Africa-Press – CentrAfricaine.
Les opportunités commerciales émergent souvent dans les endroits les plus inattendus. Dans un pays où les infrastructures routières demeurent défaillantes et où la sécurité sur de nombreux axes reste difficile, le transport aérien devient rapidement un secteur lucratif pour ceux qui disposent des moyens nécessaires. Les populations isolées, privées d’alternatives viables, se retrouvent captives de ceux qui contrôlent les moyens de déplacement.
C’est dans ce contexte que Wagner, le groupe de mercenaires russes présent en Centrafrique depuis 2018, vient de lancer une nouvelle activité commerciale. Après les mines, les forêts, les douanes, le café, l’or, les boissons alcoolisées Afrika Ti L’or, et les forages d’eau, les Russes investissent maintenant le secteur du transport aérien. Le groupe a créé ce que les Centrafricains appellent déjà “Air Wagner”, une compagnie aérienne informelle qui exploite les hélicoptères militaires du groupe pour transporter des passagers civils entre les villes enclavées et la capitale Bangui.
Le système fonctionne de manière simple mais extrêmement rentable. Wagner utilise ses hélicoptères, normalement déployés pour des opérations militaires, pour faire du commerce de transport de passagers. Le carburant nécessaire au fonctionnement de ces appareils est entièrement payé par l’État centrafricain. Le gouvernement finance le kérosène, l’entretien, et toute la logistique opérationnelle. Wagner, de son côté, facture les passagers et empoche l’intégralité des recettes. L’État paie les frais, Wagner encaisse les profits.
Le cas de Sam-Ouandja et Zémio, dans le nord-Est et le sud-est du pays, permet de comprendre l’ampleur de ce business. Ces deux villes de la préfecture de la Haute-Kotto et du Haut-Mbomou se trouvent régulièrement encerclées par des miliciens. Les routes terrestres menant à Bangui sont devenues impraticables. Les populations qui veulent rejoindre la capitale pour des raisons médicales, administratives, commerciales ou familiales n’ont qu’une seule option : prendre l’hélicoptère de Wagner.
Chaque passager doit payer entre 50 000 et 100000 entre Sam-Ouandja et Bangui, puis entre 130 000 et 135 000 francs CFA pour effectuer le trajet Zémio-Bangui. Le système ne nécessite aucune réservation préalable. Les candidats au voyage se présentent avec leurs bagages au point de départ. Ils paient en espèces, directement auprès d’un responsable sur place. Une fois le paiement effectué, ils montent à bord de l’hélicoptère. Les appareils peuvent transporter un nombre important de passagers. Les rotations se multiplient en fonction de la demande. Chaque vol rapporte plusieurs millions de francs CFA à Wagner.
Ce nouveau commerce s’ajoute à l’impressionnante liste des activités économiques que Wagner a développées en Centrafrique. Le groupe contrôle aujourd’hui des mines d’or et de diamants dans plusieurs régions du pays, générant des centaines de millions de dollars de revenus annuels. Les mercenaires russes ont également investi dans l’exploitation forestière, coupant et exportant du bois précieux sans que l’État ne perçoive les taxes normalement dues sur ces activités.
Wagner a aussi créé des sociétés écrans pour s’implanter dans la douane centrafricaine. Les mercenaires supervisent les postes frontaliers, contrôlent les importations et les exportations, et prélèvent leur part sur les recettes douanières. Cette mainmise sur les douanes permet au groupe de faciliter ses propres trafics tout en empochant l’argent qui devrait normalement revenir au Trésor public.
Dans le secteur de l’or, Wagner a construit un réseau d’achat et d’exportation qui échappe totalement au contrôle de l’État. Les orpailleurs vendent leur production directement aux agents de Wagner, qui l’évacuent ensuite vers l’étranger sans passer par les circuits officiels. Les statistiques officielles sur la production aurifère centrafricaine ne reflètent qu’une fraction de la réalité. La majeure partie de l’or extrait du sol centrafricain quitte le pays par les filières contrôlées par les Russes.
Wagner a également lancé une marque de boissons alcoolisées baptisée Afrika Ti L’or. Cette production locale de spiritueux s’est rapidement répandue dans la capitale et dans les villes de province. Les bénéfices de cette activité viennent s’ajouter aux revenus déjà considérables que le groupe tire de ses autres secteurs d’activité.
Plus récemment, Wagner a créé une entreprise de forage d’eau potable. Cette société opère à Bangui et dans plusieurs villes de province, réalisant des forages pour le compte du gouvernement et de particuliers. Les Centrafricains qui ont besoin de puits ou de forages doivent désormais contacter le numéro mis en place par l’entreprise liée à Wagner. Même le secteur de l’eau, ressource vitale, est progressivement capté par le groupe russe.
Cette diversification économique fait de Wagner un acteur incontournable de l’économie centrafricaine. Le groupe russe couvre maintenant pratiquement tous les secteurs lucratifs du pays. Des mines aux forêts, des douanes au commerce de l’or, des boissons aux forages en passant désormais par le transport aérien, Wagner a construit un empire économique qui génère des centaines de millions de dollars de revenus annuels.
Toutes ces activités se déroulent avec la bénédiction du président Faustin-Archange Touadéra. Le chef de l’État centrafricain a autorisé, facilité et protégé l’expansion économique de Wagner dans le pays. Cette complicité au sommet explique pourquoi Touadéra refuse catégoriquement que Wagner quitte la République centrafricaine, malgré les pressions internationales et malgré les annonces de Moscou sur un possible remplacement du groupe par l’Africa Corps.
Le président russe Vladimir Poutine a effectivement évoqué la possibilité de remplacer Wagner par l’Africa Corps, une structure rattachée au ministère de la Défense russe, dans plusieurs pays africains où le groupe opère. Mais Touadéra s’y oppose fermement. Il veut que Wagner reste en Centrafrique. Selon les informations disponibles, l’Africa Corps viendra en complément de Wagner, mais le groupe de mercenaires maintiendra sa présence et ses activités dans le pays.
Cette insistance de Touadéra s’explique facilement. Wagner n’est pas seulement un partenaire sécuritaire pour le régime centrafricain. Le groupe est devenu un acteur économique majeur qui génère des flux financiers considérables. Une partie de ces revenus alimente directement l’entourage présidentiel. Wagner finance le maintien au pouvoir de Touadéra. En échange, le président laisse le groupe exploiter librement les ressources centrafricaines et développer ses activités commerciales sans aucun contrôle.
Le transport aérien de passagers représente la dernière innovation de Wagner dans cette stratégie de captation économique. Le groupe a compris qu’il pouvait monétiser ses moyens militaires en les transformant en services commerciaux. Les hélicoptères, financés par l’État centrafricain pour des missions de sécurité, deviennent des outils de profit privé. Les populations, contraintes par l’insécurité et le délabrement des infrastructures, n’ont d’autre choix que de payer les tarifs imposés par Wagner.
Dans les villes où Wagner est basé avec ses mercenaires, les hélicoptères effectuent des rotations régulières pour ravitailler les troupes en nourriture, en matériel et en munitions. Ces mêmes appareils reviennent chargés de passagers civils qui paient pour échapper à l’isolement. Le modèle économique est redoutablement efficace: l’État finance les opérations, Wagner empoche les revenus.
L’exemple de Zémio, Sam-Ouandja, Bria, Birao montre comment cette situation crée une dépendance totale des populations vis-à-vis de Wagner. Quand une ville se retrouve encerclée par des miliciens ou coupée du reste du pays par l’insécurité routière, les habitants n’ont plus aucune alternative pour se déplacer. Ils doivent accepter de payer le prix fixé par Wagner, sans possibilité de négociation, sans concurrence, sans régulation.
Ce système de “pompage d’argent”, comme l’appellent certains observateurs centrafricains, fonctionne à tous les niveaux de l’économie. Wagner prélève sur les mines, sur les forêts, sur les douanes, sur l’or, sur l’eau, sur les boissons, et maintenant sur le transport des personnes. Chaque secteur devient une source de revenus pour le groupe russe, tandis que l’État centrafricain et les populations voient leurs ressources partir sans compensation équitable.
La présence de Wagner en Centrafrique a été initialement justifiée par des impératifs de sécurité. Le groupe devait aider les Forces armées centrafricaines à combattre les groupes armés et à restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire. Sept ans après le début de cette présence, Wagner s’est transformé en une entreprise multinationale qui exploite systématiquement toutes les opportunités économiques disponibles dans le pays.
Le transport aérien de passagers n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette dérive. Les mercenaires russes ne se contentent plus de fournir des services de sécurité. Ils construisent un empire commercial qui capte une part croissante des richesses centrafricaines. L’État, censé réguler et contrôler ces activités, est devenu le complice et le facilitateur de cette exploitation.
Source: Corbeau News Centrafrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la CentrAfricaine, suivez Africa-Press





