Big data : l’Afrique partie à la conquête de ses données

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Big data : l’Afrique partie à la conquête de ses données
Big data : l’Afrique partie à la conquête de ses données

Africa-Press – CentrAfricaine. De plus en plus de start-up se lancent sur le continent sans perdre de vue les enjeux autour des données, notamment la fiabilité et la propriété.

C’est le rêve de toute entreprise qui souhaite s’implanter en Afrique : avoir accès à des données de qualité, fiables et variées. Mais pas si simple sur un continent où l’informel est roi et où jusqu’à 90 % du commerce relève du secteur traditionnel. Résultat : les entreprises internationales tardent à prendre des décisions lorsqu’il s’agit d’investir sur le continent africain. Elles peinent aussi à se projeter et voient souvent leurs prévisions ne pas correspondre à la réalité du terrain. Les experts sont formels : connaître les données des consommateurs africains est un enjeu majeur pour les multinationales, et le big data est le nouvel or noir de l’Afrique.

« C’est précisément là que nous intervenons, débute tout sourire Joseph Rutakangwa », cofondateur de la start-up Rwazi. Le jeune Tanzanien, basé à Los Angeles, et son associé, Eric Sewankambo, ont vu l’avènement du big data et de l’intelligence artificielle comme des réponses au déficit de données dans les pays émergents. En 2018, ils ont lancé la plateforme Rwazi, spécialisée dans la collecte de données brutes. « En utilisant Rwazi, les entreprises multinationales peuvent accéder à des données sur qui achète quoi, pour combien, d’où, quand et pourquoi, afin de les aider à stimuler la croissance de leurs revenus et l’expansion de leur marché », affirme Joseph Rutakangwa. Et ils ne sont pas les seuls sur ce créneau. En effet, de plus en plus de start-up africaines centrées sur l’utilisation des données de masse commencent à émerger.

Il faut dire que c’est le bon moment et, de l’avis de beaucoup, le continent africain pourrait, là aussi, opérer « un saut de grenouille » puisque, contrairement aux pays industrialisés, la révolution de la téléphonie mobile constitue à elle seule une source de données majeure et déjà disponible.

Aujourd’hui, les deux tiers des Africains disposent d’un téléphone mobile. Le cabinet de conseil BearingPoint estime qu’à « l’horizon 2030, les revenus générés directement par le big data en Afrique atteindront 10 milliards de dollars, soit l’équivalent de plus de dix fois le niveau de revenus générés actuellement » !

La start-up qui prend le pouls des consommateurs d’Afrique subsaharienne

Dans les immenses allées du salon du Gitex, l’un des plus importants rendez-vous dédiés à la tech à Dubaï, Joseph Rutakangwa, petites tresses courtes et look soigné, déroule son argumentaire : « Le fait que les économies africaines soient si dépendantes aux espèces n’est en réalité pas un problème structurel, mais il découle de la méfiance culturelle à l’égard des banques et des paiements mobiles. De plus, souligne l’entrepreneur, de nombreux détaillants n’acceptent pas les transactions numériques ou par carte bancaire. »

L’Afrique a le plus faible taux de bancarisation au monde, soit 15 %. Pour le jeune entrepreneur, « d’une part, un quart de la population mondiale sera africaine, c’est là-bas que se trouvent les futurs consommateurs, la main-d’œuvre et la jeunesse, c’est pour cela que les entreprises internationales ont besoin de mieux connaître cette population, et pour le moment aucun équipement numérique ne peut faire ce travail automatiquement, il y a donc une forte demande de données », justifie-t-il.

« D’autre part, poursuit-il, des millions de jeunes en Afrique ont besoin d’activités génératrices de revenus. Ils sont instruits, utilisent des smartphones, et ont un accès quotidien à Internet », soutient ce diplômé de l’African Leadership University, la fabrique de leaders africains.

Comment ça marche ? Une entreprise intéressée souscrit à un forfait auprès de la start-up, qui fait appel à ce qu’elle nomme des cartographes, souvent des jeunes pour collecter le maximum de données via l’application ou les réseaux sociaux et les analyses grâce à des algorithmes très performants. L’intérêt pour les entreprises ? Pouvoir recouper et exploiter ces données afin de développer leurs ventes et leurs bénéfices.

Le business model a déjà convaincu des dizaines d’entreprises internationales et panafricaines, dont de grands groupes comme Coca-Cola, Dangote, Vaseline, Nivea, Gilette, etc. Mais aussi des organisations ou institutions pour lesquelles l’entreprise peut fournir des données précises sur les populations en temps réel. « Nous pouvons par exemple fournir des informations en direct sur la disponibilité, la visibilité et les prix de Coca-Cola par rapport à Pepsi à Lagos, tout au long de l’année, détaille Joseph Rutakangwa. Des informations cruciales qui vont permettre à certaines de ces entreprises de pouvoir se réapprovisionner rapidement pour augmenter leur part de marché. »

L’idée de Rwazi a émergé lorsque Joseph Rutakangwa, né en Tanzanie, travaillait aux États-Unis comme consultant sur des projets d’expansion pour des multinationales. « Pour les nombreux projets sur lesquels nous avons travaillé, l’obstacle le plus courant était le manque de données provenant des pays en développement, en particulier d’Afrique subsaharienne », explique Rutakangwa, arrivé aux États-UNis grâce à un programme d’échange du gouvernement américain en faveur des pays musulmans après les attentats du 11 Septembre.

« En utilisant Rwazi, les multinationales accèdent à des données sur qui achète quoi, pour combien, d’où, quand et pourquoi, pour les aider à générer des revenus et à se développer, mais aussi comprendre comment les consommateurs africains prennent leurs décisions d’achat, elles peuvent ainsi créer des messages, des prix et des emballages hyperlocaux. »

L’accès au financement reste un frein pour les jeunes pousses

À Expand North Star Dubaï, le bouillonnant point de rendez-vous des jeunes pousses qui se déroulait au Dubaï Harbor, le port de la ville où experts et investisseurs se retrouvent pour écouter pitcher des entrepreneurs, et discuter des idées les plus innovantes, Rwazi est resté discret. Et pourtant, la start-up a levé en mars dernier le montant de 4 millions de dollars en amorçage auprès de Bonfire Ventures, basé à Santa Monica, Newfund Capital, entre Paris et San Francisco et Alumni Ventures, un fonds d’investissement du New Hampshire. Une petite prouesse tout de même dans un contexte de rareté du capital, de baisse importante des investissements dans les start-up africaines, à cause du contexte géopolitique international et l’augmentation des taux d’emprunt. « Les levées de fonds sont un moyen plus qu’une fin en soi », se justifie Joseph Rutakangwa, qui préfère évoquer les difficultés de financement auxquels sont confrontés les entrepreneurs en Afrique.

Car le parcours a été laborieux depuis les débuts, de l’aveu du jeune entrepreneur, « nous avons levé des fonds aux États-Unis parce que les investisseurs africains n’investissent pas à des stades précoces, en tout cas pas avant l’amorçage, déroule-t-il. Nous avons dû très vite nous adapter en nous implantant dans plusieurs pays et continents, car nous sommes aussi présents en Asie du Sud et en Amérique latine », confie-t-il. De toutes les façons, « aucun pays africain ne peut générer à lui seul suffisamment de revenus pour les entreprises ou organisations internationales, et l’Afrique représente un marché de 3 000 milliards de dollars, il n’y a donc pas de raison de se limiter ».

Avec ce nouveau financement, Rwazi prévoit d’embaucher de nouveaux ingénieurs, d’investir dans des logiciels et d’augmenter le nombre de langues prises en charge pour mieux s’adapter aux entreprises internationales. La société prévoit d’ajouter 100 langues, dont l’arabe, le portugais, l’afrikaans et le swahili.

« L’Afrique regorge de développeurs qui apprennent vite et sont avides des nouvelles technologies comme l’IA, s’enthousiasme Seydou Dembele, à la riche expérience dans le montage de sociétés. Il y a quelques années, l’Afrique était largement à la traîne, ou en tout cas ces secteurs étaient balbutiants, et seuls les anglophones dominaient, ils étaient mieux formés que les francophones dans les technologies, explique ce Malien d’origine installé à Miami. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus de différence, les experts data en Afrique sont excellents. »

Comme partout dans le monde, les projets d’analyses de données de masse nécessitent à la fois les compétences techniques pour gérer et analyser les données, mais aussi des compétences stratégiques pour tirer des conclusions significatives de l’analyse. « Le capital humain est primordial pour développer ce type de projets en Afrique, même si les budgets informatiques sont encore limités et le manque de ressources qualifiées entravent les initiatives. »

Autre frein, « les lois et réglementations ne sont pas les mêmes d’un pays à un autre. Il faut donc être capable d’aborder différents pays et différentes politiques publiques, cela prolonge le temps nécessaire pour pénétrer de nouveaux marchés, estime Joseph. Mais nous constatons qu’il y a un effort important d’innovation qui est réalisé, en particulier au Rwanda, en Ouganda, mais tous les pays déploient des efforts pour passer à l’échelle. »

Les investisseurs des Émirats fondent sur l’Afrique

Cette jeune pousse pourrait connaître une évolution rapide à partir de Dubaï, car la cité-État d’à peine plus de trois millions d’habitants se rêve en « hub » du numérique, particulièrement pour la région Moyen-Orient et pour l’Afrique. « Je pense qu’au cours de la prochaine décennie, la majorité des start-up technologiques pourraient venir d’Afrique, pour la simple raison que sa population est jeune », avance Mohammad Ali Rashed Lootah, président et PDG de la Chambre internationale de Dubaï, l’un des bras armés financiers de la stratégie numérique de l’Émirat. Nous voyons beaucoup de solutions créatives et innovantes pensées et mises en œuvre à partir du continent africain. » Et l’émirat ne compte pas se fixer de limite : « Nous avons plus de 1 000 investisseurs prêts à mobiliser des fonds de plus de 1,3 milliard de dollars et Dubaï ne veut pas se limiter à un secteur en particulier, nos investisseurs sont intéressés autant par la fintech que la blockchain ou l’intelligence artificielle. »

Dans les allées du Gitex, Rahmani Ilyass, directeur de la technologie au sein de la société Nearsecure, basée au Maroc, et investisseur, est à la recherche de pépites dans lesquelles investir. Pour cet expert en cybersécurité, « les pays africains du Nord et subsahariens sont confrontés aux mêmes problématiques et défis, pointe-t-il, mais le manque de confiance dans les compétences locales est le frein majeur alors même que les Africains sont présents dans les multinationales du monde entier », souligne-t-il.

Habitué des cercles d’investisseurs émiratis, l’expert marocain est confiant dans le rapprochement qui s’est opéré ces dernières années entre Dubaï et les pays africains, en particulier le royaume chérifien, qui abrite depuis cette année le Gitex Africa. « Les investisseurs des pays du Golfe sont attachés à certaines valeurs, cela les différencie des investisseurs classiques. À Dubaï et dans les Émirats, la stratégie compte autant que la confiance. Le partenaire doit évidemment être visionnaire mais pas que, en fait, il n’y a pas que le retour sur investissement qui compte, je crois que ce sont des valeurs partagés avec les Africains. Maintenant, il faut vraiment des partenariats gagnant-gagnant », souligne Rahmani Ilyass qui pointe également la nécessité pour les investisseurs de s’engager sur le volet éducatif et surtout de s’attaquer à l’épineux sujet de la propriété des données et de leur protection. Un point crucial à régler si le continent veut assurer sa souveraineté. Car, encore aujourd’hui, les données sont envoyées à l’étranger avant d’être traitées. « Nous n’avons pas les infrastructures nécessaires, même si cela commence à changer. Mais cela fait peser un très gros risque sur l’Afrique et ses données. » En 2020, la cybercriminalité aurait coûté 1 trillion de dollars au continent.

Source: lepoint

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