Africa-Press – CentrAfricaine. Le décret présidentiel no25.420 du 29 novembre 2025 accorde une remise de peine à des condamnés centrafricains. Si cette mesure apparaît humanitaire, elle comporte de vives interrogations juridiques. Me Mboe Dédé-Vianney, Docteur en Droit, en examine les incohérences constitutionnelles dans une tribune publiée par la revue Le Reflet.
En effet, le décret no25.420 du 29 novembre 2025 trouve son fondement dans l’article 65 alinéa 18 de la Constitution du 30 août 2023, qui confère au Chef de l’État la prérogative d’accorder des grâces. Selon Me Mboe, le texte “décrète une remise de peine pour des personnes condamnées avant le 1er décembre 2025”, ce qui relève normalement des attributions présidentielles.
Toutefois, l’auteur identifie une extension problématique de cette mesure. Le décret couvre également “des personnes dont les condamnations ne sont pas encore définitives, du fait d’une décision rendue par défaut, d’une opposition, d’un appel ou d’un pourvoi en cassation. Cette disposition transforme, selon le juriste, un acte constitutionnel en ce qu’il qualifie de “manoeuvre de communication politique”.
L’analyse de Me Mboe cible un vide juridique fondamental. Il constate que “aucun texte législatif centrafricain (ni le code pénal, ni le code de procédure pénale) ne définit le droit de grâce ou l’amnistie, ni leurs modalités, ni leurs effets”. Cette absence de cadre légal précis constitue, selon lui, “une carence du ministère de la Justice” qui explique directement les défauts du décret présidentiel.
L’auteur refuse l’argument selon lequel cette lacune serait ancienne, rappelant que “l’État est une continuité, et il appartient aux institutions de maintenir une législation cohérente et complète”. Il attribue ces défaillances à ce qu’il appelle “l’insouciance légistique qui prévaut dans le pays”, résultant notamment de l’absence de formations techniques appropriées pour les cadres administratifs.
Me Mboe rappelle que la Constitution centrafricaine établit une distinction claire entre deux instruments: le droit de grâce, relevant du Président, et l’amnistie, qui relève de l’Assemblée nationale selon l’article 114, alinéa 7. Ces mécanismes ne produisent pas les mêmes effets juridiques.
Selon son analyse, “la grâce modifie ou supprime la peine, mais laisse subsister la condamnation et son inscription au casier judiciaire”, tandis que “l’amnistie efface à la fois la peine et la condamnation, de sorte qu’elle est réputée n’avoir jamais existé”.
Le cœur de la critique juridique concerne l’article 2 du décret. Me Mboe affirme catégoriquement que “seule une peine définitive est susceptible d’être graciée”. Or, une peine n’acquiert ce caractère définitif que lorsque la décision judiciaire a force de chose jugée.
L’extension de la grâce à des affaires pendantes crée donc un problème constitutionnel majeur. Comme l’explique l’auteur, “Le Président ne peut signer un texte produisant des effets sur des condamnations futures”. Plus grave encore, “une personne qui exerce un recours demeure présumée innocente jusqu’à la décision définitive”, un principe fondamental que l’article 2 du décret violerait en préjugeant d’une condamnation à venir.
Tout en reconnaissant la dimension humaine positive de cette mesure, Me Mboe n’hésite pas à identifier les responsabilités. Il note que “le Président de la république étant garant de la bonne administration de la justice, le Rapport du Garde des sceaux n’aurait pas dû le laisser méconnaître des principes aussi fondamentaux”.
L’auteur rappelle également que les temps ont changé depuis les périodes où le Président pouvait légiférer par décrets et ordonnances, périodes qu’il situe entre 1965-1979 et 1980-1993. Dans le cadre constitutionnel actuel, la définition de la nature et des effets de la grâce relève exclusivement du domaine législatif.
Face à ces constats, Me Mboe formule une recommandation claire: il appartient au Ministre de la Justice de faire adopter des dispositions complétant le code pénal et le code de procédure pénale, tant sur la grâce que sur l’amnistie. Cette mise à jour législative permettrait d’éviter que de telles situations ne se reproduisent.
L’analyse de Me Mboe Dédé-Vianney, publiée le 3 décembre 2025 dans Le Reflet, invite à une réflexion approfondie sur l’équilibre entre la volonté politique de clémence et le respect rigoureux des principes juridiques fondamentaux. Si la libération de détenus peut être humainement souhaitable, elle ne saurait se faire au prix d’une remise en cause des garanties constitutionnelles qui protègent tous les citoyens.
Source: Corbeau News Centrafrique
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