Africa-Press – Togo. Une tribune de l’ancienne ministre des armées.
« Le Togo a besoin d’un nouveau départ sans Faure Gnassingbé pour enfin reconstruire une république au service de nous tous », dixit Gnakadé Marguerite
Vingt ans d’espoirs déçus sous Faure GNASSINGBE:
l’heure du bilan
Lome, 2 mai 2025
Depuis deux décennies, le peuple togolais fait preuve d’un courage remarquable face à l’adversité. Il endure, espère, se mobilise… mais trop souvent, il est réduit au silence. Aujourd’hui, alors que le pays traverse une nouvelle phase de crispation politique et d’incertitude démocratique, je prends la plume pour affirmer ceci: il est temps que la volonté du peuple togolais soit enfin respectée.
Je n’écris pas ces lignes en tant que partisane, mais en tant que citoyenne togolaise, femme, mère. Je crois qu’un autre Togo est possible et je sais que ce changement ne viendra pas d’en haut, mais du peuple lui-même, de sa mobilisation, de sa vigilance, de son unité. Il est temps d’écouter ce peuple.
Vingt années se sont écoulées, depuis l’accession de Faure Gnassingbé à la magistrature suprême, dans des circonstances que l’histoire retiendra comme étant douloureuses. Dans une déclaration devant le peuple souverain, il reconnaitra l’ampleur de cette douleur en ces termes, je cite: “plus jamais ça au Togo”, fin de citation.
Aujourd’hui, alors qu’une nouvelle manœuvre politique a été orchestrée pour maintenir Faure Gnassingbé au sommet de l’État sous une autre étiquette, une question fondamentale s’impose: quel est le véritable bilan de Faure Gnassingbé après deux décennies de règne?
En 2005, il proclamait, je cite: “lui, c’est lui, moi c’est moi”, fin de citation, annonçant une prétendue rupture prémonitoire avec la gouvernance de son père, le Général GNASSINGBE EYADEMA. Cependant, vingt ans plus tard, en dépit de plus de 15 000 milliards de FCFA injectés dans l’économie togolaise, les résultats tangibles sur l’amélioration des conditions de vie des Togolaises et Togolais, peinent à prendre corps. In fine, force est de constater, que les proches de Faure Gnassingbé qui aujourd’hui célèbrent et glorifient le Général GNASSINGBE EYADEMA et ses œuvres, sont les mêmes qui proclamaient haut et fort que EYADEMA a laissé un Togo socialement délabré, politiquement divisé, et économiquement exsangue.
Ce paradoxe met en lumière l’échec d’une gouvernance incapable de tracer sa propre voie et de porter l’espoir d’une véritable transformation structurelle du Togo.
Qu’il me soit permis ici de souligner à juste propos, que l’avènement de Faure Gnassingbé au pouvoir, a suscité un regain d’intéressement de la communauté
internationale vis-à-vis du Togo. En effet, la reprise de la coopération avec les partenaires aux développements bilatéraux comme multilatéraux, a conduit dans un premier temps a une annulation partielle de la dette publique, faisant passer le stock de la dette publique globale du Togo de 1 210 milliards de FCFA en 2005, à 767 milliards de FCFA en 2010.
Ce processus d’allègement de la dette publique va ouvrir la voie au financement de plusieurs programmes tels que le Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP-IC) et la Stratégie de Croissance Accélérée pour la Promotion de l’Emploi
(SCAPE). Ceci va provoquer, le re-endettement du pays, faisant passer la dette publique globale de 767 milliards de FCFA en 2010, a plus de 3800 milliards de FCFA en 2023.
Ces ressources mobilisées au nom du contribuable togolais se sont transformées en un fardeau écrasant pour les générations futures. En réalité, le stock de la dette actuelle n’a pas de contrepartie en actifs de production. A cela s’ajoutent la privatisation massive
d’institutions publiques notamment, la BTD, la BTCI, TOGOTELECOM, Etc….
L’impact concret demeure invisible. La symbolique de cette carence en matière de gestion des finances publiques est la succession des collectifs budgétaires depuis 2015. Cela dénote la navigation à vue des gouvernements de Faure Gnassingbé.
En tout état de cause, la réalisation d’un taux de croissance à deux chiffres ; la relance de la consommation des ménages et de la performance du secteur privé pour une relance globale de notre économie ; restent d’immenses défis à relever. Au demeurant, ces objectifs ne peuvent être atteints que s’il y a une réduction significative des détournements de deniers publics et l’instauration de la fin de l’impunité des crimes économiques.
Le système sanitaire du Togo n’a subi en vingt ans aucune transformation structurelle nécessaire à la satisfaction des besoins de santé des populations. La contractualisation ne semble pas avoir répondu ni aux attentes des populations ni à celle du personnel
soignant. Les reformes relatives à l’imposition de l’assurance maladie, sans étude approfondie et sans consultation préalable des acteurs concernés, n’ont fait qu’augmenter les charges des entreprises privées, et risquent dans le moyen terme de déstabiliser le secteur de la santé. En termes d’infrastructures, Faure Gnassingbé s’est essentiellement reposé depuis vingt ans sur les CHU et les CHR construits par le Général EYADEMA. Les ménages togolais, après vingt ans de pouvoir de Faure Gnassingbé continuent malheureusement par supporter le poids du coût du financement de la santé à hauteur de 51%.
Les déséquilibres régionaux relatifs à l’accès aux services sociaux de base n’ont pas été corrigés. Une bonne majorité des populations peine à avoir de l’eau potable en particulier dans les zones rurales. Les milliards de FCFA investis sur les projets CONTOUR GLOBAL, KEKELI, SIZO, censés régulariser le déficit énergétique du Togo se révèlent aujourd’hui totalement perdus. En effet, le Togo est en proie à des coupures intempestives d’électricité sur toute l’étendue du territoire depuis plus d’un an.
Par ailleurs, les informations concordantes révèlent les difficultés financières de la CEET.
Faure Gnassingbé durant les vingt dernières années, a complètement négligé notre système éducatif. En lieu et place des réformes qui auraient dû être engagées, notre système éducatif a été piloté au mieux par des arrêtés ministériels au pire par des
communiqués. Les chiffres montrent globalement que Faure Gnassingbé n’a jamais inscrit dans ses priorités l’éducation nationale. En effet les ménages depuis vingt ans supportent le coût de la scolarisation des enfants en moyenne à hauteur de 62,69%.
L’Etat, malheureusement, ne prend en compte que 37,31%. Le Togo est toujours tributaire de l’Aide Publique au Développement (APD) en moyenne pour vingt milliards$ par an. Dès lors, il nous parait évident que notre système éducatif n’a aucun avenir avec Faure Gnassingbé.
La gouvernance s’est réduite à un exercice de propagande politique à des fins de conservation du pouvoir, reléguant au second plan la transformation structurelle du pays.
Ainsi, le projet de création de l’OTR, s’est transformé en un outil d’accumulation de richesse. A ce titre, le budget de fonctionnement des deux régies financières (impôts et douane), est passé en quelques années, d’un peu plus de 5 milliards de FCFA, à 19 milliards de FCFA, pour une institution qui n’a que pour principale attribution, le recouvrement des recettes fiscales. La gestion de l’OTR s’est progressivement muée en celle d’une entreprise privée opérant dans une totale opacité.
Sur un autre registre, la modernisation des infrastructures de transport n’a pas eu lieu.
L’implémentation d’un ambitieux projet de réseau ferroviaire à même de renforcer l’attraction du port de Lomé, et de baisser le coût du transport des biens et des personnes a été abandonnée. Nous n’avons assisté qu’à de petits projets de construction de routes dont les principaux objectifs sont ailleurs. La promesse de la construction d’une autoroute s’est évaporée à l’instar des multiples autres engagements restés sans lendemain. Dans ce contexte, comment croire aux promesses d’accords de transit avec les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES)?
Face à ces défis internes, Faure Gnassingbé préfère se déployer sur la scène extérieure sous le manteau de pacificateur et de médiateur. S’il est louable de contribuer à résoudre les conflits de ses voisins, il est d’autant plus impératif d’assurer d’abord à son peuple
l’accès au minimum vital.
C’est dans un tel climat d’échec, que se prépare une confiscation définitive du pouvoir par une reforme taillée sur mesure. Que vaut l’instauration d’un régime parlementaire dans un pays où les députés et/ou sénateurs sont choisis? Il transparait dès lors, que ces sénateurs, députés, gouverneurs, et autres figures imposées, n’ont d’autre vocation que
d’entériner, sans débats, ni contradiction, la mise en place de Faure Gnassingbé, au mépris de la souveraineté du peuple Togolais. En réalité, ceux qui se congratulent aujourd’hui d’occuper des postes de pouvoir sous ce régime sont en réalité, les plus
enchainés.
Aussi, face à l’arbitraire, le réveil du peuple est plus que jamais nécessaire. Cet asservissement et cette misère planifiée ne sont pas une fatalité. Ils sont le produit de la résignation collective.
Dans ce contexte d’échec des politiques publiques, de projets avortés, de chantiers inachevés, de détournements de deniers publics, la responsabilité
personnelle de Faure Gnassingbé est totale.
Architecte d’un système fondé sur la peur et
l’impunité, il écrase toute voix dissidente par l’intimidation, la violence, les arrestations, ou l’exil. Je rappelle, à toutes fins utiles, que je suis toujours dans l’attente de mon attestation d’origine qui doit servir à la création de mon parti politique. Notre souhait le plus ardent est de contribuer désormais à mettre fin à de telles pratiques qui montrent l’absence de liberté d’association, de réunion, et/ou d’expression. A ceux qui nourrissent l’illusion d’un changement spontané,
je rappelle que rien ne tombe du ciel, sauf la pluie.
La libération d’un peuple est toujours le fruit de son propre courage et de sa lucidité. En tant que mère et membre de la grande famille Gnassingbé, j’ai une responsabilité morale de tirer la sonnette d’alarme, assumant ainsi ma part de vérité. Lorsque les fondations d’une nation sont minées, il n’y-a plus de neutralité possible. Ceux qui croient aujourd’hui être à l’abri découvriront demain qu’ils furent les premières victimes de leur propre lâcheté.
Le Président, Faure Gnassingbé avant de chercher à s’imposer à nouveau sous une nouvelle casquette, doit avoir l’honnêteté de dresser son véritable bilan. Il doit objectivement reconnaitre qu’il vient de passer vingt ans d’errance politique, de régression économique et sociale, d’asservissement du peuple Togolais, et de désespérance nationale.
Il doit cesser de multiplier les poses de premières pierres et commencer par inaugurer ce qu’il a promis depuis vingt ans dans son programme des “vingt plus”. Le Togo n’a pas besoin d’un masque constitutionnel pour dissimuler ses douleurs.
Le Togo a besoin d’un nouveau départ sans Faure Gnassingbé pour enfin reconstruire une république au service de nous tous.
Le Togo a besoin de stabilité, mais pas d’une stabilité imposée par la force et le silence. Il est temps de comprendre que le vrai socle de la paix durable, c’est la justice, l’équité et le respect du citoyen.
Les Togolaises et Togolais attendent des perspectives, pas des blocages. Nos concitoyens
veulent être entendus, pas gouvernés par la peur. Ils veulent d’un État qui protège, pas qui réprime. Des dirigeants qui rendent des comptes, pas qui s’éternisent. Une justice indépendante, des médias libres, des opportunités pour leurs enfants. Le temps des reformes n’est pas une menace: il est une chance.
Le Togo a des ressources, des talents, une culture de paix à valoriser.
Puisse DIEU veiller sur le TOGO.
Mme Essossimna Marguerite GNAKADE
Ancienne Ministre des Armées du Togo
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