Africa-Press – CentrAfricaine. Le Rassemblement Unitaire, un mouvement de l’opposition centrafricaine basée à Paris et dirigée par le Professeur Jean-François Akandji-Kombé, vient de lancer une alerte d’avant-crise en République Centrafricaine. Dans son communiqué numéro 12 du 17 octobre 2025, cette organisation dresse un constat accablant: le régime Touadéra utilise le droit et la justice comme instruments d’arbitraire, d’oppression du peuple et de division de la société.
Cette alerte intervient après l’arrestation non justifiée du Président du parti MDSP, le Dr Dominique Désiré Erenon, et les manœuvres d’élimination politique du Président du parti URCA, Anicet-Georges Dologuélé, député de la nation, déclaré apatride par le régime après avoir renoncé à la nationalité française pour se conformer à la Constitution de 2023.
Le Rassemblement Unitaire avait déjà lancé un premier avertissement dans son communiqué numéro 11 du 27 septembre 2025, attirant l’attention sur le risque imminent et sérieux d’une nouvelle et grave crise en Centrafrique. Les événements de ces dernières semaines confirment malheureusement cette perspective funeste.
L’organisation considère que la Constitution de 2023, obtenue par coup d’État, ainsi que les institutions et procédures qui en découlent, sont non seulement illégitimes, mais aussi porteuses de dynamiques contraires à la démocratie et au vivre-ensemble en République Centrafricaine.
Le communiqué du Rassemblement Unitaire détaille sept techniques utilisées par le régime pour instrumentaliser le droit et la justice. Cette analyse mérite d’être examinée attentivement car elle met en lumière les mécanismes précis par lesquels Touadéra transforme l’État de droit en État de non-droit.
Première technique: l’installation du désordre juridique. Le régime utilise une loi ancienne de 1961, héritée de la colonisation, pour appliquer la Constitution de 2023. Cette pratique viole le principe cardinal du droit selon lequel une Constitution ne dispose que pour l’avenir. On ne peut pas appliquer une Constitution nouvelle avec une loi vieille de 64 ans qui n’a jamais été appliquée pendant toutes ces années. C’est exactement ce qui se passe avec le cas Dologuélé: le régime invoque la loi de 1961 pour prétendre qu’il a perdu sa nationalité en 1994 quand il a acquis la nationalité française.
Deuxième technique: l’inversion de la hiérarchie des normes. Dans un État de droit normal, la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes. Toutes les lois doivent être conformes à la Constitution. Mais dans la Centrafrique de Touadéra, c’est l’inverse: la Constitution de 2023 est subordonnée à la loi de 1961. On applique une loi ancienne pour interpréter une Constitution nouvelle. C’est une aberration juridique totale qui montre que le régime manipule le droit selon ses besoins politiques.
Troisième technique: la création d’une insécurité juridique généralisée. Quand personne ne peut prédire quelle règle s’applique, quand même les juristes ne peuvent pas anticiper les décisions des tribunaux, quand le droit change selon les personnes concernées, il n’y a plus d’État de droit. Il y a seulement l’arbitraire. Les citoyens perdent confiance dans la loi parce qu’ils voient qu’elle est appliquée de manière discriminatoire. Dologuélé est déclaré apatride en invoquant la loi de 1961, mais des centaines d’autres binationaux au gouvernement et à l’Assemblée ne sont pas inquiétés.
Quatrième technique: la suppression des recours constitutionnels. La Constitution démocratique de 2016 permettait aux citoyens d’attaquer les lois et décrets présidentiels inconstitutionnels devant la Cour Constitutionnelle. C’est grâce à cette possibilité que la Cour avait pu annuler le dispositif de la cryptomonnaie et d’autres actes du régime. Mais la Constitution de 2023 a supprimé ces possibilités de recours. Les citoyens ne peuvent plus contester les décisions du pouvoir devant une juridiction indépendante. Et même si formellement ces recours existent encore, le Conseil Constitutionnel est dirigé par le cousin de Touadéra et valide tout ce que veut le régime.
Cinquième technique: la division des Centrafricains. Les dispositions constitutionnelles relatives à la nationalité instaurent une différence de droits et de devoirs entre les Centrafricains dits “d’origine” et les autres Centrafricains. Ces derniers sont exclus de toute fonction élective ainsi que des hautes fonctions civiles et militaires. Cette distinction crée deux catégories de citoyens: les Centrafricains de première classe qui ont tous les droits, et les Centrafricains de seconde classe qui sont exclus de certains droits politiques. C’est une violation du principe fondamental d’égalité devant la loi.
Sixième technique: l’application discriminatoire des dispositions légales. Le régime n’applique les lois que contre ceux qu’il considère comme gênants, et dispense de leur respect les tenants du pouvoir et leurs amis. Dologuélé est poursuivi pour double nationalité alors que des dizaines de personnalités du régime ont aussi la double nationalité sans être inquiétées. Sylvie Baïpo-Temon, Thierry Kamach, Annie-Michelle Mouanga, Pierre Somsé et tant d’autres sont binationaux mais continuent tranquillement à exercer leurs fonctions. La loi n’est appliquée que de manière sélective, selon les intérêts politiques du régime.
Septième technique: la fabrication volontaire d’apatrides. Par une fausse application et une fausse interprétation du droit, le régime exclut des Centrafricains avérés du corps national et fabrique des apatrides. Cela viole les conventions internationales relatives aux droits de l’homme et à l’apatridie que la Centrafrique a ratifiées. Dologuélé est le cas le plus visible, mais combien d’autres Centrafricains pourraient subir le même sort si le régime décidait de leur appliquer la même interprétation tordue de la loi de 1961?
Cette analyse du Rassemblement Unitaire est précise, documentée, et juridiquement solide. Elle montre que le régime Touadéra n’utilise pas simplement la force brute pour réprimer l’opposition. Il utilise aussi, et peut-être surtout, une manipulation sophistiquée du droit pour donner une apparence de légalité à ses actes arbitraires.
C’est ce qu’on appelle l’autoritarisme légaliste: un régime qui maintient les formes de l’État de droit – des lois, des tribunaux, des procédures – mais qui vide ces formes de leur substance en les manipulant pour servir ses intérêts politiques. C’est plus insidieux que la dictature ouverte parce que ça permet au régime de prétendre qu’il respecte le droit alors qu’en réalité il le viole constamment.
Le Rassemblement Unitaire conclut son communiqué en réitérant que le dialogue politique inclusif reste l’unique et dernière chance de résoudre pacifiquement les graves maux qui minent la Centrafrique. L’organisation pose comme préalable à toute élection l’organisation d’un tel dialogue et la réalisation d’un consensus national sur les graves questions de l’heure.
Cet appel au dialogue est louable. Mais il faut être réaliste: le régime Touadéra n’a aucun intérêt à organiser un vrai dialogue inclusif. Pourquoi dialoguerait-il quand il peut simplement imposer sa volonté par la force et la manipulation juridique? Pourquoi chercherait-il un consensus quand il peut truquer les élections et se maintenir au pouvoir de toute façon?
Le dialogue n’est possible que si les deux parties ont intérêt à dialoguer. Mais quand une partie a tous les moyens de la force – l’armée, Wagner, la justice, les institutions – et qu’elle n’a aucun scrupule à les utiliser, pourquoi dialoguerait-elle avec l’opposition?
La vraie question est: que se passera-t-il quand l’opposition et le peuple centrafricain réaliseront que le dialogue est impossible, que les élections sont truquées, que toutes les voies légales et pacifiques sont fermées? C’est là que réside le risque d’une nouvelle crise grave que le Rassemblement Unitaire tente d’éviter en lançant cette alerte.
Si le régime continue sur cette voie – élimination de l’opposition, trucage des élections, manipulation du droit, répression de toute dissidence – il pousse les Centrafricains vers la seule option qui leur restera: la résistance violente. Et c’est exactement ce que le Rassemblement Unitaire essaie d’éviter en appelant au dialogue avant qu’il ne soit trop tard.
Mais le régime Touadéra écoutera-t-il cet appel? Acceptera-t-il d’organiser un vrai dialogue inclusif? Cessera-t-il de manipuler le droit pour écraser l’opposition? Malheureusement, rien dans le comportement du régime ces dernières années ne permet de l’espérer.
Le Rassemblement Unitaire a raison de lancer cette alerte d’avant-crise. Tous les indicateurs sont au rouge. L’opposition est éliminée. Les élections sont truquées. Le droit est manipulé. Le peuple est opprimé. La tension monte. Et la communauté internationale regarde sans rien faire.
Source: Corbeau News Centrafrique
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