Suaire de Turin: Supercherie Connue depuis le Moyen ÂGe

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Suaire de Turin: Supercherie Connue depuis le Moyen ÂGe
Suaire de Turin: Supercherie Connue depuis le Moyen ÂGe

Africa-Press – Cameroun. Il est le morceau de tissu le plus célèbre au monde, et incontestablement celui qui a fait le plus couler d’encre depuis son apparition dans une église de Champagne en 1354. Le suaire de Turin, appelé également « Saint-Suaire » par de nombreux catholiques, porte l’image pâle, comme imprimée à sa surface, d’un homme nu. Pour les croyants qui le vénèrent depuis près de six siècles, il s’agirait du linceul sur lequel l’empreinte du corps du Christ a été figée après sa crucifixion. Plusieurs analyses au carbone 14 réalisées dans les années 1980 ont néanmoins démontré que le tissu n’était pas contemporain de Jésus: la pièce de lin a été fabriquée au Moyen Âge, entre la fin du 13e siècle et le 14e siècle.

Le 28 août 2025, une étude publiée par l’historien français Nicolas Sarzeau dans la revue Journal of Medieval History (relayée par le magazine La Vie) est venue éclairer d’un jour nouveau une partie cruciale de l’histoire du linceul. Alors que jusqu’ici, la plus ancienne critique écrite formelle du Suaire venait de Pierre d’Arcis, évêque de Troyes – une lettre de 1389 dans laquelle il dénonçait le caractère frauduleux de la « relique » -, une source plus ancienne, redécouverte et éditée par les médiévistes Alain Boureau et Béatrice Delaurenti, vient reculer dans le temps le rejet du tissu par l’Église elle-même.

« On savait déjà avec Pierre d’Arcis que l’objet avait été qualifié de ‘faux’ dès le départ. Sur ce point, on n’apprend rien de nouveau », clarifie Nicolas Sarzeau auprès de Sciences et Avenir. « Mais ce texte, qui est un exemple de pensée critique médiévale passionnant, nous montre aujourd’hui qu’il n’y avait strictement aucun débat sur le caractère authentique de l’objet à l’époque. Pour ses propriétaires comme pour les autorités religieuses qui auraient préféré ne jamais en entendre parler, le tissu n’était qu’une représentation, en aucun cas une relique. »

À Lirey, un tissu qui divise

Dans une lettre datée du 28 juillet 1389, le pape avignonnais Clément VII rapporte qu’un seigneur local du nom de Geoffroy II de Charny a demandé l’autorisation d’exposer une « figure ou représentation du Suaire de notre Seigneur Jésus-Christ ». « Il parle de ‘figura sive representatio sudarii’, une formule qui indique qu’il s’agit non pas d’une relique mais d’un objet de dévotion », précise Nicolas Sarzeau. Selon le pape, le père de ce seigneur avait placé l’objet dans la collégiale qu’il avait fondée à Lirey mais la dévotion que celui-ci avait suscitée, inquiétant le diocèse, avait entraîné une enquête de l’évêque et une confiscation. « L’Église se méfie de ces objets ambigus qui peuvent prêter à confusion et induire les fidèles en erreur », explique le médiéviste.

Face aux refus répétés de l’évêque de Troyes, Pierre d’Arcis, d’autoriser l’exposition du tissu, Geoffroy II de Charny s’adressa directement à l’autorité papale et obtint l’autorisation, en juillet 1389, de l’exposer à nouveau dans l’église. Toutefois, une condition lui est imposée: le « faux » linceul ne doit bénéficier d’aucun apparat liturgique de relique et il doit être fait publiquement mention qu’il n’est qu’une représentation (cette qualification restera d’usage jusqu’au 15e siècle lorsque, après l’entrée du tissu dans la maison de Savoie en 1453, il changera de statut et de trajectoire et deviendra par la suite le « suaire de Turin »).

Le Suaire, un cas d’école pour Oresme

C’est dans ce contexte qu’intervient la trouvaille majeure. Dans un traité sur les phénomènes inexpliqués daté entre 1355 et 1382, « mais très probablement après 1370 », un savant normand du nom de Nicole Oresme pointait déjà du doigt un suaire « miraculeux » présenté à Lirey comme le « linceul du Christ », pour illustrer comment des clercs pouvaient tromper afin d’attirer des offrandes. Autrement dit, avant 1382, l’exemple de Lirey circulait déjà comme cas d’école de mystification. « Oresme ne prend même pas la peine de décrire le suaire ni de revenir sur son histoire, comme si cet objet décrié était connu de tous », affirme Nicolas Sarzeau.

Une photo en négatif du Suaire par Giuseppe Enrie, en 1931. Crédits: Wikimedia Commons

Le texte est plus largement consacré aux mirabilia, « ce qui doit étonner », un terme qui englobe les phénomènes physiques et psychologiques perçus comme surprenants. « À ces prodiges ou manifestations extraordinaires, mais aussi à des occurrences plus courantes telles que le somnambulisme ou la perte de cheveux, Oresme affirme qu’il faut privilégier les explications rationnelles et se méfier des interprétations divines, démoniaques ou dues à une ‘influence inconnue », détaille l’historien.

Une affaire retentissante?

Certes, la mention nouvellement éditée de Nicole Oresme renforce la lecture, appuyée par d’autres sources du 14e siècle, selon laquelle le tissu est une fabrication médiévale. Mais elle vient surtout apporter de nouvelles informations surprenantes: « J’ai d’abord été surpris de constater que la fraude de Liray était connue des lecteurs d’Oresme », confie Nicolas Sarzeau. « Pourtant, quand celle-ci a lieu vers 1355-1356 (c’est-à-dire quand la nouvelle se propage qu’un faux linceul du Christ est exposé, ndlr), le royaume sort d’une épidémie de peste et est encore en pleine guerre de Cent Ans. L’affaire a eu plus de retentissement que je le pensais, malgré ce contexte chargé. »

Le texte d’Oresme révèle une seconde réalité historique: pour tous les protagonistes de l’époque, y compris le propriétaire du tissu Geoffroy II de Charny, il n’y a aucune forme de débat sur la nature du tissu. « Personne ne le considère comme une relique, en l’occurrence comme le linceul mortuaire du Christ », insiste l’historien. « Et j’ai même constaté, là encore avec beaucoup de surprise, que les sources étaient très claires sur ce point. Il est très rare d’avoir des sources ecclésiastiques médiévales aussi tranchées sur le caractère falsifié d’une relique. Cela prouve que l’enquête menée par l’évêque de Troyes Henri de Poitiers, le prédécesseur de Pierre d’Arcis, a été bien menée. »

Les savants, phares de la connaissance

Le texte d’Oresme, enfin, met au premier plan le rôle social des savants. « Au Moyen Âge, quand un évêque a un doute, il fait appel à des théologiens et des savants. L’intellectuel est considéré comme la figure publique capable de distinguer le vrai du faux », affirme Nicolas Sarzeau. « Cette figure va se construire autour des universités, au sein desquelles s’opère une forme de ‘starification’ des maîtres qui comptent des cortèges d’étudiants qui les suivent. »

Maître à Paris devenu évêque de Lisieux, commentateur d’Aristote, Nicole Oresme va mettre la raison – ratio, en latin – au centre de sa réflexion, notamment lorsqu’il s’agit d’analyser et de hiérarchiser les témoignages: sont-ils nombreux? Fiables? Relatent-ils des observations directes et présentent-ils une distance critique suffisante? Dans ce cadre, il rappelle ainsi que l’autorité d’un clerc ne vaut pas preuve et nous donne une leçon toujours d’actualité: quand l’émotion et l’apparence font masse, ce sont les procédures — sources, vérifications, transparence des critères — qui protègent de l’erreur. Et donc de la supercherie.

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