des accords plus récents ces dernières années. La Chine a également conclu ce que l’on pourrait appeler des « accords d’infrastructures contre des ressources » dans le cadre de l’initiative « La Ceinture et la Route ». Ces accords exigent que la Chine fournisse des projets d’infrastructures majeurs en échange de concessions minières africaines. En outre, le gouvernement chinois encourage les investissements étrangers des entreprises publiques et privées.

Comme la Chine, mais pour des raisons très différentes, la Russie est un partenaire régional avec lequel les États-Unis ont du mal à rivaliser, du fait que Washington n’a pas fourni le type de soutien que Moscou apporte aux capitales africaines.

La Russie a également conclu des accords bilatéraux avec plusieurs pays africains, dont la plupart ne sont pas publiés, certains remontant à 1999 (Afrique du Sud), tandis que d’autres ont été conclus plus récemment, comme ceux conclus avec l’Angola en 2009 et 2019, la Namibie en 2016 et le Zimbabwe en 2019 et 2020.

Aux côtés de la Chine et de la Russie, de nombreux pays voient l’Afrique comme une zone d’expansion de leur sphère d’influence. Ces pays ont des stratégies d’investissement qui vont au-delà du seul secteur minier et visent non seulement à exploiter les richesses mais aussi à étendre leur influence à travers le continent. Ainsi, l’investissement dans les minéraux stratégiques et l’influence géopolitique dans les pays africains sont de plus en plus étroitement liés.

De son côté, l’Inde a conclu des partenariats avec neuf pays africains, dont la majorité avec des pays appartenant au Commonwealth. L’un de ces accords remonte à 1997 avec l’Afrique du Sud, tandis que la majorité ont été signés après 2010 avec la Zambie, le Zimbabwe, le Mali et d’autres.

De même, la Corée du Sud, le Japon, l’Indonésie, la Turquie, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont signé plusieurs accords de partenariat minier avec des pays africains. En général, les acteurs sont devenus nombreux, y compris les Africains eux-mêmes.

Finalement, il faut vraiment l’avouer: « les minéraux stratégiques africains sont à la fois une opportunité de développement et une source de conflits exacerbés par la compétition mondiale pour la transition énergétique ».

La résolution de cette équation complexe nécessitera des réformes profondes en matière de gouvernance, une coopération internationale plus équitable et des mécanismes efficaces pour briser le lien entre ressources naturelles et conflits armés.

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