Robert Dussey : « Dans les négociations avec l’UE, nos lignes rouges ont été respectées »

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Robert Dussey : « Dans les négociations avec l’UE, nos lignes rouges ont été respectées »
Robert Dussey : « Dans les négociations avec l’UE, nos lignes rouges ont été respectées »

Africa-PressTogo. Les pays africains et l’Union européenne sont parvenus à un compromis qui succède à l’Accord de Cotonou. Acteur clé de ces discussions, le ministre togolais des Affaires étrangères Robert Dussey lève le voile pour Jeune Afrique sur deux années d’intenses négociations, qui ont largement débordé le cadre purement économique.

Négociateur en chef des pays membres de l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP), Robert Dussey, ministre des Affaires étrangères du Togo, peut souffler. Le 3 décembre, il a annoncé conjointement avec la négociatrice de l’Union européenne, Jutta Urpilainen, être parvenu à un accord politique après plus de deux ans d’intenses négociations.

Cette étape ouvre la phase protocolaire qui se matérialisera en 2021 par la ratification et l’approbation du Parlement européen. Si le montant des investissements européens n’est pas encore précisé et si les questions migratoires ont divisé, pour le dirigeant togolais le nouvel accord est sans aucun doute bénéfique pour les pays du continent. Il a répondu aux questions de Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Les négociations sur le cadre post-Cotonou, lancées en septembre 2018, ont abouti à un accord avec l’Union européenne. Quels sont les principaux points du nouvel accord ?

Robert Dussey : Cet accord post-Cotonou auquel nous sommes parvenus vise à instaurer un partenariat politique renforcé entre l’Union européenne et l’OEACP pour obtenir des résultats mutuellement bénéfiques dans des domaines d’intérêt commun.

Il ambitionne de contribuer à la réalisation des objectifs de développement durable (ODD), sur la base du programme de développement durable à l’horizon 2030 et de l’Accord de Paris sur les changements climatiques, en tant que cadres généraux régissant le partenariat.

La coopération est appelée à être plus politique et orientée vers la réalisation de plus grandes ambitions aux niveaux local, national, régional et international.

Quelles sont les nouvelles priorités de l’accord ?

Le socle commun de l’accord définit les principes et les valeurs partagés par toutes les parties prenantes et précise les domaines prioritaires. Il couvre un champ aussi vaste que varié allant de la facilitation du commerce à la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité, la jeunesse, la fonction publique…

Les régions Afrique, Caraïbes et Pacifique ont pu chacune les compléter en tenant compte de leurs priorités et spécificités. Il s’agit là aussi d’une nouveauté.

Que répondez-vous à ceux qui craignent que l’Afrique ait toujours le dessous dans ces négociations avec l’Union européenne ?

Je puis vous assurer que les négociations ont été menées sur une base égalitaire et dans le respect mutuel. L’Afrique sort gagnante dans la mesure où ses priorités – en lien avec son Agenda 2063 et l’Agenda 2030 des Nations unies – ont été globalement prises en compte.

Le nouveau partenariat fait une large part à la coopération commerciale et au développement du secteur privé et à l’agriculture ainsi qu’à la santé, l’éducation et l’autonomisation des femmes, de de même qu’aux questions de paix et à de sécurité. Il appartient à l’Afrique de savoir tirer meilleur parti de cet accord.

Plusieurs exigences des partenaires européens ont été évoquées, notamment concernant la reconnaissance par les pays ACP de règles sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre…

Il s’agit de sujets difficiles et leur traitement dans le processus des négociations n’a pas été aisé. L’OEACP avait des lignes rouges à ne pas franchir et ces questions difficiles en faisaient partie. Nos pays n’ont pas compris la volonté de l’UE d’inclure la question de l’orientation sexuelle et de l’identité sexuelle dans un accord de partenariat.

L’esprit de compromis a prévalu et les deux parties ont convenu de supprimer toute référence spécifique à ces sujets, tout en nous référant, cependant, à l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Reconnue par toutes les parties, cette déclaration interdit toute discrimination fondée sur le sexe, l’origine ethnique ou sociale, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, le handicap, l’âge ou tout autre statut.

Qu’en a-t-il été des exigences concernant l’abolition de la peine de mort ou la collaboration avec la CPI ?

Sur l’abolition de la peine de mort, les deux parties ont convenu de la nécessité de maintenir le dialogue sur la question, tout en appelant au respect des procédures établies et les normes minimales convenues au niveau international quant à l’application de cette peine.

En ce qui concerne la justice internationale, l’OEACP et le partenaire européen ont réaffirmé leur engagement à coopérer avec les systèmes de justice pénale nationaux, régionaux et internationaux, y compris la CPI, conformément au principe de complémentarité.

Le nouvel accord, une fois entré en vigueur, va encourager et non obliger les parties à ratifier et implémenter le Statut de Rome et les instruments liés.

Il apparaît clairement que les États de l’OEACP et précisément ceux d’Afrique n’ont pas « capitulé » durant ces négociations. La logique du compromis a permis d’aboutir à des positions communes sur ces questions et nous ne pouvons que nous en réjouir.

L’immigration était un autre sujet majeur de ces négociations. Qu’ont obtenu les pays africains sur ces sujets ?

C’est une question très sensible à la fois pour l’OEACP et l’UE. S’agissant des négociations sur le retour, la réadmission et la réintégration, le blocage s’est fait sur la question de l’acceptation « sans condition » par les États OEACP de documents de voyage délivrés par l’UE aux fins de retour de migrants en situation irrégulière.

Pas de retour « sans condition » pour les migrants en situation irrégulière comme le souhaitait l’UE
Les ACP ont rejeté cette proposition. Lorsqu’un ressortissant d’un État tiers se retrouve en situation irrégulière sur le territoire d’un autre, le premier devrait procéder aux vérifications selon des procédures d’identification les plus appropriées et les plus efficaces, en vue d’établir la nationalité de la personne concernée et d’émettre les documents de voyage appropriés à des fins de retour.

Il ne s’agirait pas d’un retour « sans condition » comme l’UE l’a souhaité. Les droits de succession et les comptes gelés des migrants légaux décédés ne sont pas inclus dans l’accord car, selon l’UE, cette question relève de la compétence de ses États membres et pourrait être réglée dans le cadre d’accords bilatéraux.

Quant aux migrants économiques, de façon générale, les parties s’engagent à développer des voies légales de migration, y compris pour la migration des travailleurs, et d’autres mécanismes de mobilité, en prenant en compte les priorités nationales et les besoins du marché du travail.

L’accord prévoit trois partenariats régionaux renforcés, dont un entre l’UE et l’Afrique. L’Union africaine sera-t-elle désormais l’interlocuteur de l’Union européenne ?

La principale innovation du nouvel accord réside dans sa forme qui privilégie l’approche régionale. En effet, nous avons convenu que l’Accord post-Cotonou sera constitué d’un socle commun auquel s’adossent trois protocoles régionaux.

Il s’agit toutefois de préserver l’unité de l’OEACP et la force du nombre qu’elle constitue avec l’UE, tout en s’attelant aux défis réels et actuels des populations de chacune des régions. Aussi, les organes de gouvernance prévus pour le protocole Afrique sont le Conseil des ministres conjoint Afrique-UE, le Comité conjoint Afrique-UE et le Comité parlementaire conjoint Afrique-UE.

L’accord reconnaît cependant le rôle des organisations régionales et continentales dans la mise en œuvre du Protocole Afrique. La symphonie de la collaboration entre l’Union africaine et l’OEACP se mettra naturellement en place.

 

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