Comment les traumatismes se transmettent

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Comment les traumatismes se transmettent
Comment les traumatismes se transmettent

Africa-Press – Togo. Famines, guerres, crises économiques: l’histoire de l’humanité est jalonnée d’événements traumatisants. Qui n’affectent pas que la génération qui les subit, avancent les scientifiques depuis une dizaine d’années, mais aussi leur descendance, et ce sur plusieurs générations.

Les personnes conçues lors d’événements traumatisants vieillissent et meurent plus rapidement que le reste de la population. Elles sont aussi plus souvent sujettes à des maladies métaboliques comme le diabète ou l’obésité. Ainsi, selon une étude publiée dans les PNAS fin 2022, les individus dont la mère était enceinte durant la Grande Dépression aux États-Unis ont présenté un risque accru de mortalité et de déclin physiologique.

D’après l’analyse du sang d’environ 800 personnes, les effets du traumatisme se répercutent au niveau cellulaire. Ainsi, les cellules d’individus nés dans des États fortement touchés économiquement durant cette longue crise ont montré des signes de vieillissement anormalement rapides. Dans une étude de 2014, une équipe américano-néerlandaise avait déjà constaté que les personnes ayant vécu la famine in utero entre l’hiver 1944 et mai 1945 aux Pays-Bas sont mortes plus jeunes que celles nées avant ou après. D’autres études ont mis en évidence une augmentation du diabète au sein de cette même population.

Rigoureusement, ce ne sont pas les traumatismes eux-mêmes qui sont transmis, mais leurs conséquences chez les personnes qui les ont subis: troubles du comportement, de la mémoire, de l’équilibre ou du métabolisme. Parfois aussi des troubles immunitaires, cardiaques, ou encore des modifications des microbiomes. Les symptômes et leur intensité dépendent du trauma – au-delà des guerres et des famines, il peut s’agir par exemple de violences domestiques -, de la façon dont il a été subi, du moment dans la vie (dans la petite enfance ou à l’âge adulte) et de sa durée.

Des micro-ARN porteurs d’informations héréditaires

Mais, l’enfant étant exposé depuis sa vie fœtale aux mêmes traumatismes que ses parents, cette transmission ne peut-elle pas s’expliquer par les seules conditions sociales et l’environnement psychologique familial ? Tant de facteurs entrent en jeu que les éléments de preuve chez l’humain sont difficiles à isoler. Aussi les scientifiques testent l’hypothèse d’une base biologique de cette transmission chez l’animal.

Dès 2014, la biologiste Isabelle Mansuy, de l’École polytechnique fédérale de Zurich (Suisse), a montré avec son équipe que les troubles du comportement dus au stress peuvent être légués aux générations suivantes chez des rongeurs (Nature Neuroscience). De jeunes souris mâles ont été séparées de leurs mères à plusieurs reprises lors des premiers jours après la naissance.

S’est alors développé un étonnant trouble du comportement: les jeunes souris ont perdu en partie leur crainte naturelle des espaces ouverts et de la lumière. Surtout, leur progéniture a présenté par la suite le même comportement alors qu’elle n’avait pas été exposée au stress. Comme l’étude n’a porté que sur des individus mâles, les chercheurs en ont déduit que la transmission des conséquences des traumatismes ne s’était pas faite de la mère à l’enfant in utero. Ces résultats ont été par la suite reproduits et précisés.

Selon ceux publiés en 2022, la transmission paternelle s’observe jusqu’à cinq ou six générations successives. La transmission maternelle existe également: elle a été mise en évidence pour deux générations. “On ne peut pas du tout extrapoler aux humains “, met toutefois en garde la généticienne. En particulier parce que chez les souris de laboratoire, la diversité génétique est très faible, contrairement aux populations humaines. Ce modèle animal ne permet donc pas de reproduire la diversité des comportements observés chez les humains.

Il n’en reste pas moins qu’il faut expliquer comment de jeunes individus présentent les mêmes troubles du comportement que leurs aïeux ayant vécu une situation traumatisante. Selon Isabelle Mansuy, l’explication est à chercher dans les modifications de l’épigénome, c’est-à-dire des modifications chimiques sur des gènes qui conduisent à changer leur expression. Plusieurs mécanismes peuvent entrer en jeu: l’ajout d’une structure chimique – un groupement méthyle – sur l’ADN, la modification de protéines impliquées dans le compactage de l’ADN – les histones -, ou encore l’action de micro-ARN qui régulent l’expression de certains gènes.

“Les recherches se sont d’abord concentrées sur la méthylation de l’ADN, car c’est techniquement assez facile de la mesurer ; des kits existent pour cela chez les humains”, explique Isabelle Mansuy. Facile mais peut-être trompeur. D’après cette spécialiste de neuro-épigénétique, de nombreuses études tirent de fausses conclusions de l’observation de méthylation de l’ADN sur un ensemble de cellules. Elle peut avoir un effet sur l’expression de gènes de quelques pour cent, comme n’avoir aucun effet. Et, même si l’expression d’un gène est modifiée, cela n’a pas pour autant de conséquences pour la cellule.

Les ARN retiennent désormais toute l’attention pour expliquer la transmission des effets des traumatismes. “Je pense que les preuves concernant les ARN non codants s’accumulent réellement “, confirme Bart Rutten, psychiatre spécialiste des interactions gènes-environnement et d’épigénétique à l’Université de Maastricht (Pays-Bas). Ses travaux portent notamment sur les preuves de l’héritage transgénérationnel des traumatismes chez l’humain.

Encore beaucoup d’inconnues

Chez les souris, les pères transmettent les altérations de l’épigénome par leur sperme. Plusieurs travaux ont mis en évidence que des micro-ARN présents dans les spermatozoïdes sont porteurs d’informations héréditaires. “Des micro-ARN injectés dans les œufs fécondés de souris contrôles sont capables à eux seuls de reproduire chez les animaux provenant de ces œufs fécondés les phénotypes [caractéristiques observables] du père “, précise Valérie Grandjean, chercheuse à l’Inserm, qui a mené des travaux sur des souris obèses et diabétiques. Les modalités de la transmission maternelle ont été moins étudiées jusqu’à présent.

Il reste de plus beaucoup d’inconnues. On ignore notamment s’il existe d’autres facteurs potentiels que l’ARN, ou comment les altérations liées à l’ARN sont maintenues dans le temps (l’ARN étant peu stable), ou encore comment relier les modifications de l’épigénome aux symptômes observés chez les descendants. Et on ne sait pas ce qu’il en est chez l’humain. Pour l’heure, les scientifiques ont observé des méthylations de l’ADN consécutives à des traumas, notamment chez des anciens soldats atteints du trouble de stress post-traumatique. Des travaux en cours semblent confirmer la piste ARN. Mais la preuve définitive de la transmission – autre que culturelle – sur plusieurs générations reste à apporter.

Par Léna Hespel

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