Africa-Press – Togo. La constitution au Togo, depuis un moment est-elle devenue un bien public ou privé ? Voici notre opinion.
La constitution est l’acte fondamental par lequel une société humaine se constitue une identité et décide de l’ordre social voulu, et les modalités d’action et de protection des droits et libertés fondamentaux garantis par les institutions qu’elle définit.
Elle fixe les conditions d’organisation et le fonctionnement des institutions de l’État sur la base du consentement du peuple concerné.
Comme toutes les lois de la République, la constitution incarne la volonté générale et l’expression du code moral d’un peuple dans le temps, dans un espace géographique bien organisé. Elle définit également le sens des valeurs républicaines, de même que les principes de la gouvernance partagée entre les membres de la communauté. Elle a un caractère impersonnel et une portée générale, avec pour objectif de garantir l’harmonie dans le fonctionnement des institutions, pour permettre le vivre-ensemble des différents groupes sociaux.
La constitution de chaque pays prend ses origines dans l’action politique et renferme l’histoire de toute la société et non la volonté d’un clan, encore moins d’une famille politique.
L’historique de la constitution au Togo a évolué non pas d’une manière linéaire, mais en dents de scie et retrace bien l’histoire du pays. Elle a commencé avec la première constitution de 1961, adoptée juste au lendemain de l’indépendance du pays, suivie de celle de 1963 qui fait suite au premier coup d’État et a duré jusqu’au deuxième coup d’État de 1967. Après cette période, le pays est resté jusqu’en 1979 avant de connaître une troisième constitution qui a marqué l’avènement de la 3ème république qui a survécu jusqu’ en 1992. Il faut noter que toutes ces constitutions ont connu des fortunes diverses.
En effet, la constitution la plus caractéristique est la constitution de 1992 qui a institué la 4ème république qui alla jusqu’au 6 mai 2024. Elle a été mise en place après la conférence des forces vives de la nation, dont les acquis ont été diversement appréciés, que l’on fut du côté des tenants du pouvoir à l’époque ou du côté des forces démocratiques, suivie d’un long processus de transition. C’est à l’issue de ce processus marqué par beaucoup d’événements malheureux et violents, avec des pertes en vies humaines, qu’un consensus avait finalement été trouvé. Dès lors, tous les acteurs dont le président Eyadema qui avait été dépouillé de ses pouvoirs par la conférence nationale dont il avait contesté la souveraineté, et qui s’est vu en quelque sorte réhabilité après les événements du 3 décembre 1991, avec la garantie qu’il pouvait d’être candidat à la prochaine élection présidentielle, avaient fini par appeler à voter pour.
Il faut surtout préciser que la constitution de la 4ème république avait été adoptée à plus de 97%. Ce qui permet d’affirmer que, de toute l’histoire politique et des constitutions du Togo , la 4ème République a eu le mérite d’avoir obtenu avant son entrée en vigueur, le consentement du peuple à travers un référendum. Elle a aussi marqué l’espoir d’un renouveau démocratique par une affirmation totale et sans condition de la protection des droits et libertés fondamentaux ainsi que la séparation des pouvoirs avec une limitation claire des mandats présidentiels à deux contenue dans l’article 59.
Cependant, malgré toutes les garanties données par le général Eyadema, sans oublier sa parole de militaire donnée devant le président Français Jacques Chirac, sa soif pour le pouvoir sans limite a pris le pas sur la raison. Ainsi le 31 décembre 2002, la constitution de 1992 va subir une première modification, dont le seul objectif était de faire tomber le verrou de de la limitation du mandat, en violation du protocole additionnel de la CEDEAO signé 31 décembre 2001 à Dakar, dont le général Eyadema lui-même était l’un des signataires. C’est le début de la personnalisation du pouvoir au Togo désormais considéré comme un héritage, un capital familial qu’il faut conserver à tout prix et “de ne jamais laisser ”.
C’est dans sens que le 5 février 2005 à la suite de la mort du président Gnassingbé Eyadema, cette constitution va subir une véritable “chirurgie plastique” en trois épisodes, en une seule nuit pour faire sauter d’abord l’article 144 qui interdit toute modification en période intérimaire, en suite pour faire passer le fils héritier de son poste de ministre au député, avant d’être parachuté au poste de président de l’assemblée nationale au président de la République. C’est après toutes ces opérations d’une “chirurgie constitutionnelles de haute précision” que sera accomplie la dernière volonté de “Papa Eyadema Gnassingbé ” pour son fils Faure Gnassingbé.
Cet acte a été à l’origine du grand malheur du peuple togolais, suite à la répression violente contre la contestation avant, pendant et après l’élection qui a mis Faure Gnassingbé définitivement au pouvoir après 38 ans du règne de son père. Cette répression a fait plusieurs centaines de morts selon le rapport de la mission d’établissement des faits du rappeur spécial de l’ONU Doudou Diene à cet effet. Ce qui a nécessité la mise en place de la Commission Vérité Justice et Réconciliation (CVJR), dont les travaux ont abouti à plus de 60 recommandations, dont la recommandation N°6, afin de garantir la non répétition des événements douloureux qui ont marqué l’histoire politique du pays de 1958 à 2005.
A la faveur de la feuille de route proposée par la CEDEAO dans le cadre du règlement de la crise politique née du soulèvement du 19 août 2017, le fils héritier à qui Papa a dit “de ne jamais laisser le pouvoir “, avec la complicité de certains parlementaires zélés ont procédé à la modification pour la 5ème fois de la constitution de 1992 portant sur 29 articles contre trois conformément au projet initial du gouvernement le 19 juillet 2019, en violation de toute la pratique parlementaire universellement reconnue.
Ce qui est difficile à comprendre et qui nous oblige à cet exercice, c’est que, ce sont les mêmes parlementaires qui ont procédé à la dernière modification du 19 juillet 2019 qui reviennent cette fois-ci, au-delà de leur mandat, en violation de la procédure et des principes démocratiques et républicains en prenant l’initiative non pas de la modification, mais de changer la constitution.
Ainsi, à l’initiative d’un groupe de parlementaires, la constitution de la 4ème république a été remplacée par une nouvelle constitution promulguée le 6 mai 2024 faisant passer le Togo à la 5 ème république avec comme fait majeur le passage du régime semi-présidentiel à un régime parlementaire. Ce qui dans le cas d’espèce peut être considéré comme une haute trahison de la part des parlementaires et une violation de serment de la part du président de la République, qui a juré solennellement “devant Dieu et le peuple togolais, seul détenteur de la souveraineté populaire “, de “respecter et protéger la constitution que le peuple s’est librement donnée”. Ce qui dans une république normale, autre qu’une “république bananière “ serait passible devant la haute cour de justice.
A cet effet, la constitution de la 5ème république est considérée par certaines personnalités comme une “arnaque politique” et par d’autres comme “une constitution de contrebande “.
Comme tout le monde peut se rendre à l’évidence, dans un premier temps, tout le processus qui a conduit à l’adoption de la constitution de la 5ème république a été émaillé de vice de forme en violation de l’article 52 alinéa 2 et des articles 59 et 144 de la constitution de 1992 qui somme toute était le socle sur lequel devrait reposer toutes les actions de la dernière législature. De plus, la 5ème république a été imposée sans le consentement du peuple à travers un référendum.
Sur le fond, nous allions nous référer à cette formule du Général De Gaulle selon laquelle, une constitution, c’est à la fois un esprit, un texte et une application.
L’une des questions de fond est celle-ci ; quel est l’esprit qui a guidé et déterminé cette initiative de la nouvelle constitution ?
En effet, toutes les questions concernant l’opportunité, l’intérêt pour le peuple togolais, l’objectif, contrairement à l’exposé des motifs de cette constitution, nous conduisent à une conjecture. Il s’agit d’effacer une partie de l’histoire de la Conférence nationale et de ses acquis, comme ce fut le cas du remplacement de la fête du 27 avril et l’hymne “terre de nos aïeux” respectivement par la fête du 13 janvier et par l’hymne du RPT. Cela participe ni plus ni moins à la consécration de la dynastie laissée par le père à la monarchisation du pouvoir par le fils.
Ensuite, en parcourant le texte, on se rend compte de la volonté manifeste d’accaparement de tous les pouvoirs d’État. Ainsi, la nouvelle constitution accorde en son article 22, le même pouvoir à un président d’un parti auto désigné, qu’à la représentation nationale en matière de l’initiative des lois de la République. Plus grave, la constitution de la 5ème république à bien y voir, ne garantit pas du tout le contrôle parlementaire de l’action du gouvernement en application de ses articles 51 et 54, de même que le contrôle citoyen et le contrôle administratif de l’action publique, par le fait que la section des droits de l’homme et la question des tribunaux administratifs ne sont pas intégrées dans la constitution et ne sont pas clairement définies. De plus, les actions pouvant permettre une initiative populaire de la sauvegarde de la souveraineté à la suite d’un coup de force n’est plus possible avec la suppression de l’article 150 dans la nouvelle constitution.
Dès lors, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper que la constitution de la 5ème république ne laisse aucune chance à l’opposition et subira la même pratique et même, de manière plus inefficace que la constitution de 4ème république.
De notre point de vue, comme ce fut le cas jusqu’à ce jour, la 5ème république ne montre aucune garantie pour la sauvegarde des libertés fondamentales, la stabilité, la sécurité pour tous et la promotion de la jeunesse pour le développement du pays; bref, un équilibre social par une répartition équitable de la richesse nationale. C’est ce que le peuple togolais attend depuis l’avènement de la 2ème république.
Ce n’est un secret pour personne. Depuis le 13 janvier 1963, avec l’assassinat du premier président démocratiquement élu et l’avènement de la 2ème république, le peuple togolais croit que son rêve a été volé et l’espoir né de la 4ème république vient de disparaître à jamais avec la constitution de la 5ème république, qui semble être vraiment taillée sur mesure. Elle est perçue pour certains comme un vecteur qui consacre désormais la monarchisation du Togo.
En effet, depuis le 31 décembre 2002, on assiste à une hérésie juridique flagrante qui ne fait que tordre le cou au droit et aux principes démocratiques et républicains. Ce qui risque de mettre en péril, si l’on ne prend garde, les fondements de l’État-nation fragilisé depuis le coup d’État du 13 janvier 1963 et les coups de forces successifs qui ont émaillé le processus de la démocratisation du pays depuis le 5 octobre 1990.
Pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui, il faut remonter à l’atelier du Haut Commissariat à la Réconciliation et à l’unité Nationale (HCRUN) qui s’est déroulé du 11 au 19 juillet 2016 sur les réformes politiques et institutionnelles sur fond de partage d’expérience du modèle de de la décentralisation du Ghana, du modèle de la démocratie participative du Rwanda et du modèle de la monarchie parlementaire du Maroc.
En effet, les participants à cet atelier ont proposé une adaptation des réformes à venir aux réalités du pays, en se référant à ces différents modèles.
Nous faisons remarquer que, bien que les conclusions de cet atelier n’ont pas été rendues publiques, elles sont en train d’être appliquées, mais à l’envers dans le seul objectif de respecter la dernière volonté de “Papa” c’est-à-dire la conservation du pouvoir considéré comme une propriété familiale.
En effet, le modèle de décentralisation depuis la loi de 2007 a été modifiée en 2013 et surtout en 2019 est inspiré de celui du Ghana. Sauf que dans la loi de 2019, le gouvernement togolais a ajouté des artifices, lui permettant de museler les acteurs à la base tels que les CVD-CDQ et la chefferie traditionnelle en l’occurrence les chefs canton, considérés comme des appendices du pouvoir sous le contrôle stricte des préfets et des CB de gendarmerie de leur localité; la gouvernance administrative elle autre est collée au modèle Rwandais avec un renforcement de la capacité de musellement de toutes les voix discordantes et le contrôle total de toutes les institutions chargées des élections; enfin, le système politique de la 5ème République est calqué sur le modèle du royaume Marocain en raison de sa résilience face au vent de la révolution qui a balayé les régimes tunisien, égyptien et libyen et surtout l’expérience de la stabilité de la monarchie parlementaire.
Tout ceci fait du Togo, une anomalie juridique à la risée de ses voisins.
Pour nous, le changement de la constitution doit répondre fondamentalement à l’exigence du consentement du peuple. Au cas contraire, elle devient inique et corrompue, par son manque de transparence et d’efficacité de son application dans le temps, comme ce fut le cas de la fête du 13 janvier et de l’hymne du RPT.
Un proverbe de chez nous dit que, “le mur qui a été construit par la salive ne résistera pas à la première pluie. Ce qui confirme l’adage selon lequel, “Tout ce qui se fait avec hâte est certain d’être très vite démodé.
La question qu’il faut se poser in fine, est de savoir, si après le pouvoir de Faure Gnassingbé qui ne fait qu’à ménager les nouveaux riches sans scrupule, une oligarchie sans vergogne et sans aucune moralité au sommet de l’État, une minorité gourmande de cette acabit, l’avenir du Togo sera différent de celui d’Haïti après le règne du père Papa Doc et du fils Jean Claude Duvalier ?
Que Dieu bénisse le Togo.
OURO-AKPO Tchagnaou
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