Africa-Press – Cameroun. Lorsque le 28 avril 2025, à 12h33, l’Espagne et le Portugal subissent une panne générale de leurs réseaux électriques, les premières tentatives d’explication fusent, pas toujours loin de la désinformation. Un pic de consommation. Des énergies renouvelables défaillantes. Un incendie vers Perpignan ou Narbonne, en France. Une perturbation atmosphérique rare.
Rien qui ne sortait de l’ordinaire
Rien de tout cela n’est avéré. Le réseau espagnol a perdu 15 gigawatts de production en quelques secondes, s’avérant incapable de satisfaire 60% de la consommation, comme le montre ce tableau de bord de l’ENTSO-E, l’organisme européen regroupant les gestionnaires d’électricité des pays membres de l’Union européenne. Mais, explique RTE (Réseau Transport d’Electricité) dans une foire aux questions sur son site internet, aucun incendie n’a été recensé et l’équivalent de Météo-France en Espagne, l’AEMET, ne signale aucun “événement atmosphérique extrême”.
L’opérateur de réseau espagnol REE a écarté le scénario de la cyberattaque. En fait, signale un chercheur en mathématique espagnol de l’université de Salamanque sur The Conversation, aucun élément ne sortait de l’ordinaire au moment du black-out, tant sur le plan de la consommation que de la production d’électricité ou du mix énergétique.
Jusqu’à six mois d’enquête
Difficile de savoir quoi que ce soit, et pour cause: l’enquête ne fait que commencer. Elle est menée par l’ENTSO-E et peut prendre jusqu’à six mois. « Enquêter sur une panne de réseau électrique ressemble beaucoup à un diagnostic médical, estime Ali Mehrizi-Sani, professeur au Power & Energy Center de l’université Virgina Tech (Etats-Unis). Les ingénieurs commencent par récupérer des données, comme les mesures de voltage et leurs angles de phase, les flux de puissance sur les lignes de transmission, les niveaux de génération d’électricité à différentes sources, les niveaux de consommation de différents récepteurs. Ils vont examiner le statut opérationnel de différents composants pour chercher, par exemple, s’il y a eu une panne ou une surintensité ayant déclenché un disjoncteur ou toute autre situation anormale. »
Ces informations alimenteront une chronologie, seront mises en regard de modélisations et de simulations, afin de reconstituer l’enchaînement des événements et de remonter à l’événement déclencheur. Même si cela ne suffira pas à expliquer le black-out. Il faut aussi comprendre pourquoi les dispositifs de sécurité existants n’ont pas pu l’empêcher. « Un système de réseau d’énergie étant dynamique, avec des niveaux de génération et réception qui varient, des lignes et des composants qu’on active ou désactive, toutes ces recherches prennent souvent du temps et exigent d’envisager de multiples scenarios », continue l’expert américain. L’équipe américano-canadienne qui a enquêté sur le black-out du 14 août 2003 dans le nord-est des Etats-Unis a, par exemple, rendu son rapport final en avril de l’année suivante.
Le risque zéro n’existe pas
Pour autant, les black-out n’ont rien de méconnu. « Ils sont largement documentés, analysés par la littérature scientifique, et les gestionnaires conçoivent leurs réseaux en ayant ce phénomène en tête, pour que le risque soit le plus faible possible, voire hautement improbable, explique Frédéric Wurtz, directeur de recherche au CNRS affecté au laboratoire de Génie Electrique de Grenoble (G2ELAB) et co-directeur de la chaire Sobriété et Résilience. Mais le risque zéro n’existe pas, quel que soit le mix électrique. Car le réseau électrique est un système socio-technique dans lequel s’empilent des couches techniques, humaines, sociales. »
Les événements passés sont d’ailleurs une première source de renseignement. En France, la référence reste celui du 19 décembre 1978, une époque où il n’y avait pas d’énergies renouvelables. Ces événements résultent, à chaque fois, de la combinaison d’un contexte et d’un incident déclencheur. En 1978, le contexte était celui du froid de décembre, un dernier mardi avant les vacances de Noël correspondant à des activités commerciales et industrielles intenses. Donc à une forte consommation d’électricité. Là-dessus est survenue un défaut technique sur une ligne en Meurthe-et-Moselle.
Un réseau maillé
C’est pour parer aux black-out que le réseau électrique est maillé: un point de livraison est desservi par plusieurs lignes, permettant à l’électricité d’emprunter des chemins différents si une ligne est hors service. « Mais si c’est un moyen de production qui est défaillant, cela signifie que d’autres centrales doivent prendre en charge sa production, souligne Frédéric Wurtz. Or, si elles arrivent elles aussi en surcapacité, elles vont sauter à leur tour et, par effet domino, tout le réseau ». Voire ceux des pays voisins, en particulier en Europe où les réseaux nationaux sont interconnectés pour s’échanger de l’énergie. Fin avril, l’interconnexion entre l’Espagne et la France a donc été coupée pour éviter aux centrales françaises de subir une surcharge (le Maroc s’est également déconnecté). Le Pays basque français n’a ainsi connu qu’une panne de quelques minutes.
De fait, les black-out ne sont pas seulement des incidents: ils servent aux chercheurs et aux ingénieurs à mieux connaître un réseau et à améliorer sa résilience. « Les pannes de 2003 dans le nord-est et le midwest américain ont ainsi servi de catalyseurs au développement du concept de réseaux intelligents », raconte Ali Mehrizi-Sani sur le site de Virginia Tech. En France, la situation critique de l’hiver 2022-2023 (accès au gaz compromis pour cause de guerre en Ukraine, sécheresse réduisant la possibilité de recourir à l’hydroélectricité, moitié du parc nucléaire à l’arrêt pour maintenance…) a conduit à un appel massif à la sobriété qui a permis d’éviter les coupures.
La nécessité d’une sensibilisation
« L’un des premiers enseignements d’un black-out, c’est la nécessité d’une sensibilisation sur le risque systémique et social que cela représente, note pour Sciences et Avenir Frédéric Wurtz, qui aborde aussi ce sujet dans The Conversation. En Allemagne ou en Autriche, la sécurité civile édite des brochures expliquant par le menu ce qu’est un black-out, quels sont les bons réflexes, pour anticiper ces événements. Cela rejoint l’idée d’avoir chez soi un kit d’urgence, avec une réserve d’eau, de la nourriture déshydratée, de l’argent en liquide, une lampe de poche, un réchaud, une radio à piles… »
Sans compter le recours à des sources d’énergie décentralisées, locales, avec panneaux solaires et batterie. Tout pour éviter l’effet de stupeur et de sidération du grand public, comme fin avril en Espagne et au Portugal, en attendant que la situation se rétablisse.
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