Africa-Press – Cameroun. Tout commence par un simple inventaire. Celui de la bibliothèque paroissiale et scolaire Batthyaneum de Mediaş, l’une des plus anciennes localités de Transylvanie située aujourd’hui en Roumanie. Adinel-Ciprian Dincă, professeur d’histoire médiévale à l’Université Babeș-Bolyai de Cluj-Napoca (Roumanie), remarque lors d’un séjour de recherche que les collections de l’établissement de la petite ville sont d’une étonnante richesse: codex, incunables (des ouvrages imprimés avant 1500 à très peu d’exemplaires), textes imprimés du 16e siècle et autres documents rares la composent. Selon un catalogue réalisé au 19e siècle, la bibliothèque comporterait plus de 7700 volumes anciens.
Avec plusieurs de ses étudiants, Adinel Dincă décide alors de se lancer dans la vérification de l’intégrité du corpus et de confronter son inventaire à celui du 19e siècle. Le médiéviste a en tête un objectif tout particulier: il souhaite évaluer l’ampleur des pertes survenues lors d’un épisode sombre et relativement récent de l’histoire.
Sauver les livres du bûcher
En 1945, alors que les troupes russes pénètrent dans Mediaş, les professeurs et le personnel paroissial mettent à l’abri à la hâte, quelque part dans le bâtiment, les tomes les plus anciens et précieux. Ils ne sont pas sans ignorer que les soldats ont reçu pour consigne de jeter par les fenêtres et de brûler sur le champ le moindre livre jugé « hitlérien ». Une partie de la bibliothèque disparaît ainsi dans les flammes dans la cour de l’établissement. Mais ce sauvetage clandestin a-t-il vraiment eu lieu? Et si oui, combien de ces livres ont-ils pu être sauvés des flammes? Enfin, et surtout, où sont-ils à présent?
Crédits: Adinel C. Dincă (UBB Cluj)/Bibliothèque Batthyaneum
Adinel Dincă obtient la réponse à ces questions en 2022. Avec son équipe, il retourne cette année-là à Mediaş et se lance dans une fouille. Il finit par découvrir dans le grenier de l’une des tours de l’église Sainte-Marguerite, dite Margarethenkirche, 150 volumes, principalement des livres imprimés entre 1470 et 1600. « Ils n’étaient pas cachés sous le plancher ou dans des murs mais tout simplement rangés dans des étagères en bois ou placés dans des boîtes en carton », explique Adinel Dincă dans un entretien écrit accordé à Sciences et Avenir. Si cet ensemble de livres extraordinaire a pu être oublié durant près de 80 ans, c’est avant tout parce qu’accéder au grenier de cette tour n’est pas une mince affaire. « L’accès n’y est possible qu’à l’aide d’une échelle raide et d’une trappe étroite dans le plancher. » Aussi, jamais personne n’avait eu jusqu’ici de raison de s’y faufiler péniblement.
« Malheureusement, cet espace s’est avéré inadapté au stockage à long terme car il est exposé à l’humidité, à la poussière, aux oiseaux et aux insectes. Plusieurs livres ont été endommagés et doivent à présent être restaurés », regrette le chercheur. Le corpus de livres n’en reste pas moins un butin extraordinaire, « digne d’un film d’Indiana Jones », selon les termes de la bibliothèque Batthyaneum elle-même.
Les combles dans lesquels se trouvaient les ouvrages. Crédits: Adinel C. Dincă (UBB Cluj)/Bibliothèque Batthyaneum
Quatre fois plus d’ouvrages précieux qu’estimé
Parmi les ouvrages se trouvent notamment 135 incunables, soit quatre fois plus que le nombre estimé. Et ce n’est pas tout: deux volumes manuscrits des premières décennies du 16e siècle comptent également parmi les rescapés, mais aussi de nombreux documents libres et fragments de codex médiévaux, dont certains ont été utilisés pour la fabrication des reliures d’ouvrages plus récents. « On a notamment retrouvé un texte fragmentaire écrit en minuscules caroline, ce qui est très rare en Transylvanie », explique l’historien. La minuscule caroline n’est autre que cette écriture ronde, régulière et cursive apparue vers l’an 780 dans l’Empire carolingien, sous l’impulsion de Charlemagne.
La présence de tels textes d’Europe de l’Ouest dans cette commune de Roumanie s’explique par l’histoire de la région elle-même. « La Transylvanie est un concept géopolitique marqué par une évolution très fluide depuis l’époque médiévale jusqu’à nos jours », affirme Adinel Dincă. Pendant cinq siècles – du 11e au 16e siècle -, la province la plus orientale du royaume hongrois fut la patrie de plusieurs groupes de pionniers d’Europe occidentale qui s’y installèrent pacifiquement et contribuèrent à son développement économique, social et culturel.
L’héritage des Saxons
Parmi eux, les Saxons, qui ouvrirent leurs propres écoles primaires et secondaires sous la supervision des églises locales luthériennes (de confession luthérienne depuis les années 1550). « Au cours des siècles derniers et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces établissements saxons fusionnèrent les anciennes archives paroissiales médiévales avec le matériel administratif et théologique moderne et avec la littérature liée à l’enseignement. Jusqu’à récemment, on pensait que ces bibliothèques avaient été soit transférées dans des institutions de mémoire nationales – des archives, des musées… – soit démantelées, dispersées et, de fait, perdues », détaille l’expert. Ce n’était donc pas le cas de celle de Mediaş, ville fondée par les Saxons au 13e siècle.
Le clocher dans lequel les livres ont été retrouvés, alignés sur des étagères de fortune. Crédits: Adinel C. Dincă (UBB Cluj)/Bibliothèque Batthyaneum
Par la suite, la Transylvanie est devenue une principauté à dominante protestante (1570-1711), la plupart du temps sous suzeraineté ottomane, puis une partie constitutive de la « monarchie danubienne » des Habsbourg jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, qui a marqué la dissolution de l’ancien empire austro-hongrois en entités politiques nationales. Depuis 1918, la province historique fait partie de la Roumanie, dont elle représente environ 40 % du territoire et des habitants. « Mais aujourd’hui, le vaste patrimoine culturel des Saxons de Transylvanie – dont les églises paroissiales ont évolué au cours des huit derniers siècles pour devenir de véritables ‘plaques tournantes’ culturelles au service de la communauté – a été largement éclipsé par les sites architecturaux et les traditions gastronomiques du pays. C’est peu dire que les écrits des Saxons suscitent rarement de l’intérêt en dehors de la communauté universitaire. »
Une région connectée au reste de l’Europe
Après avoir été numérisés, les livres ont été transférés dans une salle de stockage appropriée et ont commencé à être étudiés. « Le résultat envisagé à l’heure actuel est double », se réjouit Adinel Dincă. « Nous allons pouvoir recréer virtuellement l’environnement d’alphabétisation de la communauté à un niveau académique et présenter à un public plus large à travers un exemple parlant le patrimoine textuel des Saxons de Transylvanie. »
Crédits: Adinel C. Dincă (UBB Cluj)/Bibliothèque Batthyaneum
Pour l’historien Hansotto Drotloff qui a participé au projet d’étude, « ce trésor de livres prouve non seulement que les habitants de la région n’étaient pas coupés du monde, qu’ils ne vivaient pas ‘derrière les forêts' », mais qu’ils étaient « toujours informés de ce qui se pensait, s’écrivait et s’imprimait dans le reste du monde. » Tous les efforts visant à préserver la bibliothèque de Mediaș ont été financés par le ministère allemand de la Culture, dans le cadre d’un programme visant à récupérer le patrimoine culturel des communautés allemandes qui vivaient autrefois en Europe de l’Est.
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