Africa-Press – Togo. Dans une tribune poignante diffusée ce 12 juin 2025, Mme Essossimma Marguerite Gnakadé, ancienne ministre des Armées du Togo, s’adresse directement aux forces armées et de sécurité. Elle les exhorte à renouer avec leur vocation première: protéger le peuple, non le réprimer. Dans cet appel vibrant, empreint d’émotion et de patriotisme, elle plaide pour une armée républicaine, respectée et au service de la nation, et non au service d’un régime contesté.
FORCES ARMEES ET FORCES DE SÉCURITÉ, REPONDEZ À L’APPEL DE LA NATION
VAILLANTS COMBATTANTS TOGOLAIS, VOUS AVEZ LE DEVOIR DE PROTÉGER ET NON DE RÉPRIMER !
Chers frères, chères sœurs,
Camarades d’armes,
Le 02 mai 2025, j’ai diffusé sur les réseaux sociaux une tribune intitulée « Vingt ans d’espoirs déçus sous Faure GNASSINGBE: l’heure du bilan » que je vous invite à lire si ce n’est déjà fait ; pour vous faire une idée de la gestion calamiteuse de notre Pays. Le 04 juin 2025 j’ai lancé un appel pour la libération de l’ensemble des prisonniers politiques au Togo.
Aujourd’hui Je me permets de m’adresser à vous qui portez l’uniforme, à vous qui avez choisi de servir le Togo et non de le soumettre ; à vous qui avez juré fidélité à la République, à vous qui avez choisi de tenir toujours haute la flamme nationale.
Par respect pour cet engagement, par amour pour votre peuple, il est temps d’écouter votre conscience, d’écouter votre cœur, il est temps que vous preniez vos responsabilités. Le Togo d’aujourd’hui et de demain vous sera infiniment redevable.
Je ne viens pas vous parler en responsable, je viens vous parler en femme togolaise. C’est un cœur et une âme qui vous parlent. Ce sont mes entrailles qui frémissent tout au fond de moi. Et ce que j’ai à vous dire ne peut plus attendre.
La vocation première des forces de défense et de sécurité, c’est la défense du territoire et assurer la sécurité de la Nation. Elles (les FDS) ne peuvent pas, et ne doivent pas devenir l’instrument dont se sert une oligarchie pour opprimer et assujettir l’innocent peuple qui ne demande rien d’autre que le respect de ses droits fondamentaux.
Chaque militaire, chaque gendarme, chaque policier, sait, au fond de lui que le bon militaire donne tout ; il se sacrifie pour que vive la multitude, et non l’inverse. Le rôle des forces de défense et de sécurité n’est donc pas au Togo de tirer sur son propre peuple, son rôle est de le défendre, de le protéger, de le servir, de mourir pour lui s’il le faut, mais jamais de le trahir ou l’asservir.
Nous savons bien que c’est par contrainte qu’il vous arrive de réprimez les manifestants. Le rôle des forces de défense et de sécurité n’est pas de réprimer lors d’une manifestation. Car manifester est un droit constitutionnel. Et dans une République digne de ce nom, on ne répond pas à la soif de justice par la brutalité et la répression.
Forces de défense et de sécurité, sachez que votre vie a trop de valeur pour l’offrir à un seul homme. Votre vie est trop précieuse pour la sacrifier au service de la violence contre vos propres frères et sœurs. Il est temps d’écrire votre part de l’histoire et en lettre d’or dans les cœurs de chaque Togolaise et de chaque Togolais. Réveillez-vous, l’histoire vous sera reconnaissante.
Autrefois, le militaire togolais portait son uniforme avec fierté. Il faisait l’honneur de son peuple. Il pouvait marcher droit, tête haute ; salué par les citoyens, respecté par les enfants et admiré par la jeunesse. Il inspirait confiance. Aujourd’hui, cette fierté a disparu.
Le militaire n’a plus envie d’être vu en tenue dans la rue. Il la cache, ou parfois il l’enlève avant de retourner chez lui à cause de la peur, il sait que l’uniforme qu’il porte ne suscite plus le respect d’antan, mais la méfiance, la terreur, parfois même le mépris et la colère.
Pourquoi?
Qui vous a volé votre honneur, votre dignité, votre aura? Vous le connaissez, nous le connaissons tous. Voici venue l’heure de la délivrance.
Autant le civil craint ou dédaigne le militaire dans sa tenue, autant le militaire redoute le regard méfiant du civil. Ce lien de confiance est brisé. Ce lien sacré entre l’armée et son peuple a été sacrifié sur l’autel de la répression, de l’instrumentalisation politique et du reniement des valeurs républicaines au profit de la satisfaction des désirs et des errances d’une seule personne.
Mais il n’est pas tard pour corriger ces erreurs du passé, il n’est pas tard pour se redresser, il n’est pas tard pour redevenir une armée digne et respectée: une armée républicaine.
Vous n’êtes pas les ennemis du peuple. Vous en êtes les enfants, frères et sœurs d’une même nation et à la fin de votre service militaire, vous deviendrez à nouveau civils. Vos familles, vos amis, des voisins qui aspirent à la liberté, à la dignité, à une vie meilleure, ce peuple que l’on vous demande si souvent de réprimer sera demain votre entourage, votre communauté, votre miroir. Ne vous laissez plus instrumentaliser. Ne vous laissez pas enfermer dans une fonction déconnectée de la réalité.
La vérité est simple: aucun militaire, aucun gendarme et aucun policier ne peut dormir tranquille quand le peuple a faim. Aucune caserne ne peut être un havre de paix pendant que les marchés, les villages, les quartiers pleurent et sombrent dans la désolation et dans la misère.
Aujourd’hui vous avez une chance que d’autres n’ont pas eue: celle de choisir le camp de l’honneur, de refuser de faire couler le sang de vos propres frères, de vous tenir aux côtés et non contre le peuple.
Aucun uniforme n’est éternel. Mais la conscience est immortelle et l’honneur demeure toujours. Le souvenir de ce que vous aurez défendu, ou de ce que vous aurez permis, restera.
Nous ne vous demandons pas de trahir la République. Nous vous demandons de la sauver. De retrouver l’essence de votre engagement. Car défendre la République, C’est refuser d’être l’arme d’une dictature. C’est dire non à l’injustice. C’est se rappeler que la légitimité vient du peuple et non de la peur.
Forces de défense et de sécurité, depuis trop longtemps, le pouvoir en place vous a utilisés non comme un bouclier pour le peuple, mais comme un instrument de sa domination. Trop souvent, des ordres iniques ont transformé des fils et filles de ce pays en ennemis de leur propre peuple. Trop souvent, des mains armées ont frappé des civils sans armes.
Vous le savez: l’ennemi du Togo n’est aucunement dans les rues. Il est dans les palais où l’on confisque le pouvoir, dans les couloirs où l’on méprise la souffrance et la misère du peuple.
Braves agents des forces de défense et de sécurité, regardez et voyez au-delà des ordres. En tirant sur vos compatriotes, vous tuez une partie de vous-mêmes.
Chers anciens combattants, vous avez transpiré, et même souvent coulé de votre sang, pour des idéaux parfois qui méprisent et bafouent les droits fondamentaux. Votre parole est précieuse. Votre silence est lourd et coupable. Le Togo a besoin de votre sagesse, de votre exemple. Dites-le clairement: aucun régime ne mérite qu’on piétine continuellement le peuple pour le maintenir en place. Ceux qui ont versé leur sang pour défendre notre territoire, ceux qui ont connu les valeurs militaires à une époque où elles avaient encore un sens, savent ce que représente le mot loyauté. Loyauté à la patrie, loyauté à un pouvoir légitime dans la vérité et la dignité humaine.
Mon message ici n’est pas un appel à la révolte. C’est un appel à la conscience.
C’est un cri du cœur pour que les forces de défense et de sécurité retrouvent leur place non dans la terreur, mais dans la protection et l’honneur. Il est grand temps de redevenir des forces républicaines. Une composante qui protège les manifestants, pas une force brutale qui les réprime. Des forces qui défendent les droits fondamentaux et non celles qui les piétinent. Des professionnels qui honorent leur uniforme, pas des agents qui en usent comme une menace.
Je vous le dis avec gravité et sincérité: le moment est venu de vous souvenir et de vous rendre compte que votre engagement vous lie au peuple, et non à un pouvoir. N’oubliez pas que le chef des armées a lui-même un chef, le Peuple. Ne soyez pas le dernier rempart d’un régime usé. Soyez les premiers bâtisseurs d’un Togo nouveau.
Des mères se privent pour nourrir leurs enfants. Des jeunes n’ont que deux alternatives: l’exil ou l’errance. Des pères pleurent en silence parce qu’ils n’ont plus d’espoir.
Et nous? Allons-nous détourner les yeux pendant que la nation saigne?
Non, chers frères d’armes, le vrai combat, aujourd’hui est social, il est moral et il est national. Il n’est pas pour le pouvoir d’une seule personne contre son peuple.
L’ennemi, ce n’est pas seulement le terrorisme aux frontières. L’ennemi, c’est la misère dans nos maisons et dans les rues. C’est l’indifférence des dirigeants qui ronge notre humanité. C’est l’injustice qui humilie notre peuple. C’est la faim qui tue lentement, sans bruit et sous nos yeux, nos concitoyens. Et dans ce combat-là, vous êtes indispensables. Le pouvoir que vous avez, c’est aussi une responsabilité: celle d’être les gardiens du peuple, et non les remparts d’une minorité. Ce combat pour un Togo digne, libre, juste, est aussi le vôtre.
Alors je vous appelle, aujourd’hui, à une prise de conscience historique. Soyez du côté de ceux qui souffrent. Soyez les voix des sans voix. Soyez les bâtisseurs d’un avenir où l’on pourra, enfin, être fier d’avoir servi. Soyez enfin du bon côté, du côté de votre peuple.
Le Togo ne se relèvera pas sans ses forces de défense et de sécurité. Mais les forces de défense et de sécurité, ne pourront se relever que si elles se tiennent fermement du côté du peuple.
C’est ensemble que nous devons faire front, ensemble que nous devons dire non à l’indifférence. C’est ensemble que nous devons remporter la vraie victoire: celle de la justice, de la dignité, et de l’unité nationale.
Le moment est venu de faire le bon choix.
Forces de défense et de sécurité de notre beau pays le Togo, vaillants combattants, venez, bâtissons la Cité !
Lomé, le 12 juin 2025
Mme Essossimma Marguerite GNAKADE
Ancienne ministre des Armées du Togo
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