Africa-Press – Cameroun. Si les Huns ont marqué l’Histoire et l’imaginaire européen par leur impact sur l’Empire romain, la question de leur origine ethnique et géographique taraude depuis longtemps les chercheurs. Selon certaines théories s’appuyant sur du matériel archéologique, ils auraient pu descendre d’une population nomade asiatique, les Xiongnu, qui se distinguaient par une coutume particulière: la déformation crânienne. Mais cette hypothèse est souvent rejetée car bien des sépultures hunniques témoignent de pratiques culturelles très diverses.
Mettant fin à ce débat, des analyses d’ADN ancien réalisées par l’Institut de paléogénétique de Budapest et l’Institut Max-Planck d’anthropologie évolutionnaire de Leipzig apportent aujourd’hui une réponse inattendue: si certains individus étaient effectivement apparentés aux nomades des steppes Xiongnu, la majorité des Huns dont les génomes ont été séquencés ont une ascendance mixte issue de plusieurs populations locales d’Europe de l’Est. Ce qui signifie que contrairement à d’autres « envahisseurs », les Huns n’ont pas déferlé tout droit depuis l’Asie vers l’Europe, mais qu’ils ont pris le temps de se métisser.
Les Huns venaient-ils d’Asie, comme on a pu le penser ?
L’arrivée des Huns aux portes de l’Europe vers l’an 370 de notre ère a définitivement bouleversé la géographie et l’ordre instaurés par les Romains, leur progression vers l’ouest depuis la steppe pontique située au nord de la mer Noire inaugurant la période dite des migrations. En affrontant les tribus germaniques des Alains et des Goths, ils déclenchent en effet une série de déplacements de populations qui font affluer les peuples du Barbaricum (Marcomans, Vandales, Wisigoths) en territoire romain.
Leur stratégie se révèle payante jusqu’au règne d’Attila, vers 440-450, époque où l’empire hunnique a atteint sa plus grande expansion. Mais dès la mort d’Attila, l’empire s’effondre rapidement.
L’empire Xiongnu dominait une grande partie de l’est de l’Asie centrale
Si les Huns ont surtout régné sur diverses populations d’Europe centrale et orientale, la question de leur origine n’était toujours pas résolue jusqu’à aujourd’hui. Une théorie émise dès le 18e siècle les rapproche des Xiongnu, fondateurs d’un empire nomade dominant une grande partie de l’est de l’Asie centrale entre 200 avant notre ère et la fin du premier siècle de notre ère. Ce premier royaume nomade d’Asie régnait sur diverses communautés ethniques occupant une aire correspondant actuellement à la Mongolie, à la Mongolie-Intérieure et au Xinjiang, en Chine.
Mais les historiens butaient sur un hiatus, car les Huns sont apparus près de 300 ans après la fin de l’empire Xiongnu. Par ailleurs, « il existe peu de preuves de la présence des Huns dans la steppe entre la fin de l’empire Xiongnu et leur apparition en Europe », rapportent les chercheurs dans la revue PNAS.
Des traces steppiques dans les sépultures
Les Huns ont toutefois laissé des traces de leur passage dans la région du Danube, aujourd’hui lisibles dans les sépultures. Il s’agit aussi bien d’artefacts caractéristiques, car « sans précédent dans la région », que de la forme des inhumations. Alors que la culture homogénéisée du Danube se distingue au 5e siècle de notre ère par des petits groupes de tombes plutôt orientées est-ouest et la présence d’un grand nombre d’offrandes (broches, perles, boucles d’oreille, peignes…), les Huns ont pour leur part introduit d’autres types d’objets dans des sépultures orientées nord-sud: des chaudrons sacrificiels ou des artefacts directement liés à un mode de vie équestre (fouets, boucles de ceinturons).
D’autres coutumes funéraires liées à la steppe sont plus étonnantes, comme le dépôt de crânes ou de jambes d’équidés. « L’orientation nord-sud, les offrandes de céramiques ou de bétail placées au nord, et les morceaux d’animaux dans les tombes ressemblent aux pratiques mortuaires des Xiongnu », relèvent alors les auteurs. Certains défunts présentent également une déformation artificielle du crâne qui intrigue depuis longtemps les chercheurs.
Distribution des caractéristiques culturelles orientales (dépôts sacrificiels, chaudrons, crânes ou jambes de chevaux) dans le bassin des Carpates au 5e siècle. Crédits: Gnecchi-Ruscone et al., 2025 / PNAS
Analyse du génome de 370 individus
Pour confirmer la possibilité d’un lien entre Huns et nomades mongols et vérifier l’hypothèse d’une ascendance Xiongnu, les chercheurs ont analysé l’ADN de 370 individus inhumés entre le 3e siècle avant notre ère et le 6e siècle de notre ère. Ces sépultures ont été mises au jour sur une aire allant, d’est en ouest, de la steppe mongole jusqu’au bassin des Carpates – Vienne, la capitale autrichienne étant le site le plus occidental –, en passant par l’Asie centrale.
Artefacts trouvés dans trois sépultures hunniques en Hongrie: figurine de cheval en or ; paire de boucles d’oreilles en or en forme de croissant ; cruche en céramique placée dans une niche au nord d’une tombe mise au jour à Budapest. Crédits: Gnecchi-Ruscone et al., 2025 / PNAS
Les Huns n’étaient pas un peuple purement asiatique
Les analyses ADN ont permis de corriger les théories jusqu’ici énoncées en révélant que les Huns n’étaient pas un peuple purement asiatique. « La plupart des individus du bassin des Carpates de la fin du 4e au 6e siècle ne présentent aucun signe de mélange génétique avec l’Asie centrale ou orientale, ne portant que des ancêtres européens, déclarent ainsi les chercheurs. Mais sur les 370 individus examinés, 26 (soit 6%) présentent des quantités variables de métissage avec l’Asie de l’Est ».
Le métissage est progressif
Les proportions et les dates de ce mélange sont cependant très hétérogènes, ajoutent-ils: « La plupart d’entre eux sont porteurs de la même ascendance nord-est asiatique que l’on retrouve chez de nombreux individus de la période Xiongnu. Les individus des sépultures de type oriental de la période hunnique se sont mélangés plus tôt, plus près de la période Xiongnu, tandis que d’autres se sont mélangés plus tard, plus près de la période Hun. Cela montre que les individus originaires des steppes qui sont arrivés étaient déjà porteurs d’ancêtres mixtes, ce qui suggère un métissage supplémentaire, postérieur à l’arrivée dans le bassin des Carpates, avec des populations porteuses d’ancêtres européens ».
Une expansion progressive impliquant le métissage
À l’aune de ces résultats, force est de constater que la population vivant dans le bassin des Carpates à l’époque des Huns se caractérisait par une grande diversité génétique, même lorsque leurs sépultures pouvaient être caractérisées comme typiquement hunniques. Ce qui fait dire aux chercheurs: « Nous ne trouvons aucune preuve de la présence d’une grande communauté d’origine steppique orientale parmi les Huns et la population qui leur a succédé dans le bassin des Carpates ».
Le fort métissage de la population hunnique permet de comprendre que son mode d’expansion était progressif et reposait sur l’intégration des tribus locales. « Les preuves ADN et archéologiques montrent une mosaïque d’ascendances qui indique un processus complexe de mobilité et d’interaction, plutôt qu’une migration de masse », explique ainsi dans un communiqué l’une des autrices, Zsófia Rácz, biologiste à l’université Eötvös Loránd de Budapest.
Les Huns se sont mélangés avec des populations de toute l’Eurasie
Ce modèle contraste totalement avec celui adopté deux siècles plus tard par d’autres « envahisseurs », les Avars, arrivés directement en Europe après la destruction de leur empire d’Asie orientale par les Turcs: « Nombre de leurs descendants avaient encore une composante est-asiatique considérable jusqu’à la fin de leur règne vers 800, explique ainsi l’historien Walter Pohl de l’Académie autrichienne des sciences. En revanche, les ancêtres des Huns d’Attila ont mis de nombreuses générations à se déplacer vers l’ouest et se sont mélangés avec des populations de toute l’Eurasie ».
Carte montrant la distribution géographique du partage transeurasien des segments de génomes identiques (IBD). Crédits: Gnecchi-Ruscone et al., 2025 / PNAS
Un réseau d’élites asiatiques
Malgré ce fort métissage, les analyses ADN ont démontré qu’il subsistait, pour certains individus, une parenté génétique directe entre des défunts inhumés dans des tombes d’élite des Xiongnu et des individus retrouvés dans des sépultures hunniques du bassin des Carpates.
Ces résultats surprenants mettent plus précisément en évidence un réseau constitué de 97 individus reliant l’est de l’Asie depuis la fin de l’empire Xiongnu à l’Europe du 6e siècle. Ces parents proches ont été inhumés sur des sites distants de plusieurs centaines de kilomètres, ce qui permet de reconstituer les étapes de la progression vers l’ouest. « Cela montre que certains individus de la fin de l’empire Xiongnu (dont deux trouvés dans des sépultures de l’élite impériale) sont les ancêtres directs de certains individus de la période Hun, ou bien sont généalogiquement liés à leurs ancêtres directs par quelques générations », concluent les chercheurs.
Les théories qui envisageaient que les Huns étaient d’origine Xiongnu n’étaient donc pas complètement fausses, puisque les analyses ADN les confirment en partie. Mais s’il existe bien une parenté directe entre la population hunnique et l’empire Xiongnu, cette ascendance relève plutôt de l’exception.
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