Africa-Press – Togo. « La sous-traitance imposée par l’AFD et la SP-EAU à l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED et la double facturation du montant des prestations de la conception constituent indubitablement des violations de la réglementation relative à la commande publique susceptibles de s’assimiler à une pratique frauduleuse », dixit le Comité de règlement des différends.
Pendant longtemps, des soupçons de parti pris dans l’attribution de certains marchés ont plané sur certaines instituions. Depuis la délibération n° 028-2025/ARCOP/CRD du 2 juin 2025, on sait désormais qu’il existe des responsables de structures internationales qui bottent en touche les textes de la commande publique au Togo pour imposer des entreprises françaises qui, sous d’autres cieux, n’auraient pas gagné des marchés.
La Directrice de l’Agence française de développement (AFD) et le Directeur général par intérim de SP-Eau ont violé les procédures de la commande publique dans la construction de 4 usines de traitement d’eau à Amou-Oblo, Gléi, Dalwak et Mandouri. Pendant que l’entreprise attributaire prévoyait un montant inférieur à 90,5 millions FCFA pour la sous-traitance de la conception, le bureau d’études français ENGIN imposé par le maître d’ouvrage, réclame plus de 393,5 millions FCFA, montant qu’il a revu à 294,796 millions FCFA.
Elle s’appelle Gnassingbé Eyadéma Essodom, ex PRMP (personne responsable des marchés publics) de la SP-Eau (Société de patrimoine eau et assainissement en milieu urbain) et a adressé un courrier en date du 6 juin 2024 dans lequel elle dénonçait des irrégularités dans le cadre d’une préqualification du 20 mai 2022 et d’un appel d’offres international le 23 mars 2023 concernant la réalisation des travaux de construction de prises d’eau et d’usines de traitement des eaux de surface dans 4 localités du Togo. Mais au final, quand bien même les irrégularités soulevées ne sont pas fondées, elles ont permis aux investigateurs de découvrir des pratiques qui ont cours dans l’exécution de certains marchés financés par des bailleurs de fonds. Et ce n’est pas la directrice de l’AFD qui dira le contraire.
En effet, l’ex-PRMP a exposé que suite à l’avis de non objection de l’Agence française de développement (AFD) accordé en date du 23 avril 2024 sur le projet de marché devant être signé par la SP-EAU et l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED, désignée attributaire du marché concerné, elle a constaté que la Banque mondiale a fait publier sur son site internet que cette dernière a fait l’objet de plusieurs sanctions d’exclusion par le Conseil des Sanctions pour des faits de corruption et de fraude commis en Ethiopie et au Népal.
Elle a précisé que l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED a pris part à la procédure de préqualification sus-référencée alors qu’elle était sous sanction avant d’ajouter qu’elle n’aurait pas exécuté conformément à ses cahiers de charges des marchés publics dont elle a été titulaire au Togo. Elle a conclu que dans ces conditions, il est risqué de confier les travaux projetés par les procédures sus-référencées à cette entreprise sans une vérification préalable.
Et les investigateurs entrèrent dans la dance
A la suite des auditions de M. DZINAKU Kwami Séfiamo, PRMP, de la Directrice générale par intérim de la SP-EAU, de Mme Gnassingbé Eyadema Essodom, ex-PRMP, le CRD est arrivé aux conclusions suivantes:
Mais c’est l’audition du vice-président et Directeur de la zone Afrique de Angelique International limited qui a exposé les responsables de la SP-Eau et de l’AFD. Ci-dessous la méthodologie employée par le CRD.
Suivant la documentation obtenue, en prenant en compte les observations de la DNCCP aux fins d’approbation du marché signé, le bordereau d’envoi n° 282/2024/SP-EAU/DG/DP/PRMP/CGMP et le rapport de présentation du marché, tous datés du 16 mai 2024, ont été signés par le Directeur général par intérim de la SP-EAU au moment des faits, M. KOUBONOU Samba Atiyodé, en lieu et place de la PRMP. Même bien avant cette étape, il est observé que ce dernier s’est réservé le droit d’adresser des correspondances au bailleur en laissant la PRMP le faire à l’égard de la DNCCP. Un constat révélateur d’une grave immixtion de l’ex-Directeur général de la SP-EAU dans les missions de la PRMP. « Cette pratique est bien récurrente au niveau de la SP-EAU ».
Sur l’initiative de recourir à la sous-traitance
A la phase de validation du rapport d’évaluation des offres, dénonce le CRD, M. GOA Christel, chargé de mission infrastructures à l’AFD, a, par courriel daté du 02 février 2024, demandé au Directeur général par intérim de la SP-EAU de prendre contact avec l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED pour qu’elle s’attache les services d’un bureau d’études international de qualité chargé d’assurer les études d’exécution des usines en choisissant un à sa convenance, dans une liste de bureaux d’études proposée par l’ingénieur conseil SEURECA/DECO.
Or, que l’examen du procès-verbal de la réunion du 23 novembre 2023 consacrée à l’évaluation technique de l’offre de travaux de l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED fait ressortir qu’au cours de cette réunion, le maître d’œuvre SEURECA/DECO a relevé que l’offre technique de ladite entreprise n’est pas de qualité suffisante en raison du fait qu’elle est trop imprécise ; néanmoins, le maître d’œuvre lui a soumis certains engagements pour lesquels elle a marqué son accord et accepté qu’ils soient inclus dans le futur contrat qu’elle conclura avec la SP-EAU.
Mais contre toute attente, Mme BOUABDALLAH Zolika, Directrice de l’AFD, a réitéré cette demande en la justifiant par le fait que les études d’exécution projetées dans le cadre de la procédure en cause et celles réalisées par l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED dans le cadre des marchés similaires antérieurs financés par l’AFD, notamment au Cameroun n’ont pas donné entière satisfaction aux différents maîtres d’ouvrage ; elle a ajouté que sa demande vise à éviter le rejet des études de ladite entreprise par le bureau de contrôle SEURECA/DECO lors de la phase de réalisation des travaux alors qu’à la réunion du 23 novembre 2023 susmentionnée étaient présents aussi bien l’AFD que ledit bureau de contrôle.
Si le dossier offre la possibilité de sous-traiter une part des travaux à réaliser, l’initiative de la sous-traitance qui se traduit, entre autres, par le choix du sous-traitant à proposer revient de droit au titulaire du marché. Dans la pratique, la demande de sous-traitance est initiée soit par le candidat, dans son offre, avant la soumission ou par le titulaire du marché, en phase contractuelle, à travers une déclaration spéciale transmise à l’autorité contractante. Mais bizarrement dans le cas présent, l’exigence de la sous-traitance est intervenue après la soumission et avant la contractualisation au mépris de l’article 42 du code des marchés publics.
Le CRD ajoute que dès lors que le rapport d’évaluation des offres a établi que celle de l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED, qui comprend les prestations relatives à la conception, est conforme aux exigences du dossier et que ledit rapport a préalablement reçu l’avis de non objection de la DNCCP par lettre n° 3016/MEF/DNCCP/DSCP datée du 22 septembre 2023, il est dérangeant que l’AFD subordonne son avis de non objection à son exigence faite à l’attributaire du marché de sous-traiter la conception à un bureau d’études. Mieux, si l’AFD estime que le volet conception proposé par l’entreprise n’est pas satisfaisant ou conforme aux exigences du dossier, il lui revient de demander à l’autorité contractante de déclarer l’offre de celle-ci non conforme et la procédure infructueuse étant donné que ladite entreprise était la seule à avoir été retenue après l’étape de préqualification.
Et au vu du CRD, il est fort plausible qu’en retenant cette offre, elle est présumée substantiellement conforme comme le revendique le Directeur de la zone Afrique de l’entreprise concernée, lors de son audition, que celle-ci dispose de toutes les capacités pour réaliser lesdites prestations et que c’est pour cette raison qu’elle n’a pas jugé utile de proposer dans son offre sous-traiter une partie des prestations qui lui seront confiées.
Choix du sous-traitant et autoritarisme de l’AFD et de la SP-EAU
Il est connu que dans le cadre de la sous-traitance, le sous-traitant est librement choisi par le candidat ou le titulaire du marché qui le charge d’exécuter une partie des prestations à lui confiées et sous sa responsabilité.
Mais dans le courriel daté du 02 février 2024, l’AFD a demandé à la SP-EAU de signifier à l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED d’une part, de s’attacher, à sa convenance, les services d’un bureau d’études international figurant dans une liste de bureaux de diverses nationalités, notamment, indienne, sénégalaise et française et d’autre part, de lui adresser sa nouvelle offre financière.
Or, il ressort des propos du Directeur zone Afrique de l’entreprise qu’il a suivi la recommandation de l’AFD et de la SP-EAU, laquelle exige de sous-traiter la conception, en ayant retenu le bureau d’études STC d’origine indienne qui a été refusé par l’AFD et la SP-Eau au motif que la sous-traitance ne peut qu’être octroyée à une entreprise française. Ainsi, il a ajouté avoir finalement consulté deux sociétés de droit français VEOLIA et ENGIN dont la dernière a favorablement répondu en lui adressant une offre financière.
Et au CRD de s’interroger: « si tant est que l’AFD avait une préférence pour un cabinet d’études français, pourquoi alors avoir soumis à l’attributaire du marché la liste sus- indiquée contenant des entreprises autres que françaises »? Par cette impositio, l’AFD et la SP-EAU ont violé l’article 41 du code des marchés publics du Togo. Ainsi, la préférence de l’AFD portée sur un sous-traitant de droit français cautionnée par la SP-EAU constitue sans doute une grave ingérence dans le processus de passation du marché concerné.
Une sous-traitance 3 fois plus chère
En comparant les chiffres, il ressort de l’examen des pièces du dossier que le montant des prestations de conception prévu dans l’offre de l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED s’élève à 137 949,57 euros, soit 90 488 986 FCFA pour l’ensemble du volet conception du projet alors qu’elles sont sous-traitées au prix de 418 925 euros, soit 274 796 786 FCFA; à y voir de près, le montant de la sous-traitance proposé par le bureau d’études ENGIN et accepté représente le triple de celui offert par l’entreprise susmentionnée alors qu’aux dires du Directeur Afrique de l’entreprise, le sous-traitant n’aura pas à exécuter la totalité des prestations rentrant dans le volet conception.
A l’analyse de cette différence colossale, cette offre financière assez onéreuse ne pourrait avoir autre explication que le fait que le sous-traitant ENGIN n’a pas été sélectionné à l’issue d’une procédure concurrentielle mais a été imposé à l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED par l’AFD et son valet la SP-EAU.
Poursuivant, le CRD dit qu’au sujet de la rémunération du sous-traitant, le montant à lui payer est, en principe, prélevé de celui du marché principal attribué à l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED ; or, il ressort des auditions et de l’examen du marché conclu entre cette dernière et la SP-EAU que le montant des prestations sous-traitées s’est plutôt ajouté au montant total dudit marché ; ainsi, il se dégage qu’en faisant assurer le paiement du bureau d’études ENGIN par l’AFD sans aucune incidence sur le montant du marché à payer au titulaire du marché, les prestations de conception ont été doublement facturées.
Droit dans ses bottes, le CRD déclare que la sous-traitance imposée par l’AFD et la SP-EAU à l’entreprise ANGELIQUE INTERNATIONAL LIMITED et la double facturation du montant des prestations de la conception constituent indubitablement des violations de la réglementation relative à la commande publique susceptibles de s’assimiler à une pratique frauduleuse.
Quelle issue dans pareille situation?
Godson K.
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