L’expansion africaine de Corsair va-t-elle être entravée par Bruxelles ?

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L’expansion africaine de Corsair va-t-elle être entravée par Bruxelles ?
L’expansion africaine de Corsair va-t-elle être entravée par Bruxelles ?

Nelly Fualdes

Africa-Press – CentrAfricaine. Alors que la compagnie française prépare son atterrissage à Brazzaville, ses projets sont suspendus aux conclusions de la Commission européenne. Laquelle s’intéresse de près aux aides d’État dont elle a pu, et doit encore, bénéficier de la part de Paris.

Abidjan, Bamako, Cotonou et Antananarivo: l’Afrique représente déjà quelque 20 % de l’activité et du chiffre d’affaires de Corsair. Son PDG, Pascal de Izaguirre, envisage de porter ce ratio à 30 % « à terme », a-t-il expliqué à Jeune Afrique, le 10 avril.

Ce redéploiement des capacités de la compagnie, jusqu’ici majoritairement centrée sur les Antilles françaises et l’Océan indien, s’inscrit « dans un contexte marqué par l’extrême concurrence des compagnies » sur ces destinations, précise le « plan de restructuration révisé » qui attend d’être approuvé par Bruxelles.

« Sérénité complète »

Cette feuille de route « est essentiel[le] à la survie même d’une compagnie qui n’a jamais gagné d’argent », assurent plusieurs experts familiers du dossier. Elle prévoit notamment l’ouverture du capital de la compagnie à la République du Congo, qui doit injecter 15 millions d’euros et ainsi peser 40 % dans le tour de table.

Mais les volets « effacement de dettes par l’État français », à hauteur de 103 millions d’euros, et « rééchelonnement et crédit d’impôt » pour 44 millions d’euros, passent mal auprès de l’institution européenne, comme le confirme un courrier adressé au ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, par Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive de la commission. D’autant que la compagnie a déjà été aidée par l’État en décembre 2020, après la pandémie et avec l’aval de Bruxelles.

La lettre, datée du 5 février dernier, mais dont une version a été rendue publique le 5 avril, n’a pas valeur de décision – les parties intéressées sont appelées à présenter leurs observations. Mais Margrethe Vestager ne cache pas ses « doutes » sur la légalité d’une nouvelle aide d’État, malgré l’appui de Paris (qui la présente comme une « modification » du plan précédent plutôt que comme un « nouveau » plan de restructuration).

Une « enquête approfondie en matière d’aides d’État » a donc été ouverte par la Commission européenne: une étape « technique et procédurale » qui n’a « bien évidemment aucune incidence sur l’activité de Corsair », s’est efforcé de rassurer Corsair dans un communiqué, dès le 5 avril, tout en « prenant acte » de la communication de la Commission.

Pascal de Izaguirre affiche « une sérénité complète ». « Ce sont toujours les mêmes questions qui reviennent dans tous les dossiers, y compris ceux de plus grandes compagnies que nous. Nous connaissons la grille d’analyse et pourrons y répondre, comme le veut la procédure, dès que la notification paraîtra au Journal officiel des Communautés européennes, ce qui est une question de jours. »

Soutien d’Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy

Martelant au fil des réponses son « optimisme », son « absence totale de doute » ou encore sa « confiance certaine », le PDG évoque « l’alignement parfait des positions de Corsair et de l’État français ». Le soutien d’Emmanuel Macron, notamment via l’intervention de l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy, président du Conseil consultatif de Corsair depuis 2022, a été confirmé à Jeune Afrique par plusieurs sources.

Si certains de nos interlocuteurs affichent le même optimisme quant au sort que l’Europe réservera à la compagnie – « Je ne vois pas l’Union européenne faire en sorte que Corsair se déclare en faillite », nous glisse l’un d’eux – ce n’est pas le cas de tous. En partie parce que selon la lettre de la commission, « la fermeture de routes déficitaires et leur substitution par de nouvelles routes vers l’Afrique », mesure qui a contribué à redresser (en partie) un groupe en grande difficulté financière, « va dans le sens contraire » de l’argumentaire déployé en décembre 2020 lors de la présentation du plan de restructuration.

Qui soulignait avant tout l’importance de la compagnie pour l’économie ultra-marine française, un argument qui avait fait mouche. « Certaines des aides dont la compagnie avait bénéficié relevaient strictement de la continuité territoriale mais ne se justifiaient pas pour des lignes internationales », pointe ainsi l’un de nos interlocuteurs.

Déjà sauvée plusieurs fois

Ceux-ci saluent unanimement le talent du dirigeant, qui est jusque-là toujours parvenu à déjouer les pronostics pessimistes et à remettre la compagnie à flot, notamment avec l’entrée de l'(ex-)actionnaire TUI, en 2001, en lançant la très lucrative desserte Paris-Dakar, en 2012, ou encore en négociant le plan de restructuration de décembre 2020. « S’il y arrive cette fois encore, ce sera un miracle mais ce ne sera pas son premier », commente un fin observateur du secteur.

Cette fois-ci, le virage africain (sans abandonner les Départements et régions d’Outre-Mer ni l’Océan indien), comprend notamment une augmentation des fréquences sur les lignes existantes: à compter du mois de juin, la compagnie française a déjà prévu de renforcer son programme pour atteindre jusqu’à neuf vols par semaine vers Abidjan, jusqu’à six vols par semaine (dont quatre vols directs) vers Bamako et jusqu’à cinq vols par semaine (dont trois directs) vers Cotonou.

Mais le projet englobe aussi l’ouverture de nouvelles lignes dont celle, incontournable, de Brazzaville, le futur actionnaire. Sur ce dossier, « tous les sujets, notamment de gouvernance, sont réglés avec l’aval de l’État français et des autres actionnaires », assure Pascal de Izaguirre.

Appel du pied à Dakar

Côté opérationnel, le PDG confirme que plusieurs missions ont déjà eu lieu afin de rencontrer les potentiels partenaires de la compagnie: aéroports, prestataires, représentants locaux potentiels, spécialistes du catering… « Fin mai, une nouvelle mission aura pour but de lancer les appels d’offres et de choisir nos prestataires », poursuit le PDG selon lequel le projet « avance de façon très concrète ». Le tout doit aboutir au lancement de la liaison vers le Congo (avec des dessertes vers Brazzaville et probablement Pointe-Noire), à raison de trois vols par semaine, « d’ici à la fin de l’année 2024 ».

Brazzaville n’est pas la seule piste africaine explorée par Pascal de Izaguirre. Dakar, que Corsair a desservi jusqu’à l’avènement d’Air Sénégal, reste un objectif pour le dirigeant. « Je ne vous cache pas que si un jour nous avons la perspective d’y revenir, nous le ferons bien volontiers et cela peut tout à fait se faire en très bonne intelligence avec la compagnie Air Sénégal« , assure-t-il tout en souhaitant « laisser le temps au nouveau gouvernement de s’installer », et en précisant « se tenir à la disposition » des autorités pour évoquer le sujet.

Par ailleurs, une délégation de l’aviation civile française s’est rendue à Yaoundé début février. Sa mission ? Négocier un nouveau cadre bilatéral pour les relations aériennes entre les deux pays. Une mission à moitié accomplie pour les émissaires français: s’ils ont bien obtenu la possibilité de désigner plusieurs transporteurs par pavillon, ils n’ont en revanche pas eu gain de cause sur le chapitre des fréquences – quatorze actuellement pour chaque pavillon – que la partie française aurait souhaité voir augmenter. Car l’enveloppe est déjà tout entière exploitée par Air France, à raison de sept vols hebdomadaires pour chacune des villes principales, Douala et Yaoundé.

Des droits de trafic à renégocier

L’ajout d’un autre opérateur pour un volume égal de fréquences pourrait s’avérer compliqué. « Les deux délégations ont convenu de poursuivre leurs échanges pour discuter de la progression de l’enveloppe des fréquences », précise la Direction générale de l’aviation civile française. Pascal de Izaguirre confirme son intérêt pour « un certain nombre de nouvelles destinations en Afrique », et précise que « les discussions pour amender l’accord aérien franco-camerounais sont encore en cours ».

Le problème ne se pose pas avec le Congo, pour lequel le cas de transporteurs multiples est déjà prévu et où Air France n’exploite que douze des dix-huit fréquences possibles vers Brazzaville et Pointe-Noire. En revanche, il se pose pour un autre pays qui intéresse aussi Corsair: le Gabon. Ici, la possibilité que plusieurs transporteurs se posent à Libreville existe déjà, mais le trafic est limité à sept fréquences hebdomadaires. Trop peu pour deux acteurs, si tant est que l’un d’eux ne se voit pas confier l’enveloppe gabonaise de droits, comme cela avait été le cas pour le Sénégal en 2012. Le risque est alors de se voir retirer les droits lorsque l’État en question se dote d’une compagnie en capacité d’assurer la ligne, à l’image du scénario de 2019.

Une scène qui ne devrait pas se reproduire fin 2024, lorsque Air Côte d’Ivoire recevra ses long-courriers et lancera ses vols Abidjan-Paris: selon la règlementation, le ciel ivoirien est totalement libéralisé et Pascal de Izaguirre se montre, là encore, optimiste. « Je pars du principe qu’il y a de la place pour trois. D’ailleurs, depuis que nous sommes arrivés en rompant le monopole d’Air France, on a considérablement fait croître le trafic. La preuve, nous remplissons très bien un vol quotidien qui n’existait pas auparavant. Plus il y a de concurrence, meilleur c’est pour le consommateur, puisque ça se traduit par une baisse des prix, plus de choix d’offres, et une émulation dans la qualité du produit », assure-t-il.

Brazzaville pourra difficilement faire plus

Le salut viendra-t-il d’Afrique ? « De nouvelles lignes africaines pourraient s’avérer heureuses car elles casseraient le monopole d’Air France. Mais le continent n’est plus la vache à lait qu’il a pu être, et l’Afrique centrale n’a pas le poids commercial d’un Dakar ou d’un Abidjan », estime un interlocuteur qui doute même que la compagnie ait la trésorerie suffisante au lancement d’une nouvelle ligne – même si Pascal de Izaguirre met en avant le renouvellement, en cours, de la flotte de la compagnie pour lever le doute.

Quant à l’hypothèse d’un sauvetage financier exclusif par Brazzaville, elle semble exclue: le montant avancé à ce jour est « relativement limité par rapport aux besoins de trésorerie à court et moyen terme de la compagnie, en particulier tenant compte des difficultés financières actuelles qu’elle rencontre », relève la commission. Un chiffre bien loin des montants auxquels la France envisage de renoncer si elle finit par obtenir gain de cause auprès de Bruxelles ou décide de passer outre l’avis de la Commission, un scénario que n’excluent pas certains de nos interlocuteurs. Or, l’injection par Brazzaville d’un montant supplémentaire est limitée par la règlementation européenne, laquelle prévoit qu’une compagnie aérienne européenne « doit être détenue à plus de 50 % et contrôlée par des Européens ».

« Bonnes relations » au Mali, interdiction au Niger

Depuis qu’Air France est persona non grata au Mali et au Burkina Faso, c’est Corsair qui se trouve en situation de monopole sur les vols directs entre Paris et Bamako. Une position longtemps dévolue au pavillon français, et dont Pascal de Izaguirre se félicite: « C’est une ligne qui marche très bien, avec une très forte demande, et je me réjouis d’ailleurs des très bonnes relations que nous avons tant avec les autorités maliennes et la population qu’avec la diaspora », confie-t-il à Jeune Afrique.

Tout n’est pourtant pas rose avec les pays de l’AES: même s’il n’est pas nommément cité dans la mesure, Corsair, en sa qualité de transporteur français, est interdit de survoler le Niger au même titre qu’Air France. La mesure, en vigueur depuis le 23 septembre 2023, est régulièrement prolongée: le dernier renouvellement la proroge jusqu’au 4 juin. Si elle n’a, pour l’instant, aucun impact sur l’activité de Corsair, cela pourrait changer avec l’ajout de destinations d’Afrique centrale au programme de vol de la compagnie. « Nous sommes tenus de respecter les dispositions de l’aviation civile », commente Pascal de Izaguirre.

Source: JeuneAfrique

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