L’Inde, Partenaire Incontournable de l’Afrique

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L'Inde, Partenaire Incontournable de l'Afrique
L'Inde, Partenaire Incontournable de l'Afrique

Par Nelly Fualdes

 

Africa-Press – CentrAfricaine. Des hydrocarbures aux produits pharmaceutiques, en passant par la construction et l’agriculture, les entreprises indiennes ont investi tous les secteurs de l’économie du continent. Et ce n’est que le début.

Les réserves gazières du Capo Delgado, au Mozambique, sont loin de n’intéresser que TotalEnergies ou encore depuis récemment la major italienne ENI. Parmi les autres acteurs impliqués au sein du consortium, la société publique indienne ONGC Videsh Ltd (OVL), qui a approuvé en mars dernier un nouvel investissement de 180 millions de dollars dans le mégaprojet de gaz naturel liquéfié (GNL) dont elle détient 16 %. D’autres compagnies publiques indiennes sont également impliquées dans le projet: Bharat Petroleum Corporation Ltd (10 %) et Oil India (4 %).

Au total, le poids cumulé des acteurs étatiques indiens (30 %) dépasse celui de la major française (26,5 %) qui reste pourtant, opérationnellement et dans les annonces, identifié comme le leader du projet. Une situation symptomatique de la façon dont les entreprises indiennes sont présentes en Afrique: de manière discrète mais bien implantées.

« Le commerce bilatéral est passé de 68,5 milliards de dollars américains en 2011-2012 à 83,34 milliards de dollars américains en 2023-2024, faisant de l’Inde le troisième partenaire commercial de l’Afrique (après l’Union européenne et la Chine) », indique un rapport de la Confédération de l’industrie indienne, qui défend les intérêts des acteurs économiques indiens. Dévoilée en août 2024, à l’occasion d’une rencontre commerciale Inde-Afrique à New Delhi, l’étude révèle en outre que l’Inde est devenu le deuxième prêteur en Afrique, avec 75 milliards de dollars d’investissements cumulés, notamment via les projets de la Banque africaine de développement (BAD). Et la mécanique ne devrait pas s’enrayer de sitôt: « L’industrie et le gouvernement indiens ont pour objectif de porter [ces investissements cumulés] à 150 milliards de dollars d’ici 2030 », poursuit le document.

Entre l’Afrique et le sous-continent indien, les événements économiques se multiplient: India Africa Entrepreneurship Forum, India-Africa Forum Summit… En 2017, les assemblées annuelles de la BAD ont d’ailleurs eu lieu à Ahmedabad, en Inde.

Concurrence chinoise

Bien sûr, les échanges entre le continent et l’ancienne colonie britannique devenue chantre du non-alignement et de la coopération Sud-Sud ne datent pas d’hier. Ainsi, les emblématiques camions et bus Tata circulent sur le continent depuis les années 1970, bien avant l’implantation de Tata Africa Holding Ltd à Johannesburg, en 1994.

Mais tout s’est accéléré à partir du début du XXIe siècle. L’un des symboles de cet assaut indien fut sans doute le rachat par le géant des télécoms Bharti Airtel des actifs africains de Zain, en 2010. Airtel Africa, à la tête duquel l’Indien Sunil Taldar a succédé en juin 2024 au Nigérian Olusegun Ogunsanya, revendique aujourd’hui 166,1 millions d’utilisateurs, 136 milliards de dollars de transactions mobiles, 78 700 km de fibre, et la première ou la deuxième place dans chacun de ses 14 marchés de présence, ce qui en fait le deuxième opérateur télécoms du continent, derrière MTN et devant Orange.

Les entreprises indiennes, qui voient en l’Afrique un marché important pour les biens et services indiens, sont présentes dans tous les secteurs: elles y exportent des hydrocarbures raffinés, des produits alimentaires et pharmaceutiques ou encore des services. Elles importent en retour du pétrole brut, des diamants, du cuivre…

« Contrairement à la Chine, beaucoup de grandes entreprises indiennes, qu’elles soient publiques ou privées, sont gérées de manière très privée et agissent de manière relativement indépendante des ambitions diplomatiques et stratégiques », expliquait en 2023 à FDI Intelligence Barnaby Dye, un universitaire britannique spécialisé en politiques de développement. « Politiquement, le gouvernement indien a toujours encouragé les acteurs à considérer l’Afrique comme une priorité. Mais il a fallu que l’Inde fasse un bond considérable dans son propre développement et que les opérateurs privés indiens constatent une saturation sur les autres marchés pour qu’ils commencent sérieusement à s’intéresser à l’Afrique et prennent conscience du potentiel inexploité que celle-ci représente », détaille pout Jeune Afrique Harsh V. Plant, vice-président pour les études et politiques étrangères de l’Observer Research Foundation, à New Delhi.

Et les résultats sont là: selon une enquête diligentée par Exim Bank of India auprès d’entrepreneurs indiens ayant investi en Afrique, 80 % des personnes interrogées sont satisfaites des investissements réalisés en Afrique et 72 % d’entre elles souhaiteraient investir à nouveau dans le même pays si l’occasion se présentait. « Le marché africain a été favorable aux entreprises indiennes qui y ont investi, tant en termes d’acceptabilité des produits que de génération de revenus », indique l’enquête, même si les sondés s’accordent sur le fait qu’il existe « une marge d’amélioration significative dans des domaines tels que le droit du travail, les pratiques de gestion, la qualité de la main-d’œuvre et le régime fiscal ». De ces témoignages, ressort aussi le défi de la concurrence chinoise, tandis que celle émanant des pays occidentaux n’est quasiment pas mentionnée.

Contrôle strict des filières

« Les approches des entreprises indiennes et chinoises sont très différentes. Alors que les premières mettent l’accent sur la demande locale, la Chine a opté pour une approche descendante, au service de ses propres besoins. Quant à l’Europe, tributaire de ses propres réalités, elle ne comprend pas les besoins de l’Afrique. L’Inde, en revanche, est ou a été récemment confrontée aux mêmes enjeux de développement que le continent, ce qui lui confère un vrai avantage », développe Harsh V. Plant.

« Les tarifs des entreprises indiennes sont souvent plus élevés que celles des concurrents chinois ou libanais, mais les clients sont prêts à payer car ils savent que les matériaux seront de meilleure qualité et que les délais seront respectés », confie à Jeune Afrique un ancien cadre de Senegindia, un conglomérat basé à Dakar depuis 2008, présent notamment dans l’immobilier, la construction, l’agriculture et les mines. Selon lui, « l’installation en Afrique permet aux entreprises indiennes de conquérir de nouveaux marchés où la demande est forte et la concurrence faible, ce qui permet de jouer sur les prix ».

Pour cela, les entreprises contrôlent strictement les filières. « La plupart des intrants, que ce soient les matériaux de construction, les produits agricoles, l’équipement ou le matériel médical, viennent d’Inde, tout comme le haut management et le financement », témoigne notre interlocuteur.

« Quand elles sont enregistrées à l’étranger, les entreprises indiennes ne déclarent pas leurs revenus en Inde, ne versent pas de taxes, et ne reçoivent donc aucun soutien de l’État », précise-t-il encore. Ce qui n’empêche pas New Delhi de continuer à pousser pour le renforcement des échanges entre l’Afrique et le sous-continent. En mars, le gouvernement indien a lancé avec DP World l’initiative commerciale Bharat Africa Setu, qui vise à relier les ports, les zones économiques et les parcs logistiques du géant émirati dans les deux régions – 10 ports et terminaux, trois zones économiques et plus de 200 entrepôts sont gérés par DP World à travers l’Afrique.

Alors que les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique ont chuté de 15 % en 2023-2024 en raison des tensions géopolitiques, du ralentissement des principales économies et des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement, les mesures successives édictées par Donald Trump depuis le début de 2025 – des 50 % de droits de douane sur les importations indiennes au visa à 100 000 dollars – poussent plus que jamais l’Inde à intensifier ses échanges avec d’autres partenaires.

L’Afrique du Sud ne s’y est d’ailleurs pas trompée: en 2025, 31 ans après la reprise de leurs relations diplomatiques – coupées durant l’apartheid – Pretoria a assoupli sa politique de visa à l’égard des ressortissants indiens, désormais délivrés de formalités pour les séjours de moins de 90 jours, y compris pour les voyages d’affaires. « Compte tenu des difficultés que connaissent actuellement les relations économiques entre l’Inde et les États-Unis, la recherche de nouveaux marchés va devenir plus urgente, avec l’essor de nouveaux domaines, notamment la défense », conclut Harsh V. Pant. En témoigne l’inauguration, le 23 septembre, de l’usine Tata Advanced Systems à Casablanca, où seront produits des véhicules blindés WhAP 8*8 destinés au marché marocain et plus largement à l’ensemble du continent.

Source: JeuneAfrique

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