Africa-Press – Cameroun. La mission du Directeur Général de la Gendarmerie française au Cameroun s’achève sur un protocole a minima qui interroge sur les véritables enjeux diplomatiques à quatre mois de la présidentielle.
Le déplacement officiel du Général Hubert Bonneau au Cameroun aura duré deux jours, mais ses non-dits pourraient alimenter les analyses politiques bien plus longtemps. Directeur Général de la Gendarmerie nationale française, le haut gradé a quitté Douala le 10 juin au soir, laissant derrière lui une visite marquée par ce qui ne s’est pas passé autant que par son programme officiel.
Dans un contexte préélectoral où chaque geste diplomatique est scruté à la loupe, l’absence de rencontre entre le représentant français et les deux figures centrales du pouvoir camerounais – le Président Paul Biya et son influent Secrétaire Général Ferdinand Ngoh Ngoh – ne passe pas inaperçue.
Le programme officiel du Général Bonneau s’est articulé autour des questions de défense et de sécurité, domaines traditionnels de coopération entre Paris et Yaoundé. L’audience accordée par Joseph Beti Assomo, Ministre Délégué à the Présidence chargé de la Défense, a constitué le temps fort institutionnel de cette visite.
Cette rencontre, suivie d’une séance de travail avec les autorités du ministère, s’inscrit dans la logique habituelle des échanges techniques entre les deux gendarmeries. Les questions opérationnelles, de formation des cadres et d’équipement constituent généralement le cœur de telles missions.
La visite s’est clôturée par un repas offert par la délégation française au club AMT, événement protocolaire destiné, selon les termes officiels, à « marquer la fin de la visite » et à « honorer les liens de coopération fructueux » entre les deux pays. Un classique du genre diplomatique qui ne prête généralement pas à controverse.
Pourtant, c’est précisément ce qui ne figure pas au programme qui attire l’attention des observateurs. Dans un pays où le protocole revêt une importance particulière et où les visites officielles suivent généralement un schéma bien établi, l’absence de rencontre au sommet interroge.
Paul Biya, Chef de l’État depuis 1982, reçoit traditionnellement les personnalités officielles étrangères de ce niveau. Quant à Ferdinand Ngoh Ngoh, Secrétaire Général de la Présidence, il constitue souvent un passage obligé pour les visiteurs officiels, tant son influence sur les affaires de l’État est reconnue.
Cette double absence génère inévitablement des interprétations diverses, d’autant plus dans une période où les signaux diplomatiques sont analysés sous toutes les coutures.
Deux lectures principales se dessinent pour expliquer cette configuration particulière. La première, pragmatique, considère qu’une visite axée sur les questions techniques de gendarmerie ne nécessite pas forcément une élévation au plus haut niveau protocolaire. Dans cette optique, la présence du Ministre de la Défense et des autorités du ministère suffit amplement pour traiter les dossiers à l’ordre du jour.
Cette interprétation s’appuie sur la nature spécialisée de la mission du Général Bonneau, centrée sur les questions opérationnelles et la coopération entre corps constitués. Les échanges sur les techniques d’intervention, les programmes de formation ou les questions d’équipement relèvent naturellement du niveau ministériel plutôt que présidentiel.
La seconde lecture, plus politique, suggère une volonté délibérée de maintenir une certaine distance avec les plus hautes autorités camerounaises. À quatre mois d’une élection présidentielle dont l’issue fait débat, cette discrétion pourrait traduire une stratégie diplomatique française de non-ingérence apparente.
Dans un contexte où Paris est régulièrement accusée par une partie de l’opinion publique africaine de favoriser certains dirigeants, une visite au profil bas pourrait constituer une forme de message: la France maintient ses relations techniques avec le Cameroun sans pour autant afficher un soutien ostentatoire au régime en place.
Cette prudence diplomatique s’inscrirait dans une approche plus générale de la diplomatie française en Afrique, soucieuse de ne pas apparaître comme interventionniste dans les processus électoraux africains.
Le moment choisi pour cette visite n’est pas anodin. À quelques mois de l’élection présidentielle d’octobre, chaque contact diplomatique est susceptible d’être interprété comme un signal politique. Dans ce contexte, une visite de routine peut prendre des allures de message diplomatique.
Le fait que le Général Bonneau se soit ensuite rendu à Libreville, au Gabon, accompagné par le Commandant de la 2ème région de gendarmerie camerounaise, le Général de Brigade Ekongwese Divine Nnoko, suggère une tournée régionale axée sur les questions sécuritaires plutôt qu’une mission spécifiquement camerounaise.
Au-delà de cette visite particulière, la configuration protocolaire observée pourrait révéler une évolution plus profonde des relations franco-camerounaises. Après des décennies de relations privilégiées, marquées par des contacts réguliers au plus haut niveau, la France semble adopter une approche plus nuancée de ses partenariats africains.
Cette évolution s’inscrit dans le contexte plus large de la refonte de la politique africaine de la France, marquée par une volonté affichée de sortir du modèle traditionnel de la « Françafrique » au profit de relations plus équilibrées et moins interventionnistes.
Plusieurs interrogations demeurent sur cette visite au protocole inhabituel. S’agit-il d’un choix délibéré des autorités françaises, d’une décision camerounaise, ou simplement d’un concours de circonstances lié aux agendas respectifs?
La réponse à cette question pourrait éclairer sur l’état réel des relations entre Paris et Yaoundé à l’approche d’une échéance électorale cruciale. Elle pourrait également donner des indications sur la stratégie diplomatique française vis-à-vis du processus électoral camerounais.
Dans un contexte où les relations entre la France et ses partenaires africains connaissent des mutations profondes, chaque signal diplomatique prend une résonance particulière. La visite du Général Bonneau, par ce qu’elle révèle autant que par ce qu’elle tait, s’inscrit pleinement dans cette dynamique d’évolution des rapports franco-africains.
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