Africa-Press – Togo. C’est un événement assez peu connu et qui a pourtant été dévastateur pour l’empire romain. En 367 après J.-C, une coalition de « barbares » c’est-à-dire de Pictes, d’Ecossais et de Saxons défait les garnisons romaines en Bretagne Romaine. Les soldats désertent le mur d’Hadrien, un commandant est tué et un général de haut rang capturé. “La Conspiration barbare” désorganisa pendant deux ans l’île avant que les généraux de Valentinien 1er, empereur romain d’Occident, ne parviennent à faire revenir le calme.
Et cette catastrophe militaire pourrait avoir pour cause… une catastrophe climatique et plus précisément plusieurs années de sécheresse extrême, identifiées par les cernes de croissance des chênes dans une étude de l’Université de Cambridge publiée dans la revue Climatic Change le 16 avril.
Trois années marquées par la sécheresse
“Il existe assez peu de preuves archéologiques sur l’évènement et on ne sait pas encore très bien pourquoi il s’est produit. Lorsqu’il est apparu que le modèle hydroclimatique était inhabituel, on a voulu creuser le matériel littéraire pour comprendre”, explique à Sciences et Avenir le chercheur principal de l’étude, Charles Norman. Une des seules sources de l’époque est l’historien romain Ammien Marcelin qui évoque une trahison au sein des troupes stationnées le long du mur d’Hadrien, permettant aux Pictes de se faufiler par la terre et par la mer. En même temps, les Scots envahirent depuis l’Irlande l’ouest de la Bretagne et les Saxons arrivèrent au Sud, depuis le continent.
Les trois années précédant la conspiration, les étés ont été marqués par une sécheresse extrême: il a plu presque deux fois moins de pluie en 364, 365 et 366 avec respectivement 29, 28 et 37 mm, contre 50 mm en moyenne entre 350 et 500 apr. J.-C. Un des chercheurs impliqués dans l’étude, Ulf Büntgen, avait déjà utilisé l’étude des cernes d’arbres pour analyser l’impact climatique de plusieurs évènements, notamment l’invasion des Huns dans l’Empire Romain et même sa chute.
Enregistrements hydroclimatiques de 350 à 500 apr. J.-C. Les sécheresses des années 364 à 366 sont le pic le plus bas de l’échantillon et sont très rares. Crédits: Charles Norman et al.
Dendroclimatologie
La science qui se base sur l’étude de la taille des cernes des arbres s’appelle la dendroclimatologie: chaque anneau représente une année de croissance. La température, la pluie, l’ensoleillement vont alors influencer la largeur de chaque anneau. En général, des anneaux étroits indiquent plutôt une période de sécheresse.
Première étape donc de cette « Conspiration barbare »: la sécheresse qui aurait conduit à une pénurie alimentaire et à une famine. Les cultures d’épeautre et d’orge étaient notamment très vulnérables au manque de pluie. Or les céréales représentent un lien crucial dans le contrat entre les soldats et l’armée: l’approvisionnement est réduit sur le mur d’Hadrien, ce qui a dû mécontenter les garnisons jusqu’à la rébellion. En plus de l’isolement géographique de la province, Rome est occupée pendant ce temps à la frontière du Rhin. “Ces facteurs ont limité la résilience et ont permis de submerger les défenses affaiblies”, détaillent les chercheurs dans l’étude tout en soulignant l’instabilité croissante dans l’ensemble de l’Empire romain durant cette période.
“Il ne faut pas non plus tenter de simplifier l’étude et l’histoire des pressions sociopolitiques qui ont agi sur la Bretagne romaine et l’Empire romain d’Occident pendant des siècles », soulignent les auteurs de l’étude. Les scientifiques ont d’ailleurs étendu leur analyse des conflits climatiques entre 350 et 476 apr. J.-C. et créé un modèle reliant les sécheresses prolongés à des conflits, en passant par le schéma de cet évènement: mauvaises récoltes, pénuries alimentaires, instabilité sociétale et enfin conflits ouverts.
Une conspiration qui aurait mené à l’abandon de la Bretagne
L’impact de la « Conspiration » sur l’avenir de la Bretagne Romaine est débattu. ”L’ampleur des destructions et de la restauration ultérieure fait l’objet de débats permanents, et certains historiens affirment que la province ne s’en est jamais complètement remise”, évoque l’étude. Charles Norman souligne le fait que la réponse romaine a dû passer par l’envoi de puissants renforts militaires. Ils ont d’abord été dirigés par les généraux Sévère et Jovi, sans succès, puis par un officier très respecté, Théodose l’Ancien. « Il est difficile de déterminer dans quelle mesure cet événement a contribué à l’abandon de la Bretagne Romaine vers les années 410 mais c’était certainement un signe des choses à venir.”
Le modèle proposé par les chercheurs pourrait être appliqué ailleurs, dans d’autres époques et même des conflits plus récents comme ceux en Afrique Subsaharienne, selon Charles Norman, qui ont été “déclenchés en partie par des sécheresses prolongées et des famines subséquentes”. Un lien entre climat et conflit, toujours aussi fort aujourd’hui.
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