Chrysoula Zacharopoulou : « Emmanuel Macron n’a jamais été arrogant avec ses homologues africains »

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Chrysoula Zacharopoulou : « Emmanuel Macron n’a jamais été arrogant avec ses homologues africains »
Chrysoula Zacharopoulou : « Emmanuel Macron n’a jamais été arrogant avec ses homologues africains »

Benjamin Roger

Africa-Press – CentrAfricaine. Un an après sa nomination, la secrétaire d’État française chargée du Développement multiplie les voyages sur le continent. Et se retrouve parfois en première ligne sur des dossiers sensibles.

Voilà un an qu’elle sillonne le continent pour y promouvoir la « nouvelle politique africaine » chère à Emmanuel Macron. Depuis sa nomination au poste de secrétaire d’État chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, le 20 mai 2022, après la réélection du président français, Chrysoula Zacharopoulou s’est rendue dans une vingtaine de pays africains. Un nouveau monde pour cette gynécologue de formation, âgée de 47 ans, jusqu’alors peu familière de l’Afrique. Née en Grèce, formée en Italie, cette macroniste convaincue est entrée en politique en se faisant élire au Parlement européen en 2019.

Tête-à-tête avec Ibrahim Traoré

Si elle préfèrerait se concentrer sur de nouveaux partenariats, impossible, pour celle qui fait office de « Madame Afrique » du gouvernement français, d’échapper aux dossiers chauds quand elle se déplace sur le continent, où elle a été reçue en tête-à-tête par plusieurs chefs d’État : avec Félix Tshisekedi elle a abordé la crise dans l’est de la RDC ; avec le capitaine Ibrahim Traoré, elle a évoqué les tensions entre la France et le Burkina Faso ; avec le colonel Mamadi Doumbouya, elle a discuté de l’évolution de la transition en Guinée… Ces derniers mois, elle a souvent été rattrapée par la realpolitik et par les relations, parfois tumultueuses, de son gouvernement avec celui des pays dans lesquels elle était dépêchée.

Avant de s’envoler pour le Nigeria, où elle a représenté Emmanuel Macron à la cérémonie d’investiture de Bola Tinubu, le 29 mai, Chrysoula Zacharopoulou a reçu Jeune Afrique dans son bureau, situé dans le bâtiment d’un ancien ministère, celui de la Coopération, qui a longtemps incarné la politique françafricaine, sur laquelle elle entend tirer un trait. Prudente, elle s’est exprimée en pesant chacun de ses mots, redoutant sans doute la petite phrase qui fragiliserait un peu plus la position – déjà précaire – de Paris dans certaines capitales africaines.

Jeune Afrique : Dans son discours de Ouagadougou, en 2017, Emmanuel Macron avait plaidé pour un profond renouvellement des relations entre la France et les pays africains. Six ans plus tard, le sentiment anti-français ne cesse de progresser en Afrique francophone. Faut-il en conclure que le président a échoué ?

Chrysoula Zacharopoulou : Le discours de Ouagadougou était un discours de rupture, qui présentait une nouvelle vision des relations entre la France et les pays africains. Avec ce discours, le président Macron a placé ces relations au centre de notre politique extérieure. Il a ensuite entraîné les autres pays européens dans cette dynamique et a développé l’axe euro-africain. Il a fait dix-sept déplacements sur le continent ; il a été présent au moment de la crise du Covid-19, il a soutenu les actions de solidarité vis-à-vis du continent africain sur la question des vaccins ; il a organisé, en mai 2021, à Paris, un sommet sur le financement des économies africaines… Aucun chef d’État ne s’est engagé à ce point. Voilà la politique qu’il mène, et qui est totalement différente de celle qui a eu cours durant des décennies.

De manière récurrente le chef de l’État français est taxé d’arrogance. Ses propos sur « l’incapacité » des autorités congolaises à restaurer leur souveraineté, et son attitude, lors de sa conférence de presse conjointe avec le président Tshisekedi, à Kinshasa, en mars, ont été très mal perçues par nombre de Congolais et d’Africains…

Je n’ai jamais trouvé le président de la République arrogant. Il traite ses homologues africains d’égal à égal, comme il le fait avec ses homologues européens, et il a le courage de leur dire quand il y a des désaccords. Je suis très fière de cela. Depuis six ans, le chef d’État montre qu’il est à l’écoute et qu’il comprend les difficultés que rencontrent les pays africains. Il est là quand ils ont besoin de soutien, que ce soit dans le domaine économique, sanitaire, ou autre.

En RDC, beaucoup fustigent la proximité de la France avec le Rwanda, accusé de soutenir les rebelles du M23. Pourquoi Emmanuel Macron refuse-t-il de condamner clairement l’attitude de Kigali dans ce conflit, ce que vous aviez personnellement fait lors d’une visite à Kinshasa, en décembre 2022 ?

Je suis ministre du gouvernement français et je porte la politique extérieure du président auprès de la ministre des Affaires étrangères. Il faut être clair : dès le début de ce conflit, Emmanuel Macron a tenté de parler avec tous les protagonistes, à commencer par les présidents Kagame et Tshisekedi. Quand j’étais avec lui à l’Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2022, il les a réunis pour qu’ils puissent aboutir à un accord de paix et stabiliser la région. On ne peut pas lui reprocher d’essayer de trouver une solution. Nous sommes d’abord là pour soutenir les médiateurs de la région, le Kenya et l’Angola, dans leurs efforts pour parvenir à un accord.

Les autorités françaises voient volontiers dans le rejet croissant de la France sur le continent la main de certaines puissances étrangères, en particulier de la Russie. N’est-ce pas une manière un peu facile d’esquiver ses propres responsabilités ?

Pourquoi parlez-vous toujours de nos responsabilités ? Je ne comprends pas. Il ne faut pas rester bloqué dans le passé. Il faut l’assumer, et c’est ce que nous faisons. C’est aussi ce qu’Emmanuel Macron fait avec la jeunesse africaine, comme lors du sommet de Montpellier, en 2021. Une fois qu’on a assumé le passé, il faut regarder devant soi, écouter et être humble, mais aussi exigeant envers nos partenaires.

Aujourd’hui, la France et l’Europe proposent à l’Afrique un partenariat global : économique, humanitaire, militaire… Il revient ensuite à chaque pays de dire s’il veut être notre partenaire et avec qui il veut travailler.

Considérez-vous que la Russie a fait de l’Afrique francophone un prolongement du front ukrainien dans sa guerre contre l’Occident ?

Oui. Vous voyez comment se comporte le groupe Wagner sur le continent et ses résultats, en Centrafrique ou au Mali. C’est une source de déstabilisation, qui inquiète les Africains et qui doit nous inquiéter en tant qu’Européens, car une instabilité du continent africain a des conséquences directes sur notre propre stabilité.

Comprenez-vous que certains, sur le continent, brandissent des drapeaux russes et soutiennent Vladimir Poutine ?

Mais qui sont les gens qui brandissent ces drapeaux ? Quels sont leurs intérêts cachés ? Je dis pour ma part à tous les Africains : soyez fiers, et portez votre propre drapeau.

Certains agissements de la France suscitent de vives critiques sur le continent. Beaucoup n’ont, par exemple, pas compris le sens de la dernière tournée du président Macron en Afrique centrale. Alors qu’il plaide pour un renouvellement générationnel, pour le respect de la démocratie ou encore pour des institutions fortes, il a rendu visite à Paul Biya, en juillet 2022, puis à Ali Bongo Ondimba et à Denis Sassou Nguesso, en mars dernier…

Ce sont bien des chefs d’État, n’est-ce pas ? Il est donc logique qu’un chef d’État rencontre ses homologues. C’est une question de respect. Ce sont leurs peuples qui les ont choisis, pas nous. Quand le président de la République va en Chine, il voit le président chinois.

Il avait essuyé les mêmes critiques quand il s’était rendu en Chine…

Dans ce cas, on ne va plus nulle part. Je le redis : chaque peuple choisit son chef d’État. La France porte des valeurs démocratiques. Nous sommes un État de droit. Partout où nous allons, nous portons ce message. C’est ce que fait Emmanuel Macron.

D’autres critiquent également une politique du deux poids, deux mesures de la France à l’égard des transitions militaires. Mahamat Idriss Déby Itno est-il plus fréquentable qu’Assimi Goïta ?

Je ne suis allée ni au Tchad ni au Mali. La France a toujours défendu la même position à l’égard des régimes de transition : respect des décisions des instances régionales, respect des engagements pris en matière de calendrier, organisation d’élections inclusives. Voilà le message que je porte. Ce n’est pas une question de personnes.

Considérez-vous les autorités de la transition maliennes comme illégitimes ?

Elles sont arrivées au pouvoir par un coup d’État. C’est un fait. Mais après ce qu’elles ont promis en arrivant au pouvoir et avec les personnes qu’elles ont appelées pour les aider, elles ont montré leurs insuffisances. Pour le reste, je ne souhaite pas faire davantage de commentaires sur le Mali.

Pourquoi ?

Je ne parle pas avec les autorités maliennes. Je préfère parler de nos relations avec tous les autres pays avec lesquels nous travaillons.

Croyez-vous encore en la perspective d’une élection présidentielle au Mali ?

Je l’espère pour le peuple malien. Beaucoup de Maliens habitent en France, et beaucoup de Français vivent au Mali. Quand je parle du Mali, je ne prends pas seulement en compte les actes des autorités actuelles. Une vieille histoire, fondée sur des relations humaines, lie nos deux pays. C’est ce qui restera dans l’Histoire.

Un récent rapport de l’ONU a accusé l’armée malienne et les mercenaires de Wagner d’avoir exécuté au moins 500 personnes à Moura, à la fin de mars 2022. Quelle est la position de la France dans cette affaire ?

Je vous ai dit que je ne voulais plus parler du Mali, mais bien sûr nous condamnons toutes les exactions.

Alors, parlons du Burkina Faso. Vous avez rencontré Ibrahim Traoré à Ouagadougou, en janvier. Comment jugez-vous son action ? Le sentez-vous bien disposé à l’égard de la France ?

J’ai en effet rencontré le président de la transition ainsi que des représentants de la société civile burkinabè. Ma position a été très claire : j’ai dit à Ibrahim Traoré que la France lui proposait un partenariat et que c’était à lui de décider s’il l’acceptait ou pas.

Que vous a-t-il répondu ?

Cela reste entre lui et moi. Mais la France est prête à aider le Burkina Faso parce que la lutte contre le terrorisme n’est pas la lutte d’une personne ou d’un pays. Nous sommes tous mobilisés pour relever ce défi.

Avant de rencontrer Ibrahim Traoré, j’ai eu des échanges avec les ambassadeurs de l’Union européenne (UE) et des États-Unis pour connaître leur position. Elle est la même que la nôtre : nous sommes tous prêts à l’aider dans sa lutte contre le terrorisme.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, les relations entre le Burkina Faso et la France se sont nettement dégradées. Les militaires français ont été chassés du pays comme ils l’avaient été du Mali quelques mois auparavant…

Ils n’ont pas été chassés. Il y avait un accord de défense, dont le président Traoré n’a plus voulu.

Chassés ou non, ils ont été priés de plier bagage. Redoutez-vous un scénario à la malienne au Burkina Faso ? Pensez-vous que les autorités burkinabè pourraient à leur tour faire appel à Wagner ?

Le président de la transition, Ibrahim Traoré, est libre de décider souverainement ce qui est le mieux pour son pays et de choisir avec qui il veut travailler. Mais tout choix a des conséquences. Inutile que je le souligne, il le sait très bien.

Au-delà des cas malien et burkinabè, le temps n’est-il pas venu pour l’armée française de quitter l’Afrique au lieu de procéder à un énième remaniement de son dispositif sur le continent ?

Le président Macron a évoqué avec tous ses homologues la question de nos bases militaires. Comme il l’a dit dans son dernier discours sur l’état de nos relations avec les pays africains, à l’Élysée, à la fin de février, ces bases ont vocation à évoluer vers un nouveau modèle.

Demain, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles ou encore d’académies qui seront co-gérées, fonctionnant avec des effectifs français moindres, avec des effectifs africains mais aussi, si les partenaires africains le souhaitent, avec d’autres partenaires. Les pays africains ont besoin de renforcer leurs armées. Je suis allée au Bénin, au Ghana, en Côte d’Ivoire, en RDC… On voit très bien qu’il faut des armées fortes.

Cela passe par de la formation, par des équipements et du renseignement. Aujourd’hui, voilà ce que la France, mais aussi l’UE, proposent. Nous savons fort bien que, pour lutter contre le terrorisme, un dispositif complet est nécessaire, comprenant des personnels formés, équipés et bien renseignés. Notre rôle n’est pas d’être en première ligne, mais derrière et en appui.

Regrettez-vous que la coopération française passe encore comme trop militaire ?

Mais elle n’est pas que cela, et c’est justement pour le démontrer que j’ai été nommée. Mon message est simple : l’ère du tout militaire et de l’aide, c’est fini. Ma politique est fondée sur le partenariat. Si on travaille ensemble, c’est parce qu’il y a un intérêt mutuel et une envie réciproque. Je travaille sur cette nouvelle relation. Quand je regarde le continent africain, je ne vois pas des enjeux militaires, mais un continent peuplé de 1,3 milliard d’habitants, qui a envie de faire des affaires ou de monter des projets avec nous.

Vous avez aussi rencontré le colonel Mamadi Doumbouya, à la fin d’avril, à Conakry. Condamnez-vous le récent raidissement de la junte à l’égard des opposants ?

Lors de mon voyage à Conakry j’ai rencontré le président Doumbouya mais aussi ses opposants et les représentants du G5 [ONU, Cedeao, UE, États-Unis, France], au sein duquel nous avons tous la même position : respect du calendrier de la Cedeao et attachement aux libertés fondamentales que sont le droit de manifester ou la liberté de la presse. J’ai été très claire avec Mamadi Doumbouya sur ces points.

La situation politique au Sénégal vous préoccupe-t-elle, à l’approche de la présidentielle de février 2024 ?

Le Sénégal est un pays ami avec des acquis démocratiques exemplaires. Il est important que cette élection se passe le mieux possible. Avec nos collègues européens, nous suivons tout cela de près, et nous disons à toutes les parties que le niveau de tension actuel nous préoccupe.

Macky Sall peut-il briguer un troisième mandat ?

C’est à lui de dire ce qu’il veut faire. Chaque pays a sa Constitution. Le Sénégal a la sienne. La France est attachée au respect du droit et du pluralisme. Pour le reste, je ne peux faire de commentaires sur des hypothèses.

La France a-t-elle un message à faire passer à propos de cet éventuel troisième mandat ?

Nous restons très attachés à des élections démocratiques. Il faut que la démocratie gagne.

La Source: JeuneAfrique.com

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