Togo Liberté de Presse et Droits de L’Homme au Pape

1
Togo Liberté de Presse et Droits de L'Homme au Pape
Togo Liberté de Presse et Droits de L'Homme au Pape

Africa-Press – Togo. Dans une lettre poignante adressée au pape Léon XIV, le journaliste d’investigation togolais Ferdinand Mensah Ayité, en exil en France, salue l’engagement du nouveau Souverain Pontife en faveur de la liberté de la presse et attire son attention sur les graves violations des droits fondamentaux au Togo. Il y dénonce la répression accrue contre les journalistes, les militants et les voix dissidentes dans son pays, tout en appelant le Vatican à user de son influence pour plaider en faveur de la libération des prisonniers politiques et du respect des libertés publiques.

Lettre du journaliste Ferdinand Mensah AYITE au Papa Léon XIV

M. Ferdinand Mensah AYITE

E-mail: [email protected]

Sa Sainteté le Pape Léon XIV,

Souverain Pontife de la Cité du Vatican

Città del Vaticano,

00120 Cité du Vatican

Paris, le 30 Mai 2025

Très Saint Père, Votre Sainteté le Pape, Souverain Pontife,

Journaliste d’investigation en exil en France et lauréat du prestigieux Prix international de la liberté de la presse qui m’a été décerné par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) en novembre 2023 à New York, j’ai été personnellement ému et particulièrement intéressé par votre allocution lors de votre première rencontre avec la presse internationale le 12 Mai 2025 à la Salle Paul VI, au lendemain même de votre élection à la tête du Saint Siège.

Au cours de cette audience, vous avez exprimé votre engagement en faveur de la liberté de la presse en ces termes:

« Permettez-moi donc de réaffirmer aujourd’hui la solidarité de l’Église avec les journalistes emprisonnés pour avoir recherché à rapporter la vérité, et par ces paroles, de demander la libération de ces journalistes emprisonnés. L’Église reconnaît dans ces témoins – je pense à ceux qui racontent la guerre au prix de leur vie – le courage de ceux qui défendent la dignité, la justice et le droit des peuples à être informés, car seuls des peuples informés peuvent faire des choix libres. La souffrance de ces journalistes emprisonnés interpelle la conscience des nations et de la communauté internationale, nous appelant tous à préserver le bien précieux que sont la liberté d’expression et la liberté de la presse ».

Par ces mots, Très Saint Père, vous avez abordé une question cruciale qu’est celle de la liberté d’expression et celle de la presse ; et vous l’avez abordée avec grande pertinence et remarquable maîtrise.

Je tenais à vous en remercier et à saisir cette occasion, pour évoquer avec Votre Sainteté, le cas particulier de la liberté de la presse et d’expression dans mon pays, le Togo où il y a comme une mise à mort lente de la presse.

Le Togo est régenté depuis six décennies par la même famille. Gnassingbé Eyadema d’abord, puis Faure Gnassingbé ensuite, son fils qui est au pouvoir depuis vingt ans et qui vient récemment, par un artifice constitutionnel, de s’y maintenir, désormais à vie, en devenant Président du Conseil alors que pendant deux décennies, il était le Président de la République.

Dès lors et quelques années avant ces changements et aujourd’hui encore, le ton a été durci vis-à-vis de la presse privée locale au point d’entraîner des arrestations, des emprisonnements et des contraintes à exil de nombreux journalistes togolais.

L’institution chargée de la liberté de la presse, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC), est supplantée par le parti au pouvoir qui s’en sert pour museler et persécuter les médias et journalistes de la presse privée jugés trop fouineurs et critiques envers la gouvernance politique, économique et sociale, en dénonçant les situations d’injustice et de pauvreté, de crimes parfois rituels et de corruption généralisée.

On assiste au Togo à des interpellations systématiques et gardes-à-vues illégales et abusives des journalistes par le Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC), une unité de la gendarmerie nationale tristement connue pour l’usage systématique d’actes de torture et autres formes de traitements cruels, inhumains ou dégradants ; des retraits à plusieurs médias de leurs récépissés de parution, des suspensions de parution et d’émissions ; toutes choses qui amènent les journalistes à l’autocensure, et donc à craindre de dire la vérité.

Des journalistes, certains d’un âge très avancé (76 ans) et leurs organes, sont condamnés à de lourdes peines pénales, avec des mandats d’arrêts internationaux, à la suite de procès qui sont loin d’offrir des garanties de procès équitables, et ce, sur la base du code pénal, pour des actes posés dans l’exercice de leur profession et jetés en prison, malgré la dépénalisation du délit de presse au Togo.

J’ai moi-même vécu cette douloureuse expérience entre décembre 2021 et janvier 2022 à la suite d’une émission dénonçant la corruption ; interpellé et emprisonné avec mon confrère Joël Vignon Egah, directeur de publication du journal « Fraternité », ce dernier mourra quelques jours seulement après notre libération. Face à ces nombreuses et réelles menaces qui pèsent sur ma personne, j’étais obligé de partir en exil avec ma famille et certains de mes collaborateurs.

Très Saint Père,

Au-delà de la liberté de la presse et d’expression, c’est aussi toute la liberté d’opinion qui est menacée. Des militants de l’opposition, des membres de la diaspora rentrés au bercail, sont arrêtés, torturés et mis en prison. En somme, toute tentative de dissidence et toute voix dissonante sont étouffées par le pouvoir en place. Les Forces de défense et de sécurité et l’appareil judiciaire sont instrumentalisés pour empêcher l’exercice des libertés fondamentales notamment la liberté syndicale, la liberté d’association, de réunion et de manifestation publique. Le Togo compte aujourd’hui dans ses prisons près d’une centaine de détenus politiques, sans oublier neuf (09) cas de décès en détention par suite d’actes de tortures et des traitements cruels, inhumains et dégradants. M. Jean Paul OUMOLOU, activiste togolais vivant en Suisse, de retour au pays a été arrêté le 3 novembre 2021 et détenu depuis lors dans des conditions inhumaines dans les locaux de la gendarmerie à Lomé, un lieu de détention non conventionnel. Les nombreux appels des organisations des droits de l’homme exigeant sa libération n’ont pas eu d’échos de la part du gouvernement togolais. Le 12 janvier 2025, M. Honoré Sitchope Sokpor alias « AFFECTIO » , jeune poète a été arrêté le 12 janvier 2025 et jeté en prison pour avoir écrit un simple poème d’indignation en reprenant la célèbre formule de feu Mgr Nicodème Barrigah-Bénissan « Fais ta part ». Depuis il est toujours en détention sans aucun espoir de libération. Dans la nuit du 26 mai 2025 à 21 heures, M. Tchalla Essowè Narcisse alias « AAMRON », artiste engagé de la chanson togolais dans la dénonciation systématique de la mal gouvernance, de la corruption au Togo sur les réseaux sociaux, a été kidnappé par une cinquantaine d’agents de la gendarmerie armés jusqu’aux dents dans une rare violence devant sa mère malade, son épouse et ses 4 enfants mineurs. Cette dernière arrestation arbitraire et les appels à l’aide des enfants de l’artiste et sa mère suscitent aujourd’hui une indignation générale dans le pays et au-delà.

A plusieurs reprises, le pouvoir n’a pas hésité à faire recours aux miliciens qui agissent à visages découverts aux côtés des forces de défense et de sécurité, armés de machettes, de gourdins, de cordelettes, s’en prenant impunément aux manifestants et à la population civile.

En juillet 2021, une enquête menée par l’ONG Forbidden Stories qui travaille dans le secteur des médias, a permis de découvrir que plus de 300 numéros togolais apparaissent dans la liste des cibles potentielles du logiciel espion israélien Pegasus, plaçant donc sur écoutes des opposants politiques, des journalistes de la presse privée, des défenseurs des droits de l’homme et des personnalités de l’Église catholique du Togo.

Votre Sainteté, Souverain Pontife,

Je viens par la présente vous encourager dans votre engagement en faveur de liberté de presse et d’expression, tout en attirant de façon particulière votre attention sur le cas spécifique du Togo. Je sais combien, malgré la gestion dictatoriale de son pays et son obstination à se maintenir au pouvoir, le Président togolais Faure Gnassingbé multiplie des visites à Rome, auprès du Saint Siège et auprès de vos prédécesseurs. Je suis confiant que ses prochains séjours seront des occasions de plaider pour le renforcement de la liberté de presse et d’expression, ainsi que la liberté d’association, de réunion et de manifestation publique au Togo, et la libération des prisonniers politiques.

Tout en m’inclinant pour recevoir votre bénédiction, vous priant de bénir le Togo et vous souhaitant un fructueux et rayonnant pontificat, je vous prie d’agréer, Très Saint Père, l’expression de ma très haute considération.

Ferdinand Mensah AYITÉ

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Togo, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here