Africa-Press – Togo. « C’est comme si la personne devenait le spectateur privilégié de sa propre désintégration ». Dans son live Pour Sophie et tous les autres, Enquêtes pour le droit de choisir sa mort, co-écrit avec Angèle Delbecq et Jean-Louis Touraine, Mark Hunter décrit le cauchemar qu’a vécu sa femme, décédée des suites de la maladie de Charcot, après des mois de souffrance.
Aussi appelée sclérose latérale amyotrophique (SLA), ce syndrome entraîne une paralysie progressive des muscles, affectant ainsi la mobilité, la parole, la déglutition… jusqu’à la respiration, mais sans altérer la conscience et le raisonnement dans la majorité des cas. Son pronostic est sombre: « l’issue est fatale après 3 à 5 ans d’évolution en moyenne », indique l’Inserm. Et aujourd’hui, il n’existe aucun traitement de fond. Seuls quelques médicaments, tels que le riluzole et l’edaravone, offrent des bénéfices modestes pour prolonger la durée de vie de certains patients et pour les soulager.
Dans l’espoir de pallier ce manque, des chercheurs de l’Université Case Western Reserve (Etats-Unis) ont exploré les mécanismes déclencheurs de la maladie. Ils ont mis en évidence un dysfonctionnement dans la communication entre les différents organites, le nom donné aux éléments d’une cellule. Mieux: leurs travaux ont également permis d’identifier une piste thérapeutique, en bloquant le mécanisme de réponse au stress. Ces résultats prometteurs ont été publiés dans la revue EMBO Molecular Medicine.
La maladie de Charcot affecte les motoneurones
La maladie de Charcot, qui se déclare le plus souvent entre 50 et 70 ans, est une affection des motoneurones, les cellules nerveuses à l’origine du mouvement. Il existe deux types de ces cellules nerveuses: le premier part du cerveau et s’arrête à la moelle épinière et le second prend le relai jusqu’aux muscles. Si le diagnostic de la SLA est difficile à poser, c’est que les symptômes sont très hétérogènes au début de la maladie et dépendent notamment du type de motoneurone qu’elle touche en premier.
Elle peut débuter au niveau du tronc cérébral, dans 30% des cas, et ainsi provoquer une difficulté à articuler ou à déglutir. C’est la forme « bulbaire ». Mais d’autres patients ressentent en premier une gêne dans la jambe, ou une faiblesse dans la main, signe que la maladie a d’abord altéré le second type de motoneurones: les cellules nerveuses périphériques. On parle alors d’atteinte « spinale ». « On ne peut être certains que le diagnostic est celui de la SLA que lorsque les deux motoneurones sont atteints, explique Emmeline Lagrange, neurologue au CHU de Grenoble. Tant qu’un seul des deux est touché, on peut espérer un diagnostic différentiel ».
À mesure que le syndrome évolue, on observe un dysfonctionnement moteur qui aboutit à la paralysie par groupe de muscles, des membres jusqu’au visage. Il est à l’origine d’une souffrance extrême, à la fois physique et psychologique pour le patient qui reste conscient de la dégradation de son état. « La SLA est une maladie très variable: différents gènes et voies cellulaires peuvent influencer son évolution. C’est pourquoi les traitements ‘universels’ sont souvent insuffisants et les approches personnalisées, si urgentes », remarque Helen Miranda, première autrice de la nouvelle étude.
La forme génétique de la maladie de Charcot
L’origine de la maladie est plurifactorielle. L’environnement et la génétique l’influencent. On estime qu’elle est familiale dans 10% des cas. C’est cette forme génétique que les chercheurs de l’Université Case Western Reserve ont étudié. « Bien que la SLA génétique soit rare, elle nous donne un aperçu des causes profondes de la maladie, indique la biologiste, lors d’une interview pour Sciences et Avenir. Dans cette étude, nous nous sommes concentrés sur une mutation du gène VAPB, qui se transmet dans les familles. »
Ce déclencheur de la maladie est bien connu des scientifiques et a permis à l’équipe de Helen Miranda de comprendre comment cette mutation affectait les motoneurones. Si la forme la plus courante de la SLA, dite sporadique c’est-à-dire sans risque génétique familial, n’a pas de cause génétique claire, les scientifiques constatent souvent des mécanismes communs, tels que des problèmes de stress cellulaire ou de fonction des mitochondries qui produisent l’énergie dans nos cellules. « La compréhension de la forme génétique peut donc nous donner un aperçu plus large de la maladie dans son ensemble », assure la biologiste.
Le système d’alarme déraille
Pour chaque expérience, les chercheurs cultivent des centaines de milliers, voir des millions, de motoneurones dans des boîtes de Pétri, à partir de cellules souches provenant de patients porteurs de la mutation. Ils analysent alors les changements moléculaires, l’activité électrique et la réponse à des traitements dans un environnement contrôlé qui imite le système nerveux humain. Résultat? La mutation du gène VAPB altère la communication des différentes parties de la cellule.
En effet, cette séquence d’ADN initie la production de protéines qui contribuent au lien entre les différents organites. « La mutation VAPB perturbe la connexion physique et fonctionnelle entre le réticulum endoplasmique et les mitochondries, deux compartiments clés de la cellule », révèle Helen Miranda. Conséquence directe: une perte d’énergie et l’activation continue du système d’alerte de la cellule, appelé « réponse intégrée au stress ».
Cette alarme est le principal ressort de la forme héréditaire de la maladie de Charcot. Si elle est utile et même salvatrice en temps normal car elle permet de concentrer les efforts sur la résolution du stress et la survie de la cellule, elle devient destructrice quand elle est sollicitée de manière chronique comme dans la SLA. Les motoneurones se détériorent progressivement. « Des perturbations similaires ont été observées dans les formes non-génétiques de la SLA, ce qui suggère qu’il pourrait s’agir d’un processus commun à différentes formes de la maladie », avance Helen Miranda.
Inverser les dommages cellulaires?
Mais leurs découvertes ne s’arrêtent pas là. Les chercheurs ont essayer de bloquer le système d’alarme dans ces cellules détériorées. « Dans notre laboratoire, nous avons utilisé un composé qui bloque la voie de réponse intégrée au stress, ce qui a permis de restaurer avec succès des aspects clés de la fonction des motoneurones dans les cellules porteuses de la mutation VAPB », se félicite la biologiste.
Ainsi, les mitochondries ont recouvré leur fonction d’usine énergétique, la synthèse protéique a été rétablie et le signal électrique amélioré. « Ces résultats suggèrent que le ciblage de la réponse intégrée au stress pourrait constituer une stratégie thérapeutique prometteuse pour les personnes qui portent cette mutation, ajoute-t-elle. C’est la première fois que cela est démontré aussi clairement dans cette forme de SLA, et cela offre un réel espoir pour le développement de traitements ciblés. »
Aujourd’hui des essais cliniques reposent sur un procédé comparable chez des patients atteints d’autres maladies neurodégénératives mais ils n’ont pas encore abouti. L’équipe de Helen Miranda espère que ses travaux contribueront à l’amélioration et au développement de ces traitements. Plus tard, l’activation indésirable de la réponse intégrée au stress pourrait même devenir un marqueur de dépistage afin que les patients concernés puissent bénéficier d’une thérapie ciblée adaptée, selon les scientifiques. « Ce type de médecine de précision pourrait enfin apporter des options de traitement plus efficaces et individualisées dans un domaine où elles sont désespérément nécessaires », conclut Helen Miranda.
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