Africa-Press – CentrAfricaine. Dans une interview accordée il y’a quelques semaines à la radio Ndèkè-Luka, le ministre de l’Administration du territoire et porte-parole par intérim du gouvernement, Bruno Yapandé, a franchi un nouveau cap dans la répression des voix dissidentes en Centrafrique. Ses déclarations contre Élysée Nguimalé , président de l’Observatoire pour la gouvernance démocratique en Centrafrique (OGDC), dévoilent sans détour la nature autoritaire d’un régime qui ne tolère aucune contestation.
Interrogé par le journaliste Armando sur la requête déposée par l’OGDC auprès du Conseil constitutionnel pour demander l’invalidation de la candidature du président Faustin-Archange Touadéra à un troisième mandat, Bruno Yapandé a livré une réponse qui résume à elle seule l’état de la dictature de Baba Kongoboro. « C’est un monsieur qui se trouve dans une situation tout à fait illégale. C’est un monsieur qui n’a pas droit à la parole devant nos médias, que ce soit privé comme public », a-t-il déclaré sans la moindre gêne.
Le ministre a expliqué que l’OGDC avait sollicité un agrément auprès de son département en janvier-février 2024, mais que le ministère de la Justice avait émis un avis défavorable. Selon Yapandé, cette décision administrative suffirait à interdire à Élysée Nguimalé de s’exprimer dans les médias et même d’agir en justice. « Son association, sa structure n’a pas sa raison d’être, n’a pas un socle juridique », a-t-il affirmé, avant d’ajouter: « C’est un rejet systématique et attaquer la personnalité d’une institution parce que le président de la République, c’est une institution. Est-ce que ce monsieur a ce droit d’agir au nom d’un soi-disant observatoire? »
Mais Bruno Yapandé ne s’est pas arrêté là. Il a annoncé que des poursuites judiciaires seraient engagées contre Élysée Nguimalé. « Il mérite ce qui doit lui arriver parce que la justice fera son travail. Il y a eu des accusations aussi graves contre la personne du chef de l’État et cela a été déjà mentionné au niveau du parquet. Il répondra de ses actes devant la justice pour cette accusation aussi boiteuse, aussi irresponsable », a-t-il lancé, dans ce qui ressemble davantage à une menace qu’à une déclaration d’un ministre de la République.
Lorsque le journaliste Armando lui a rappelé qu’un citoyen centrafricain reste libre de déposer une requête au Conseil constitutionnel même si son association n’a pas reçu d’agrément, le ministre a botté en touche. « Je ne rentre pas dans le fond en ce moment mais je reste sur la forme. La requête est là, je peux vous donner copie. Il n’a pas agi en son nom mais au nom d’une association, d’une organisation appelée Observatoire pour la gouvernance démocratique en Centrafrique », a-t-il répondu, contournant ainsi la question de fond.
Ces déclarations interrogent sur plusieurs points juridiques et démocratiques fondamentaux. D’abord, depuis quand le refus d’agrément d’une association priverait-il un citoyen de son droit constitutionnel à la liberté d’expression? La Constitution centrafricaine depuis l’indépendance garantit ce droit à tous les citoyens, qu’ils appartiennent ou non à une association agréée. En affirmant qu’Élysée Nguimalé « n’a pas droit à la parole devant nos médias », Bruno Yapandé dévoile la conception totalitaire que le régime Touadéra a de la liberté d’expression: elle ne s’exerce qu’avec l’autorisation du pouvoir.
Ensuite, le droit de saisir le Conseil constitutionnel est un droit individuel reconnu à tout citoyen centrafricain. Qu’Élisée Nguimalé l’ait fait au nom de son association ou à titre personnel ne change rien à la légitimité de sa démarche. En contestant ce droit, le ministre remet en cause l’un des piliers de l’État de droit: l’accès à la justice constitutionnelle pour contester la légalité d’une candidature présidentielle.
Les menaces de poursuites judiciaires contre Élysée Nguimalé montrent parfaitement l’instrumentalisation de la justice par le régime Touadéra. Déposer une requête au Conseil constitutionnel pour contester la constitutionnalité d’une candidature présidentielle ne constitue en aucun cas une infraction pénale. C’est au contraire l’exercice normal d’un droit démocratique. Transformer cet acte citoyen en « accusation grave contre la personne du chef de l’État » relève de la pure intimidation.
Cette affaire rappelle étrangement le cas de Joseph Bendounga, cet autre citoyen courageux décédé le 5 janvier 2025, qui avait régulièrement osé contester les présidents centrafricains devant la cour constitutionnelle. Président du Mouvement Démocratique pour la Renaissance et l’Évolution de Centrafrique (MDREC), Bendounga avait traîné successivement Patassé, Bozizé, Djotodia, Samba-Panza et Touadéra devant la justice constitutionnelle pour haute trahison ou violation de la Constitution. Comme Élysée Nguimalé aujourd’hui, Bendounga avait été arrêté, menacé, poursuivi en justice pour avoir simplement exercé ses droits constitutionnels. Mais jamais il n’avait renoncé à son combat pour le respect de la Constitution.
Les propos de Bruno Yapandé montrent aussi le double standard pratiqué par le régime. Le ministre évoque le refus d’agrément de l’OGDC pour justifier son interdiction de parole, mais le gouvernement n’a eu aucun scrupule à accorder des agréments à des dizaines de partis politiques fantômes et d’organisations bidons créées uniquement pour servir la propagande du régime. Ces structures, dont certaines n’existent que sur le papier, bénéficient de toutes les facilités administratives pendant que les voix critiques sont étouffées.
En déclarant publiquement qu’un citoyen « n’a pas droit à la parole », en annonçant des poursuites judiciaires contre quelqu’un qui a simplement exercé son droit de recours constitutionnel, Bruno Yapandé a dévoilé le vrai visage du régime Touadéra: celui d’une dictature assumée qui ne supporte aucune contradiction. Ces méthodes rappellent les heures les plus sombres de l’histoire centrafricaine, quand le pouvoir politique utilisait la justice comme une arme pour faire taire toute opposition.
Le message envoyé par le ministre est clair: quiconque ose remettre en question la volonté du président Touadéra de se maintenir au pouvoir au-delà des limites constitutionnelles sera réduit au silence, par tous les moyens. Mais comme l’a rappelé un observateur après avoir écouté cette interview, « il y a un début et une fin. Vous allez tous revenir devant la justice que vous manipulez là. Vous allez revenir devant cette justice un jour. »
Les déclarations de Bruno Yapandé contre Élysée Nguimalé ne sont pas qu’une simple intimidation. Elles constituent une violation caractérisée des libertés fondamentales garanties par la Constitution centrafricaine et les conventions internationales ratifiées par la Centrafrique. Elles démontrent que le régime Touadéra a abandonné toute prétention démocratique et assume désormais ouvertement sa dérive autoritaire.
À quelques semaines du scrutin présidentiel, cette affaire montre le climat de terreur dans lequel se déroule la campagne électorale. Quand un ministre peut impunément menacer un citoyen de poursuites judiciaires pour avoir exercé ses droits constitutionnels, quand il peut décréter qui a le droit ou non de s’exprimer dans les médias, c’est la démocratie elle-même qui est morte.
Élysée Nguimalé, à l’instar de Joseph Bendounga avant lui, paie le prix de son courage. Mais son acte citoyen restera comme un témoignage précieux pour l’histoire: celui d’un homme qui a osé défier un régime autoritaire au nom du respect de la Constitution. Les menaces de Bruno Yapandé ne pourront effacer cette réalité.
Source: Corbeau News Centrafrique
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