Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Cameroun. Vingt-quatre heures après le sommet des membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), les chefs de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont tenu le leur dans la capitale nigériane, Abuja, dans un climat politique tendu après que les dirigeants des trois pays dissidents, à savoir le Mali, le Niger et le Burkina Faso, aient confirmé la naissance de leur propre « confédération », le samedi 6 juillet courant, en annonçant que leurs dirigeants « ont décidé de franchir une étape supplémentaire vers une intégration plus profonde entre les États membres avec la création d’une nouvelle union concurrente ».
C’est ainsi que, de facto, nous nous trouvons en droit de dire que « la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) est confrontée à la violence terroriste et à des problèmes économiques, en plus des difficultés qui l’empêchent de devenir une puissance régionale cohésive ».
D’une part, on ne sait pas encore comment la CEDEAO compte réellement réagir à l’avenir, face à une telle situation trop préoccupante qu’est l’annonce de la création de « l’Alliance des États du Sahel ».
D’autre-part, il importe de rappeler que les relations entre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et les trois pays susmentionnés se sont détériorées après le renversement de l’ancien président nigérien Mohamed Bazoum, en 2023, surtout lorsque le groupe ouest-africain avait imposé des sanctions économiques au Niger, menaçant d’intervenir même militairement pour rétablir le président déchu, avant de renoncer à sa menace d’intervention, d’abord, puis en levant les sanctions en février dernier, même si les relations entre les deux parties sont demeurées froides.
Participation du nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye
Le présidents du Sénégal et du Nigeria lors du sommet de la CEDEAO
Le sommet qui a été tenu le dimanche 7 juillet à Abuja, a fait suite à un appel de plusieurs présidents ouest-africains à reprendre le dialogue avec les trois pays dissidents, dont l’adhésion à la CEDEAO avait été révoquée.
A ce propos, faut-il souligner un autre point, c’est qu’il s’agissait de la première réunion du genre à laquelle participe le nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, qui a déclaré auparavant que la réconciliation était possible et envisageable, à un moment où la CEDEAO se trouve confrontée à des défis régionaux, du fait que « sa situation financière se détériore et qu’il importe de prendre des mesures urgentes et décisives pour permettre au groupe de répondre aux demandes actuelles ».
Ce défi survient également à un moment où le groupe est confronté à une violence croissante de la part de groupes armés, ainsi qu’à des problèmes financiers et à de grosses difficultés pour avoir le statut d’une puissance régionale.
Comment la CEDEAO réagirait à l’adoption samedi à Niamey de l’Alliance des Etats du Sahel
1er Sommet des Chefs d’Etat de l’AES
Il n’était pas clair, après le sommet d’Abuja, de savoir comment le bloc réagirait à l’adoption samedi à Niamey, par le Niger, le Mali et le Burkina Faso d’un traité visant à établir « l’Union des États du Sahel ».
Dans ce contexte, le président de la Commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray, a déclaré qu’en ayant opté pour leur retrait, les trois pays risquaient de se retrouver confrontés à un « isolement politique » et de perdre des millions de dollars en investissements.
Touray a souligné qu’en quittant le groupe, le Niger, le Mali et le Burkina Faso exacerberaient également l’insécurité et entraveraient le travail de la force régionale proposée depuis longtemps, tout en avertissant que « la région reste confrontée à un risque de désintégration ».
Toutefois, la décision prise par les trois pays de se retirer définitivement de la CEDEAO serait en partie motivée par leur accusation selon laquelle « Paris manipulait la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et ne fournissait pas un soutien suffisant aux efforts antiterroristes ».
L’Appel à la reprise du dialogue avec le Mali, le Niger, et le Burkina Faso
De nombreux dirigeants ouest-africains ont appelé à la reprise du dialogue, mais il semblerait que ce n’est qu’une « peine perdue », sachant qu’Omar Alieu Touray, a déclaré que la liberté de circulation et un marché commun qui inclut 400 millions de personnes, parmi les principaux avantages de ce bloc vieux de près de 50 ans, seraient menacés si les trois pays dirigés par des juntes militaires s’obstineraient à ne pas réintégrer la CEDEAO.
En plus, le financement de projets économiques d’une valeur de plus de 500 millions de dollars au Burkina Faso, au Mali et au Niger pourrait être suspendu.
La réélection du président de la CEDEAO Bola Tinubu sera-t-elle « fructueuse » à l’organisation ouest-africaine ?
Il faut préciser que lors de ce 65e sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, le président nigérian Bola Ahmed Tinubu, réélu à l’unanimité pour un second mandant à la tête du bloc économique CEDEAO, a souligné l’utilité d’une force en attente, et demandé aux Etats membres de s’engager davantage pour fournir les ressources nécessaires à la sécurité de la région.
Tinubu a déclaré que « le Plan d’action régional contre le terrorisme a renforcé la coopération en matière de formation, de partage de renseignements et d’interventions humanitaires. En outre, les ministres des Finances et de la Défense se sont réunis récemment à Abuja afin de lever des fonds pour activer la Force en attente de la CEDEAO (FSE) pour renforcer les efforts de lutte contre le terrorisme », ajoutant entre-autres que « les pays membres affichent également leur engagement à lutter contre l’insécurité en augmentant individuellement leurs budgets de défense pour acquérir les équipements nécessaires et assurer la préparation ».
A noter que 54 résolutions votées et adoptées à l’issue des travaux de ce 65e sommet, dont nous avons rapporté ceci:
• A propos de la monnaie unique de la CEDEAO
Afin de permettre à la Commission de dresser régulièrement le sentier de convergence macroéconomique des Etats membres et de la Communauté́, la Conférence rappelle l’importance pour les Etats membres de transmettre régulièrement à la Commission leurs Programmes Pluriannuels de Convergence (PPC) pour les périodes concernées. A cet effet, elle invite l’ensemble des Etats membres à élaborer et transmettre à la Commission leurs PPC pour la période 2025-2029, au plus tard le 31 octobre 2024. La Commission est tenue de lui faire le point de transmission lors de sa prochaine Session ordinaire.
Les Chefs d’Etat ont pris note des conclusions de la deuxième réunion du Comité de Haut Niveau sur les modalités pratiques pour la création de l’ECO. Après avoir félicité́ le Comité pour la qualité́ du rapport, la Conférence décide de maintenir le Pacte de stabilité́ et de convergence macroéconomique entre les Etats membres de la CEDEAO en l’état et à inviter la Commission à lui soumettre un projet d’acte additionnel définissant les modalités de participation des Etats membres à l’Union monétaire à sa première session ordinaire de 2025.
En outre, la Conférence instruit la Commission, en collaboration avec l’AMAO, de procéder à l’évaluation des coûts, à l’identification des sources et des modalités de financement de la mise en place des institutions nécessaires pour la création de l’ECO à lui soumettre lors de sa première Session ordinaire de 2025.
• A propos de la sécurité́ alimentaire
La Conférence prend note des inquiétudes que suscite la crise alimentaire préoccupante prévalant dans la région et a instruit la Commission de prendre toutes les mesures nécessaires pour aider les États membres de la CEDEAO à en atténuer l’impact sur les personnes les plus vulnérables. En outre, elle appelle tous les partenaires techniques et financiers à rallier leur soutien au profit des États membres de la CEDEAO et à s’attaquer conjointement aux problèmes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition dans la région.
• A propos de la situation avec l’Alliance des États du Sahel
En ce qui concerne la situation avec l’Alliance des États du Sahel (AES), la Conférence exprime sa déception face au manque de progrès dans les interactions avec les autorités du Burkina Faso, du Mali et du Niger et instruit le Président de la Commission de faciliter une approche plus vigoureuse conformément aux décisions du Sommet Extraordinaire du 24 février 2024. En outre, la Conférence demande à la Commission d’élaborer un plan d’urgence prospectif à son intention pour faire face à toutes les éventualités dans les relations avec les pays de l’AES, en tenant compte des exigences de l’article 91 du Traité révisé de la CEDEAO de 1993. En outre, la Conférence instruit la Commission de soutenir tous les efforts de médiation en cours en vue de mettre fin aux tensions entre la République du Bénin et la République du Niger.
Dans ce contexte, la Conférence désigne S.E. Bassirou Diomaye Faye, Président de la République du Sénégal comme Facilitateur de la CEDEAO dans les discussions de la Communauté́ avec l’AES (Burkina Faso, Mali, Niger), en collaboration avec S.E. Faure Essozimna Gnassingbé, Président de la République Togolaise.
Scénarios futurs de la crise de la CEDEAO avec les systèmes militaires
Sur la base de ce qui précède, il est clair que la CEDEAO adopte de nouvelles politiques dans ses relations avec les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso, et du Niger (et même de la Guinée semble-t-il), et tente de parvenir à un règlement politique avec eux.
Par conséquent, les scénarios évoqués sont les suivants.:
• Scénario 1
Une percée entre les régimes militaires et la CEDEAO et leur revirement sur la décision de retrait. Surtout après que la CEDEAO a levé les sanctions et ses tentatives pour apaiser les putschistes, par désir de préserver d’abord l’organisation, et par manque de moyens pratiques pour les forcer à céder à ses exigences, et qu’un compromis pourrait ensuite être trouvé qui satisferait tout le monde.
• Scénario 2
Les régimes militaires poursuivent leur chemin et stagnent pendant un certain temps pour obtenir davantage de gains, notamment en ce qui concerne la durée de la période de transition. La CEDEAO a souhaité qu’ils fixent un calendrier pour la période de transition nécessaire à la passation du pouvoir, ce qui mettra la pression sur eux, sur leur avenir politique et sur leur désir de rester au pouvoir. Ils pourraient donc attendre un certain temps avant de parvenir à un accord avec la CEDEAO sur ce point qui leur garantit un processus de transfert du pouvoir et la tenue d’élections présidentielles qui feront d’eux des présidents légitimes conformément aux principes promus par l’organisation.
• Scénario 3
Les « putschistes » ont refusé de revenir complètement sur leur décision de se retirer et ont poursuivi leur projet politique en quittant la CEDEAO et en créant leur nouvelle Alliance des Etats du Sahel qui brandirait les bannières de l’indépendance et de la libération du colonialisme français.
Tout cela nous place devant plusieurs incertitudes auxquelles est confrontée cette entité naissante, qui a brandi de grands slogans comme la souveraineté, l’économie et la rupture avec l’Occident, mais la réalité et l’avenir portent en eux beaucoup de choses cachées qui seront déterminées par les prochains événements.
Par ailleurs, le Niger, le Mali et le Burkina Faso estiment que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ne répond plus aux aspirations de leurs peuples et « après prés de 50 ans d’existence », les vaillants peuples de ces trois pays sahélien constatent avec un profond regret, amertume et grande déception que leur ancienne organisation se soit éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et de l’unité africaine, et ce, d’après une estimation des trois conseils militaires.
Ils ont ajouté dans un document publié le 6 juillet 2024, à l’issue de leur 1er Sommet, que la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ne leur a apporté aucun soutien dans leur guerre contre le terrorisme, mais leur a plutôt imposé « en violation flagrante de ses propres textes, des sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables » qui nuiront à leurs peuples, et c’est pour cette raison qu’ils ont décidé de « prendre leur destin en main ».
Leur initiative pourrait en effet attirer d’autres pays qui n’hésiteraient pas à faire un pas en ce sens, en s’extrayant de la CEDEAO après qu’ils aient été attirés par le projet de l’AES. Par ailleurs, la proximité du Togo avec ces trois pays et l’invitation lancée par l’AES au Tchad posent vraiment question.
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