Africa-Press – CentrAfricaine. Le rapport d’exécution budgétaire du deuxième trimestre 2025 contient une information qui devrait faire réagir: sur les 136,4 milliards de francs CFA que les partenaires étrangers avaient promis de débloquer cette année, seulement 23,4 milliards sont arrivés dans les caisses de l’État au 30 juin. Cela représente à peine 17% des fonds attendus.
Autrement dit, 113 milliards de francs CFA, plus de 82% de l’argent promis, ne sont jamais arrivés. Pour donner une idée de l’ampleur, cette somme équivaut à près de quatre fois le budget annuel du ministère du Développement Rural.
Mais pourquoi cet argent n’arrive pas? Cette incapacité à récupérer l’argent promis explique en grande partie pourquoi le budget agricole reste au point mort. Quand on dépend à 90% des financements extérieurs pour moderniser l’agriculture et qu’on ne récupère que 17% de ce qui était prévu, forcément, rien ne peut se faire.
Les projets restent sur le papier. Les infrastructures promises ne sortent jamais de terre. Les programmes d’appui aux paysans attendent dans les tiroirs. Les populations rurales continuent d’espérer une aide qui ne vient pas.
Plusieurs raisons peuvent expliquer cette situation, et aucune ne reflète bien la gestion actuelle du pays.
D’abord, la confiance des bailleurs s’est érodée. Les partenaires internationaux hésitent à débloquer des fonds quand ils voient la corruption généralisée, le manque de transparence dans la gestion de l’argent public, et l’absence de contrôle réel sur l’utilisation des financements précédents. Les scandales à répétition et le refus de rendre des comptes découragent les bailleurs.
Ensuite, les ministères ne savent plus comment travailler avec les bailleurs. Mobiliser des financements extérieurs demande un travail sérieux: négocier avec les partenaires, remplir leurs conditions, produire les rapports qu’ils exigent, respecter les délais des conventions signées. Visiblement, l’administration centrafricaine n’y arrive plus.
Troisièmement, les conditions politiques ne sont pas remplies. Beaucoup de bailleurs conditionnent leur argent au respect de standards démocratiques de base. Organiser des élections truquées, réprimer l’opposition, laisser les mercenaires russes violer les droits humains , tout cela décourage les financements, surtout ceux venant des pays occidentaux.
Enfin, certains circuits financiers échappent complètement au budget officiel. Les Unités de Gestion de Projets fonctionnent souvent dans leur coin, sans coordination avec le ministère des Finances. Cette désorganisation crée une opacité qui arrange certains intérêts mais sabote l’efficacité.
Le rapport budgétaire admet lui-même qu’il y a des “difficultés à collecter les données relatives à l’exécution des dépenses financées sur ressources extérieures dues à un manque de synergies entre les Unités de Gestion de Projets et la chaîne d’exécution budgétaire”.
En langage clair: personne ne sait vraiment où passe l’argent. Les UGP gèrent des fonds sans informer le ministère des Finances. Le ministère budgétise de l’argent qu’il ne contrôle pas. Les bailleurs envoient l’argent directement aux structures de projet qui ne communiquent pas avec l’administration centrale.
Cette pagaille garantit l’inefficacité et facilite tous les abus possibles. Quand personne ne peut tracer les flux financiers, quand il n’y a pas de coordination, quand la transparence n’existe pas, les détournements deviennent inévitables.
Au-delà des problèmes techniques, cette incapacité à mobiliser les fonds promis constitue un échec politique pour le régime Touadéra. Après neuf ans au pouvoir, après des dizaines de voyages internationaux, après toutes les déclarations sur les “partenariats stratégiques” et les “relations excellentes”, le gouvernement reste incapable de convaincre ses partenaires de débloquer l’argent qu’ils ont promis.
Le contraste est frappant avec les annonces triomphales après chaque conférence internationale. À Casablanca récemment, le président se félicitait de “9 milliards d’euros d’annonces d’investissements”. Ces annonces rejoindront probablement la longue liste des promesses oubliées et des financements jamais débloqués.
Cette faiblesse dans la mobilisation des fonds pousse à questionner que le rapport budgétaire évite soigneusement.
Ces 113 milliards étaient-ils réellement promis par des conventions signées ou s’agissait-il de projections optimistes sans fondement réel? Si l’argent était vraiment engagé, pourquoi n’a-t-il pas été débloqué? Quelles conditions le gouvernement n’a-t-il pas remplies? Quels standards de bonne gouvernance n’ont pas été respectés?
Le gouvernement a-t-il seulement essayé de mobiliser ces fonds ou s’est-il contenté de les inscrire au budget pour faire bonne figure? Les ministères ont-ils produit les dossiers de projet nécessaires? Les procédures de passation de marchés exigées par les bailleurs ont-elles été suivies?
Cette incapacité chronique à récupérer l’argent promis n’est pas qu’un problème technique de gestion. C’est un échec politique qui engage la responsabilité du régime.
Un gouvernement compétent aurait mis en place les structures permettant de capter ces financements. Un gouvernement transparent aurait rassuré les bailleurs sur l’utilisation correcte des fonds. Un gouvernement respectueux des normes démocratiques aurait rempli les conditions politiques exigées.
Le régime Touadéra a échoué sur tous ces plans. Résultat: 113 milliards restent bloqués entre les promesses et la réalité, pendant que les secteurs productifs ne peuvent pas fonctionner faute de moyens et que les populations rurales restent dans la pauvreté.
Cette faible mobilisation des ressources extérieures n’est pas une fatalité. C’est le symptôme d’un système politique défaillant, incapable d’assurer les fonctions de base d’un État: mobiliser des ressources, gérer correctement les finances publiques, et servir l’intérêt des citoyens.
Source: Corbeau News Centrafrique
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