Plainte à la CPI: Menace pour Touadéra ou Symbolique?

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Plainte à la CPI: Menace pour Touadéra ou Symbolique?
Plainte à la CPI: Menace pour Touadéra ou Symbolique?

Africa-Press – CentrAfricaine. La diaspora centrafricaine regroupée au sein des “12 Apôtres” a mandaté le cabinet Larochelle Avocats pour déposer auprès de la Cour pénale internationale (CPI) une communication dénonçant des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre commis en République centrafricaine depuis 2018. Ce document accuse directement le président Faustin-Archange Touadéra, plusieurs membres de son gouvernement et les dirigeants du groupe Wagner d’avoir mis en place une politique d’État de répression et de pillage. Le CNC a rencontré le politologue centrafricain Dr Cyriaque Gazagbayapour décrypter la portée politique et judiciaire de cette plainte.
CNC: bonjour Dr Gazagbaya.

Dr Gazagbaya: bonjour madame la journaliste.

CNC: Que représente concrètement cette plainte déposée à La Haye?

Dr Gazagbaya: C’est une démarche juridique sérieuse, fondée sur l’article 15 du Statut de Rome. Elle ne correspond pas encore à une enquête officielle, mais elle oblige la Cour à examiner les éléments transmis. Le dossier est dense: il documente des meurtres, des disparitions, des tortures, des viols et des pillages commis par les forces du régime et les mercenaires de Wagner.

En clair, c’est un acte d’accusation structuré qui décrit une politique d’État. Si le procureur estime qu’il existe une base raisonnable pour croire que ces crimes relèvent de la compétence de la Cour, il pourra ouvrir une enquête, voire demander des mandats d’arrêt.

CNC: Le président Touadéra est-il nommément visé?
Dr Gazagbaya: Oui. Le document met clairement en cause le chef de l’État. Il démontre que les crimes commis depuis 2018 s’inscrivent dans une politique de maintien au pouvoir par la terreur, avec la complicité du groupe Wagner. On y trouve une chaîne de commandement précise: Touadéra, ses conseillers, des ministres et des officiers de la garde présidentielle. Tous sont cités dans les témoignages recueillis.

CNC: L’entourage présidentiel affirme que la CPI ne fera rien, car Touadéra a rencontré plusieurs fois le procureur Karim Khan.
Dr Gazagbaya: C’est un discours de façade. Les rencontres diplomatiques n’effacent pas la responsabilité pénale. Le procureur agit selon le Statut de Rome, pas selon les amitiés politiques. Si les éléments sont jugés recevables, il peut rouvrir une procédure. D’ailleurs, la CPI a déjà indiqué qu’elle pouvait reprendre des enquêtes lorsqu’il existe de nouveaux crimes documentés. Le fait que Touadéra ait rencontré le procureur n’est pas une protection, c’est au contraire une trace publique de ses relations avec un organe judiciaire international.

CNC: Si la CPI ouvre une enquête et délivre un mandat d’arrêt, que se passe-t-il concrètement?

Dr Gazagbaya: À partir de là, tout change. Un mandat d’arrêt international crée une obligation de coopération pour tous les États signataires du Statut de Rome. Cela veut dire qu’à tout moment, le président peut être arrêté s’il quitte le territoire national. Il ne pourra plus voyager librement, ses avoirs et ceux de ses proches peuvent être gelés, et le régime perd sa légitimité internationale.

C’est exactement ce qui est arrivé à Jean-Pierre Bemba ou à Laurent Gbagbo: des hommes politiques qui pensaient intouchables ont fini à La Haye.

Le cas centrafricain est encore plus grave. Les crimes documentés dépassent en ampleur ceux pour lesquels Bemba a été jugé. Le dossier parle de massacres, de viols collectifs, de disparitions forcées, de tortures systématiques. Ce n’est pas une série d’incidents isolés, c’est une machine d’État.

CNC: Peut-on dire que les crimes commis en RCA sont parmi les plus graves de la région?

Dr Gazagbaya: Oui, sans hésitation. Ce que le groupe Wagner et les forces du régime ont fait dépasse en intensité les faits déjà jugés par la CPI dans d’autres pays africains. Les rapports de l’ONU, d’Amnesty International et du cabinet Larochelle convergent: on parle de villages rasés, d’exécutions sommaires, de viols utilisés comme armes de guerre, de pillages de sites miniers entiers.

En tant que Centrafricain, on sait ce qu’on a vu et ce qu’on a vécu. C’est plus qu’un conflit: c’est une entreprise organisée de terreur.

CNC: Peut-on imaginer l’arrestation effective d’un président en exercice?
Dr Gazagbaya: Oui, si le contexte politique s’y prête. Ce n’est pas immédiat, mais c’est possible. La CPI ne reconnaît pas d’immunité pour les crimes de guerre ou contre l’humanité. Si un mandat est délivré, chaque déplacement devient un risque.

Ceux qui croient qu’un chef d’État peut échapper à la justice internationale oublient que plusieurs présidents ou ex-présidents africains ont été arrêtés. Tout dépendra du courage des États africains et de la pression internationale. Mais le message est clair: l’impunité n’est pas éternelle.

CNC: Certains accusent la diaspora d’utiliser cette plainte pour affaiblir le régime.
Dr Gazagbaya: C’est une erreur d’interprétation. La diaspora ne cherche pas la vengeance, elle cherche la justice. Les “12 Apôtres” ont simplement agi là où les institutions nationales refusent d’agir. La justice centrafricaine n’a ni les moyens ni la volonté d’enquêter sur des crimes commis par le pouvoir. Alors la CPI devient un recours légitime.

Et c’est d’autant plus important que la peur a paralysé la société civile dans le pays.

CNC: Quelles sont les chances que la CPI ouvre réellement une enquête?
Dr Gazagbaya: Les chances sont réelles. Le document remplit trois critères essentiels: la gravité des crimes, leur caractère systématique et l’incapacité de la justice nationale à agir. Ce sont exactement les critères que le procureur examine.

S’il ouvre une enquête, cela débouchera probablement sur des mandats d’arrêt. Et à partir de ce moment-là, le régime Touadéra sera sous pression constante, à l’intérieur comme à l’extérieur.

CNC: Donc, cette plainte est une menace directe pour le pouvoir?
Dr Gazagbaya: Oui. C’est une menace politique, diplomatique et judiciaire. Elle ne renversera pas le régime demain, mais elle fissure son image. Chaque dirigeant cité sait qu’il pourrait un jour être poursuivi.

La justice internationale avance lentement, mais elle ne recule jamais. Les crimes du régime Touadéra sont désormais consignés, documentés, et transmis à une instance indépendante. C’est la première étape vers la vérité et la responsabilité.

Source: Corbeau News Centrafrique

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