La peste a-t-elle provoqué des épidémies en Europe au Néolithique ?

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La peste a-t-elle provoqué des épidémies en Europe au Néolithique ?
La peste a-t-elle provoqué des épidémies en Europe au Néolithique ?

Africa-Press – Togo. Des analyses d’ADN ancien réalisées sur les restes d’une centaine d’individus ayant vécu il y a environ 5000 ans dans le sud de la Scandinavie ont mis en évidence la présence chez 18 d’entre eux d’une infection par la bactérie Yersinia pestis, l’agent pathogène de la peste. Comme l’explique dans la revue Nature l’équipe pluridisciplinaire, dirigée par l’Institut du globe de l’université de Copenhague (Danemark), à l’origine de cette découverte, voilà une nouvelle preuve du potentiel contagieux de l’infection, qui pourrait même avoir donné lieu à une épidémie.

Deux « écoles » s’affrontent en effet quant aux formes préhistoriques de la peste déjà identifiées sur plusieurs sites européens: certains pensent que la zoonose n’affectait que des cas isolés, d’autres lui attribuent un rôle plus dévastateur. Pour ces derniers, dont font partie les auteurs de l’étude, elle aurait contribué au déclin démographique des populations européennes au néolithique.

La peste a-t-elle provoqué des épidémies en Europe au Néolithique ?

C’est en 2020 que l’on a découvert en actuelle Lettonie les plus anciennes traces génétiques du bacille de la peste chez un homme qui vivait il y a plus de 5000 ans. Yersinia pestis ne serait apparue que quelques centaines d’années plus tôt, en divergeant de l’entéropathogène Yersinia pseudotuberculosis. Elle s’est ensuite propagée en se ramifiant en plusieurs lignées, dont la plupart sont aujourd’hui éteintes.

La plus représentée en Eurasie à l’ère préhistorique est la variante LNBA (Late Neolithic and Bronze Age, fin du Néolithique et âge du bronze), identifiée sur des squelettes remontant à près de 4700 ans. Elle s’est répandue en l’espace de seulement quelques siècles vers l’Europe centrale, puis occidentale, en se diversifiant elle-même en deux lignées: l’une, très rare, dotée du gène de virulence noté ymt (Yersinia murine toxin), et l’autre, plus fréquemment observée, dépourvue de ce gène, « qui est crucial pour la survie de la bactérie dans le tube digestif de la puce lorsque la source est une souris, un rat noir ou un humain infecté, et donc pour le développement de la peste bubonique », précise l’étude. La plupart des occurrences préhistoriques n’étaient donc pas des pestes buboniques.

Carte montrant la distribution des souches de Yersinia pestis du LNBA et du Néolithique connues en 2023. Les points turquoise représentent les génomes LNBA présentant le gène de virulence ymt ; en violet et orange, les génomes LNBA dépourvus du gène ymt ; en gris, les souches néolithiques de Yersinia pestis (en Lettonie et en Suède), qui ne possèdent pas non plus ymt. Crédits: Swali et al., 2023

Les souches néolithiques de Yersinia pestis

Jusqu’à présent, seulement deux individus porteurs de souches antérieures à la lignée LNBA avaient été identifiés: le chasseur-cueilleur de Lettonie qui vivait vers 3300-3050 avant notre ère et qui est le plus ancien humain infecté par Yersinia pestis, et une jeune femme inhumée en Suède vers 3035-2856 avant notre ère, dont les ancêtres étaient des agriculteurs venant d’Anatolie.

Malgré les fortes similitudes entre ces deux cas, les conclusions des chercheurs ayant analysé leurs restes s’opposent complètement: l’équipe qui a identifié le plus ancien génome de Yersinia pestis chez le chasseur-cueilleur letton estime que « ces premières formes de peste sont probablement le résultat d’événements zoonotiques sporadiques », tandis que celle qui a découvert la Suédoise considère que « les résultats confirment le rôle de la peste dans le déclin du Néolithique ». Les occurrences de la peste au néolithique doivent-elles être interprétées comme de simples cas isolés ou révèlent-elles des infections de plus grande ampleur ? Les nouvelles données acquises en Scandinavie viennent renforcer la seconde de ces théories, mais suffisent-elles pour autant à clore le débat ?

L’échantillon scandinave prouve que le bacille était largement répandu

Au cours de cette étude, les chercheurs ont analysé les restes de 108 individus provenant de huit tombes mégalithiques de Suède et d’une ciste en pierre du Danemark. La bactérie ayant été identifiée chez au moins 17% des individus dont l’ADN ancien a pu être séquencé, les chercheurs en concluent qu’elle était alors « largement répandue dans le sud de la Scandinavie il y a 5000 ans ».

Dans la mesure où ils sont arrivés à reconstituer plusieurs pedigrees au sein des sépultures familiales – dont un comprenant 61 individus sur 6 générations –, ils concluent également que la peste s’est propagée en au moins trois vagues distinctes sur une période d’environ 120 ans. Il ne s’agit donc pas d’une « épidémie de peste rapide et mortelle », précisent ainsi les auteurs, mais de différentes formes de propagation, dont le taux de mortalité reste inconnu, mais peut être plus ou moins déduit à partir du nombre d’individus des générations suivantes.

Les sites suédois et danois où les échantillons ont été prélevés. Les croix noires désignent les individus positifs à la peste. Crédits: Seersholm et al., 2024 / Nature

Quelle était la virulence de ces anciennes souches de peste ?

Pour estimer la pathogénicité de ces trois anciennes souches de peste, les chercheurs analysent leurs génomes respectifs pour voir s’ils contiennent les deux gènes de virulence connus, le prophage YpfΦ (un phage filamenteux qui a infecté Yersinia pestis peu après son émergence) et ymt. Leurs résultats indiquent l’absence de ces gènes, mais la présence du gène ypm, spécifique à certaines souches de Yersinia pseudotuberculosis, et absent de toutes les lignées qui ont divergé à la fin du néolithique.

Ce gène pourrait avoir codé la virulence dans la dernière souche détectée chez les individus scandinaves séquencés, comme l’explique à Sciences et Avenir le paléogénéticien Frederik Seersholm, qui est le premier auteur de l’étude: « Deux observations principales indiquent que cette dernière souche de peste (souche C) pourrait avoir eu un impact plus important que les précédentes: le fait qu’on ne la trouve que dans les dernières générations, où elle est incroyablement abondante chez 6-7 individus, et la présence d’une combinaison de gènes jusqu’ici non décrite dans le locus ypm. Le gène ypm et les gènes voisins du même locus sont connus chez Yersinia pseudotuberculosis, où ils ont été associés à la ‘fièvre scarlatine d’Extrême-Orient’, une maladie capable d’atteindre des proportions épidémiques. L’allèle ypm que nous décrivons étant nouveau, nous ne savons pas si cette combinaison de gènes est plus virulente. Mais nous savons que la combinaison de gènes des souches A et B l’est moins, car elles possèdent un allèle ypm connu. »

Les génomes de la peste connus. RV2039 = le chasseur-cueilleur letton ; les souches A, B et C ont été identifiées au cours de cette étude ; la souche C est identique au génome de la jeune Suédoise déjà découverte (Gökhem 2). Crédits: Seersholm et al., 2024 / Nature

Quelles étaient les voies de transmissions des pestes néolithiques ?

Dans la mesure où ces souches détectées en Scandinavie étaient dépourvues du gène ymt, qui assure la survie de Yersinia pestis dans le tube digestif de la puce, les chercheurs savent que cette dernière n’était pas le vecteur de la maladie. « La manifestation de la peste néolithique ne ressemblait probablement pas à la peste bubonique », en concluent-ils. Mais comme la peste est une zoonose, elle suppose un hôte animal.

Les chercheurs réfutent ici la théorie de la zoonose sporadique, puisque leurs analyses démontrent « la fréquence élevée de la maladie » dans la Scandinavie du néolithique – ils précisent d’ailleurs que le taux de 17% détecté dans leur étude est sans doute inférieur à la fréquence réelle, car leur échantillon comprend des individus « bien conservés » et que le taux de dépistage varie selon le matériel testé. D’autres voies sont donc envisageables: « Nous pensons que la maladie a pu se propager directement entre les humains, ou peut-être en se servant des poux de corps comme vecteur », nous confie ainsi Frederik Seersholm.

La peste a-t-elle joué un rôle dans le déclin démographique du Néolithique ?

Peut-on conclure de ces multiples occurrences que la peste a joué un rôle dans le déclin de la population au Néolithique ? Pour le paléogénéticien, cela ne fait presque plus aucun doute: « Ce que nous savons avec certitude, c’est qu’il y a environ 4800 ans, les populations dont les ancêtres étaient des agriculteurs anatoliens ont complètement disparu de Scandinavie. Ils se sont pratiquement éteints et ont été remplacés par une nouvelle population de personnes ayant des ancêtres venus des steppes. Le principal débat porte sur la question de savoir si la peste est à l’origine de ce déclin. Ce que notre étude apporte à ce débat, c’est qu’elle montre de manière concluante que la peste n’était pas rare dans la Scandinavie néolithique. En outre, nous apportons des éléments qui suggèrent fortement que la maladie a pu se propager au sein d’une population humaine (sinon nous n’aurions pas observé une prévalence aussi élevée au sein d’une même famille). L’ensemble de ces données démontre que la peste avait la capacité de provoquer une épidémie à l’échelle requise pour entraîner un effondrement démographique. »

Entre la fin du 4e et le début du 3e millénaire avant notre ère, la population d’Europe du Nord a fortement diminué. Si diverses hypothèses ont été avancées (conflits, mauvaises récoltes, maladies…), aucune n’explique à elle seule ce phénomène. Pour Frederik Seersholm, ce qui compte avant tout, c’est d’avoir réussi à infirmer l’hypothèse de la zoonose sporadique en démontrant la présence d’une épidémie de peste dans cette vaste région européenne.

Mais peut-on dire pour autant que cette épidémie est à l’origine du déclin démographique qui a touché le continent ? « Il reste à démontrer de manière concluante si cela s’est effectivement produit », reconnaît le chercheur. De nouvelles découvertes à une échelle encore plus grande seront donc nécessaires pour confirmer ce qui relève encore de l’hypothèse.

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