
Africa-Press – CentrAfricaine. Starlink est un réseau satellitaire mis en place par SpaceX, l’entreprise aérospatiale fondée en 2022 par Elon Musk. Cette technologie s’appuie sur une constellation de satellites en orbite basse afin de proposer un accès Internet à haut débit. L’objectif affiché est d’offrir une couverture mondiale, y compris dans les zones reculées où vivent des populations rurales à faibles revenus. Bien que ce service soit prometteur, il soulève des inquiétudes quant à son accessibilité financière, à l’efficacité de la réglementation et à la sécurité des données nationales. Ces défis continuent de susciter des inquiétudes parmi les autorités, les régulateurs et les acteurs du marché dans la région.
Helio Varela, CTO de Unitel T+ — le plus récent opérateur télécoms implanté au Cap-Vert — exprime ses réserves quant à l’adoption des technologies satellitaires. Il préconise plutôt le recours aux réseaux terrestres, considérés comme une solution plus fiable pour garantir une couverture universelle. Depuis son arrivée sur le marché capverdien, Unitel T+ s’est démarqué en proposant des solutions innovantes et un accès haut débit de qualité, consolidant ainsi sa place d’acteur majeur dans le paysage des télécommunications de la région.
Agence Ecofin: Starlink peut-il réellement garantir un service universel aux gouvernements ?
Helio Varela: Une chose est certaine: la technologie satellitaire offre l’avantage d’une couverture mondiale. Toutefois, remplacer les réseaux terrestres afin d’assurer un service universel suscite de nombreuses interrogations. L’un des défis majeurs reste l’accessibilité financière.
En effet, Starlink ne propose qu’une connexion Wi-Fi, obligeant les utilisateurs à posséder au moins un appareil intelligent adapté. Pour la plupart des habitants vivant en zones rurales et visés par le service de couverture universelle, un tel investissement dépasse largement leurs moyens financiers.
« Pour la plupart des habitants vivant en zones rurales et visés par le service de couverture universelle, un tel investissement dépasse largement leurs moyens financiers. »
En réalité, avant même d’envisager l’accès aux données, la priorité est de garantir des services de base, tels que les appels et les SMS, afin de réduire la fracture numérique dans les zones reculées. Ces besoins fondamentaux peuvent aisément être satisfaits par un téléphone mobile basique, peu coûteux et capable d’offrir ces fonctionnalités essentielles.
En définitive, par rapport aux opérateurs télécoms traditionnels, le coût des terminaux et des abonnements Starlink reste inabordable pour la majorité des ménages ruraux dans la plupart des pays africains.
AE: Quelles sont les principales préoccupations concernant la sécurité des données avec Starlink ?
HV: La sécurité des données reste un enjeu crucial pour l’ensemble des parties prenantes, et plus particulièrement pour les gouvernements, d’autant que la nature même de la technologie de Starlink suscite des inquiétudes.
Tout d’abord, l’ensemble des données transitant sur le réseau Starlink doit passer par des passerelles terrestres avant de rejoindre l’Internet public. Or, le nombre de ces passerelles est limité. En Afrique, par exemple, on en compte seulement une ou deux, situées au Nigeria et au Ghana. Cela implique que les données de tous les pays africains doivent être transférées vers l’un de ces deux États, ce qui va à l’encontre du principe fondamental interdisant que les données nationales ne sortent de leur territoire.
Ensuite, avec l’adoption de la technologie des « communications inter-satellites », la sécurité des données sera encore plus incontrôlable puisque même si une passerelle locale est déployée dans le pays desservi, les données pourront toujours être transmises vers d’autres pays grâce à ces liaisons inter-satellites.
« Avec l’adoption de la technologie des « communications inter-satellites », la sécurité des données sera encore plus incontrôlable »
Enfin, les satellites Starlink se déplacent au-delà de l’espace aérien national, ce qui prive les autorités locales de tout levier légal pour contraindre le système à respecter leurs régulations.
AE: Quels autres effets négatifs Starlink pourrait-il avoir sur le pays et le marché télécom local ?
HV: Un modèle économique tel que celui de Starlink peut sembler attrayant au premier abord. Pourtant, les réglementations nationales sont encore inadaptées pour accueillir un tel modèle et sa contribution limitée à l’écosystème local risque de nuire au développement national et à une concurrence équitable.
Du point de vue de l’intérêt général, Starlink semble offrir une faible contribution au développement socio-économique local, en comparaison avec les opérateurs télécoms traditionnels. En effet, son modèle ne nécessite aucune infrastructure locale ni ressources nationales pour déployer ses services, grâce notamment à une approche de vente flexible en ligne. De plus, Starlink apporte une contribution économique minime: contrairement aux opérateurs télécoms qui s’acquittent de coûteuses licences d’exploitation, la société profite de fréquences souvent utilisées à très faible coût, voire gratuitement. Son recours à la vente en ligne lui permet également d’échapper aux réglementations fiscales locales.
« Du point de vue de l’intérêt général, Starlink semble offrir une faible contribution au développement socio-économique local, en comparaison avec les opérateurs télécoms traditionnels ».
Cette situation crée un environnement de concurrence déloyale pour les opérateurs télécoms du pays, qui jouent pourtant un rôle central dans le développement local en offrant, sur le long terme, des opportunités économiques. Sur le plan réglementaire, les entreprises comme Starlink sont soumises à des obligations différentes. Par exemple, elles pourraient ne pas respecter les accords de niveau de service (SLA), les réglementations tarifaires ou les exigences de couverture universelle, comme l’ont montré des expériences dans d’autres marchés.
AE: Existe-t-il des orientations en matière de politiques à mettre en place concernant Starlink dans votre pays ?
HV: Compte tenu des préoccupations relatives à la sécurité des données, au risque de fuites d’informations, à l’absence de contrôle suffisant et à un coût peu abordable, il est fortement conseillé d’adopter des mesures solides pour prévenir tout risque en matière de confidentialité et lever les incertitudes réglementaires avant d’autoriser l’introduction de la technologie Starlink. De nombreux pays se sont déjà montrés réticents, notamment face aux menaces pesant sur la sécurité des données et la sensibilité des informations. À ce jour, plus d’une douzaine d’États de la région – parmi lesquels le Sénégal, le Congo, la Guinée et la Côte d’Ivoire – ont imposé des interdictions afin de stopper l’utilisation illégale de Starlink, en attendant la mise en place de mesures réglementaires adéquates.
« À ce jour, plus d’une douzaine d’États de la région – parmi lesquels le Sénégal, le Congo, la Guinée et la Côte d’Ivoire – ont imposé des interdictions afin de stopper l’utilisation illégale de Starlink ».
Une fois ces défis relevés, les conditions suivantes devraient être considérées comme des prérequis pour un usage sûr et encadré de Starlink sur le territoire national:
Le déploiement de passerelles terrestres: Starlink devrait installer des infrastructures nationales, et l’utilisation des communications inter-satellites devrait être interdite pour garantir la sécurité des données.
Parité réglementaire: Starlink devrait être soumis aux mêmes réglementations et obligations que les opérateurs terrestres, notamment en ce qui concerne les frais de licence, les redevances de spectre, la fiscalité locale, les normes de qualité de service et les autres exigences réglementaires.
Collaboration avec les acteurs locaux et contribution à l’économie nationale: Pour maximiser les avantages des technologies satellitaires et télécoms au profit des citoyens, il est recommandé de ne pas accorder de licences indépendantes à Starlink ou aux autres acteurs des satellites en orbite basse (LEO). Au contraire, il convient de privilégier un modèle de partenariat dans lequel les opérateurs télécoms locaux fournissent le service aux utilisateurs, en s’appuyant sur la connectivité en « backhaul » assurée par Starlink ou d’autres prestataires de satellites LEO.
Pour que l’intégration de la technologie Starlink réponde aux intérêts nationaux et préserve l’équilibre de l’ensemble de l’écosystème, il est indispensable de prendre ces enjeux au sérieux. L’établissement de réglementations claires, l’exigence d’une contribution équitable à l’économie et le respect de mesures strictes en matière de sécurité des données constituent autant de conditions essentielles. De cette manière, il sera possible de tirer parti des capacités satellitaires pour renforcer les infrastructures télécoms existantes, tout en préservant un environnement de marché sûr, équitable et durable.
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