Olivier Caslin
Africa-Press – CentrAfricaine. Diplomatie, économie, crises politiques, sécurité… Quelques mois avant de quitter la tête de l’Union africaine et de se représenter à la magistrature suprême, le chef de l’État comorien revient sur une année 2023 riche en événements pour l’Afrique et pour son pays.
Président de l’Union africaine (UA) et des Comores pour encore quelques mois, Azali Assoumani achèvera son mandat à la tête de l’organisation panafricaine en février 2024, quelques jours seulement avant la publication des résultats de l’élection présidentielle, dont le premier tour est prévu le 14 janvier et le second le 25 février, sur l’ensemble des îles de l’archipel comorien. Élu en 2016, puis, en 2019, lors d’un scrutin contesté, le chef de l’État, 64 ans, est à nouveau candidat à la magistrature suprême, pour ce qui sera constitutionnellement, en cas de victoire, son dernier mandat.
Jeune Afrique l’a rencontré, entre deux avions, dans son palais de Beit-Salam, à Moroni. L’occasion, pour l’ancien officier putschiste, de parler de son statut, d’évoquer la nouvelle stature des Comores sur la scène internationale, de revenir sur les relations avec la France au lendemain de l’opération Wuambushu, et d’aborder les défis à venir sur le plan intérieur.
Jeune Afrique : Vous exercez la présidence tournante de l’UA depuis le 18 février 2023. À quelques semaines du terme de ce mandat, quel premier bilan en faites-vous ?
Azali Assoumani : Il est forcément mitigé eu égard aux défis auxquels le continent est confronté, qu’ils soient d’ordre politique, économique ou sécuritaire. Tous ces défis, dont les racines sont très profondes, ne pouvaient être résolus en l’espace d’un an.
À mon arrivée, nous avions fait de la situation dans l’est de la RDC, ainsi que du barrage de la Renaissance, en Éthiopie, les priorités de la présidence comorienne. C’était avant que ne s’invitent le conflit soudanais, les crises au Sahel, puis au Gabon.
L’Union africaine intègre officiellement le G20
Chaque problème prend la place d’un autre. Chaque fois, j’ai fait de mon mieux pour être au maximum sur le terrain, en prise directe avec les différents acteurs et belligérants. J’ai pu me rendre en Guinée et discuter avec le chef de la transition. Je suis en contact permanent avec les deux camps, au Soudan, pour qu’ils acceptent le principe d’une médiation de l’UA.
Voilà pour le volet sécuritaire. Nous avons également remporté d’importants succès dans le domaine climatique, notamment lors du premier Sommet africain sur le climat, organisé à Nairobi, et dont nous porterons la déclaration à la COP28, à Dubaï [en décembre].
Et l’admission de l’UA au sein du G20, officialisée le 14 septembre ?
Bien sûr ! Nous avons été agréablement surpris, à New Delhi, car c’est une grande victoire en même temps qu’une décision essentielle pour l’Afrique. Le combat a été de longue haleine, et je remercie ceux qui ont soutenu notre demande, à commencer par les pays européens et les États-Unis. Cette adhésion est une bonne chose pour le continent, à condition qu’il puisse en tirer les avantages attendus, au regard de ses potentialités, et occuper la place qui lui revient au sein de la communauté internationale.
Beaucoup de vos pairs avouent avoir été également agréablement surpris par la présidence comorienne de l’UA. Constituera-t-elle un avant – et un après – pour votre pays, sur la scène internationale ?
Après la qualification historique des Cœlacanthes pour la CAN 2021, c’est certainement l’événement qui aura le plus contribué à faire connaître les Comores. Le pays en sortira forcément gagnant. Cette nouvelle visibilité va soutenir nos ambitions contenues dans le Plan Comores émergent (PCE), à l’horizon 2030. Il me reste, avant de partir, à régler le problème de la prochaine présidence de l’UA.
En effet, qui va vous succéder en février ?
Personne ne le sait encore. Pour qu’un pays soit désigné, il faut qu’un consensus se dégage au sein de la région à laquelle revient la présidence – l’Afrique du Nord, dans le cas présent. Or les Marocains et les Algériens ne parviennent pas à s’entendre.
La Ligue arabe doit se réunir pour préparer la COP28, et je compte bien en profiter pour aborder le sujet avec le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, et avec le représentant marocain. Et, si aucun consensus n’est possible, pour voir s’ils peuvent se mettre d’accord sur une candidature commune, qui pourrait être celle de la Mauritanie. Je veux éviter tout précédent. Le système actuel fonctionne, dans le respect de l’ordre de passage des régions, et j’entends bien qu’il en soit encore ainsi cette fois.
À la suite de votre présidence de l’UA, l’image des Comores s’est renforcée sur la scène internationale, ainsi que votre économie, grâce à la conclusion d’un accord – le premier signé depuis longtemps – avec le FMI, en juin, et à l’intégration de l’archipel à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) Avec quels objectifs ?
Vous oubliez de mentionner la Banque mondiale, qui, dès 2018, a classé notre pays parmi les nations à revenus intermédiaires. Tout cela montre que nous sommes sur la bonne voie et, mieux encore, que nous nous y maintenons. C’est très encourageant pour les Comores comme pour nos partenaires, qui, dans ce contexte, sont davantage enclins à nous soutenir en investissant dans notre pays.
Le FMI a clairement affiché ses conditions : bonne gouvernance et lutte contre la corruption. Cela vous incitera-t-il à être particulièrement vigilant sur ces questions ?
Tout à fait, mais je n’ai pas besoin d’être convaincu de l’importance de ce dossier, surtout pour un petit pays comme le nôtre. Nous allons devoir mettre fin à un laxisme certain, constaté par le passé, et contre lequel je me suis positionné dès mon retour au pouvoir en 2016.
Une loi a été votée pour que soit créée, au sein de la Cour suprême, une commission spécialisée, placée sous la direction du président de cette cour. J’en ai personnellement signé le décret d’application, et cette commission doit être rapidement mise en place.
La présidentielle aura lieu dans quelques semaines, alors que vous serez encore à la tête de l’UA. Est-ce une pression supplémentaire pour que le scrutin se déroule dans les meilleures conditions ?
En effet. Comment donner des leçons de démocratie et de gouvernance au continent et ne pas les respecter chez soi ? Il est évident que tout le monde, en Afrique, regardera de très près ce qu’il se passera dans le pays. C’est l’occasion, pour nous, de montrer à la communauté internationale que les Comores tiennent leurs engagements et de justifier la confiance que l’on nous a accordée en nous confiant la tête de l’UA.
Que pensez-vous des actuelles tergiversations de l’opposition comorienne ?
Toutes les missions internationales qui ont visité le pays ces derniers mois conseillent à l’opposition de participer à ces élections. À nous de montrer que les conditions actuelles permettent d’organiser des scrutins libres et transparents. Ceux qui voudront participer participeront, les autres s’abstiendront. Le plus important est que tous respectent les règles du jeu démocratique.
D’ici aux élections, seriez-vous prêt à gracier vos opposants, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi et Mohamed Ali Soilihi, tous deux condamnés, le premier à la réclusion à perpétuité, le second à vingt années d’emprisonnement, dans le cadre de l’affaire de la « citoyenneté économique » ?
Ceux qui ont demandé une grâce l’ont obtenue. Pour être gracié, il faut d’abord le demander. C’est mon message.
L’année a également été marquée par l’opération Wuambushu, que la France a organisée à Mayotte. Comment cette opération de police a-t-elle été perçue aux Comores ? Quelles en sont les conséquences pour les relations bilatérales ?
J’ai été stupéfait par cette décision que la France a prise unilatéralement. Malgré ce « contentieux désagréable », pour reprendre la formule de François Mitterrand au sujet de Mayotte, nous avons toujours réussi à maintenir le dialogue en même temps que de bonnes relations. Je n’ai personnel- lement jamais profité de ma présence dans les grands rendez-vous internationaux pour demander des comptes à la France. Au contraire, j’aurais souhaité profiter de mon passage à la présidence de l’UA pour approfondir nos discussions.
Au lieu de cela, nous nous sommes retrouvés piégés par l’agenda poli- tique de certains. C’était une opération de manipulation grossière, qui, sous prétexte de résoudre un problème, a surtout eu pour but de nuire à l’archipel.
Plus de 300 000 Comoriens vivent en France, notre relation est donc unique et doit rester apaisée, dans l’intérêt de tous. Toute solution ne peut sortir que de la concertation. Je continue d’ailleurs de m’entretenir de la question mahoraise avec le président Macron pour lui rappeler que les intérêts de nos deux pays sont les mêmes sur ce dossier et dans la région.
Comment faut-il analyser la visite, en juin, de Victoria Nuland, la secrétaire d’État adjointe des États-Unis ?
Les Américains sont des alliés de la France. Nous ne cherchons pas à mettre Paris en concurrence avec les États-Unis, mais à renforcer nos relations avec Washington, notamment pour qu’il soutienne notre plan de développement. Pour permettre l’émergence des Comores, nous devons compter sur tous nos partenaires, même si chacun d’entre eux conserve ses propres intérêts.
Source: JeuneAfrique
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