Africa-Press – CentrAfricaine. Le 5 décembre dernier, le commandant Lamtagué de l’armée nationale s’est rendu sur le chantier chinois de Rondi, dans la Nana-Mambéré, près de la sous-préfecture d’Aba. Furieux des articles publiés par CNC sur ses pratiques criminelles, il a décidé de rassembler tous les ouvriers soi-disant pour une réunion. Mais ce qui a suivi dépasse l’entendement: torture, violence, terreur. Le commandant Lamtagué, ex-rebelle libérateur de Bozizé, est un véritable bandit du grand chemin, un criminel, un psychopathe de nature.
Pour comprendre l’histoire, il faut remonter au début. En effet, depuis plusieurs années maintenant, les sites miniers chinois implantés en République Centrafricaine fonctionnent sous la protection des éléments de Forces Armées Centrafricaines. Partout sur le territoire national, ces soldats censés sécuriser les installations ont transformé leur mission en entreprise personnelle d’enrichissement et de criminalité. Le chantier de Rondi, dans la préfecture de la Nana-Mambéré, représente l’un des cas les plus graves que le pays n’ait jamais connus de son histoire.
L’une des équipes du CNC s’est rendue sur place depuis plusieurs semaines. Nos journalistes ont passé plusieurs jours sur ce terrain, ont rencontré les victimes, ont vu de leurs propres yeux ce qui se passe. Le site appartient à la société chinoise IMC, qui exploite également des chantiers miniers à Yaloqué, notamment vers Zawa, Gaga et Carrefour et dans d’autres zones du pays. À la tête de la sécurité de l’IMC, un homme: le commandant Lamtagué. Mais sur chaque site minier, il place des sous-officiers et des lieutenant.
Mais cet ex-rebelle de Bozizé, devenu officier de l’armée nationale, a bâti un système complet d’exploitation. Il recrute clandestinement des travailleurs camerounais et empoche sur chaque salaire. Il taxe les villageois centrafricains qui viennent ramasser les “poubelles” chinoises, ces graviers rejetés après extraction de l’or: 1 000 francs par passage. Il impose aux orpailleurs locaux qui continuent de chercher de l’or dans leurs propres trous une redevance de 50 000 francs par semaine. Il réquisitionne les habitants pour un travail forcé et gratuit dans les sites miniers que les soldats exploitent pour leur compte personnel.
Nos journalistes ont documenté ces pratiques. Ils ont recueilli les témoignages directs, constaté les faits, vérifié chaque information. Une première enquête a été publiée, détaillant le recrutement illégal des Camerounais. Une deuxième est sortie, exposant le système de taxation imposé aux villageois. Une troisième a suivi, montrant comment les militaires utilisent les populations comme main-d’œuvre gratuite. Trois articles au total. Une dizaine d’autres restent encore à paraître tant le matériel collecté est abondant.
Ces publications ont rendu le commandant Lamtagué fou de rage. L’officier a d’abord envoyé plusieurs messages à la rédaction de CNC. Il contestait, il menaçait, il exigeait des démentis. Mais les faits étaient là, documentés, vérifiés. Puis il a été convoqué deux fois à Bangui, selon ses propres explications, pour s’expliquer devant sa hiérarchie. À chaque fois, il en est ressorti libre. Son grade le protège, à en croire ses explications. Il le sait parfaitement.
C’est dans ce contexte qu’il s’est déplacé personnellement sur le chantier de Rondi le 5 décembre dernier. Il est arrivé vers 16 heures. Il a fait rassembler tous les employés du site sans exception. Ouvriers, chauffeurs, personnel de tous niveaux ont été convoqués. Il parlait d’une réunion de travail. Personne ne pouvait refuser, personne n’imaginait ce qui allait suivre.
Dès le début, l’atmosphère était pesante. Le commandant Lamtagué avait ce regard dur, cette tension dans la voix qui annonçait quelque chose de grave. Il a commencé par ordonner la confiscation de tous les téléphones portables de chaque employé. Pas d’exception, pas de discussion possible. Un par un, chaque employé a dû remettre son appareil. Les téléphones s’empilaient devant lui. Il voulait fouiller leur contenu, traquer ceux qui lisaient les articles de Corbeau News, ceux qui suivaient les publications, ceux qui pouvaient avoir des contacts avec la rédaction.
L’inspection a commencé méthodiquement. Le commandant Lamtagué passait d’un téléphone à l’autre, ouvrait les applications, parcourait les messages, scrutait les photos. Il cherchait une preuve, n’importe laquelle, qui lui permettrait d’identifier les “traîtres”. Dans sa tête, quelqu’un sur ce chantier avait forcément livré des informations à la presse. Il était convaincu que les journalistes ne pouvaient pas connaître tous ces détails sans l’aide d’employés du site.
Mais la surprise arrive. Dans les téléphones de deux ouvriers, il a trouvé ce qu’il cherchait. Les articles de CNC étaient là, consultés, peut-être même sauvegardés. Pour ces deux hommes, ce moment a marqué le début d’un cauchemar de leur vie. Le commandant Lamtagué les a désignés publiquement devant toute l’assemblée. Sa voix tremblait de colère. “Vous m’avez trahi. Vous avez raconté des choses à mon nom à Corbeau News Centrafrique, les journaux de CNC. C’est à cause de vous qu’on m’a convoqué à Bangui.”
Les accusations fusaient maintenant. Le commandant hurlait. “On m’a convoqué deux fois à Bangui, deux fois. Mais ils se sont trompés. Ils ne vont rien me faire. J’ai donné mes explications et c’est terminé. Je suis officier supérieur, je suis commandant. Rien ne va m’arriver. Rien.”
Puis, sans prévenir, il s’est jeté sur les deux ouvriers. Il les a plaqués au sol avec violence. Cet homme qui affirmait publiquement n’avoir jamais frappé personne de toute sa vie, qui disait n’avoir jamais connu la bagarre même dans sa jeunesse, s’est transformé en bandit du grand chemin d’une férocité inouïe. Les coups ont commencé à pleuvoir. Des coups de poing, des coups de pied, sans retenue, sans limite. Les deux hommes au sol tentaient de se protéger la tête, de rouler sur le côté, mais le commandant continuait, acharné, possédé par une fureur vengeresse.
L’assemblée assistait à cette scène dans un silence glacé. Personne n’osait bouger. La terreur paralysait tous les témoins. Ils voyaient le chef de sécurité de l’IMC, un officier supérieur de l’armée nationale, torturer deux de leurs collègues en plein jour, devant tout le monde, sans la moindre gêne. Le tabassage a duré plusieurs minutes. Entre les coups, le commandant continuait de hurler ses accusations, ses menaces, ses justifications. “Vous allez voir aujourd’hui ce qui arrive quand on raconte des choses à mon nom. Vous allez regretter d’être nés.”
Les deux victimes gémissaient de douleur. Leur visage était tuméfié, leurs vêtements déchirés, leur corps meurtri. Mais le commandant ne s’arrêtait pas. Il frappait encore et encore, comme s’il voulait effacer par la violence l’humiliation d’avoir été convoqué à Bangui, comme s’il voulait prouver à tous qu’il restait le maître absolu de ce territoire.
À un moment, deux autres ouvriers ont tenté de prendre la parole. Peut-être voulaient-ils calmer la situation, peut-être voulaient-ils expliquer que ces deux hommes n’avaient rien fait de mal, que lire un article de presse n’était pas un crime. Le commandant s’est retourné vers eux comme un lion dérangé dans sa chasse. Il s’est précipité, a attrapé leurs têtes à deux mains et les a cognées l’une contre l’autre avec une force terrible: gbaww gbaww gbaww.. Le bruit du choc a glacé l’assistance. “Fermez votre gueule. Je suis officier. Vous savez qui je suis? Je suis officier.”
Cette démonstration de force, cette exhibition de violence assumée ne laissait aucun doute. Le commandant Lamtagué agissait en pleine lumière, devant des dizaines de témoins, convaincu que son grade le plaçait au-dessus de toutes les règles, sauf face aux Wagner. Il venait de prouver qu’il pouvait frapper, torturer, humilier qui il voulait sans craindre la moindre conséquence.
Après avoir terrorisé et maltraité les employés centrafricains, il s’est tourné vers les travailleurs camerounais présents sur le site. Ces hommes qu’il avait lui-même fait venir illégalement, contournant toutes les procédures d’embauche officielles, touchant au passage sa commission sur leurs maigres salaires.
“Vous allez rentrer chez vous maintenant. L’enquête risque de venir ici. Vous partez aujourd’hui. Et quand vous reviendrez plus tard, ne comptez pas sur moi pour vous protéger.”
Cette déclaration en disait long. Malgré son assurance affichée, malgré ses déclarations tonitruantes sur son impunité, le commandant Lamtagué redoutait visiblement qu’une enquête officielle ne débarque sur le site. Les travailleurs camerounais recrutés illégalement représentaient une preuve trop visible de ses combines. Il préférait les faire disparaître temporairement, le temps que l’orage passe.
Le parcours du commandant Lamtagué explique en partie son comportement. En 2003, François Bozizé a pris le pouvoir par un coup d’État. Les rebelles qui l’accompagnaient se faisaient appeler les libérateurs. Lamtagué faisait partie de cette troupe, recruté au Tchad. Après la victoire, Bozizé l’a intégré dans les Forces Armées Centrafricaines. L’homme a ensuite gravi les échelons, profitant du système, utilisant les réseaux, accumulant les appuis. Aujourd’hui commandant, il se croit tout-puissant. Son passé de rebelle devenu militaire officiel lui donne cette arrogance particulière de celui qui pense avoir tout vécu, tout surmonté, et que rien ne peut atteindre. Mais il n’a pas compter sur les Wagner qui pouvaient le sodomiser comme ils veulent.
Sur le terrain, à Rondi, son pouvoir s’exerce sans limites. Les villageois de la région exploitaient ces terres aurifères depuis toujours. Pères, mères, enfants tiraient leur subsistance de l’orpaillage manuel. Quand l’État a cédé ces terrains aux Chinois, ces familles ont tout perdu du jour au lendemain. Leurs sites de travail, leurs sources de revenus, leur moyen de survie, tout a disparu d’un coup.
Pour tenter de sauver quelque chose, ils se sont rabattus sur la récupération des “poubelles” chinoises. Ces tas de graviers que les exploitants rejettent après avoir extrait l’or contiennent encore parfois quelques paillettes. Les villageois venaient fouiller ces déchets dans l’espoir d’y trouver de quoi nourrir leurs familles. Mais même cette activité misérable, le commandant Lamtagué l’a taxée.
Une barrière a été installée à l’entrée du site. Chaque matin, ceux qui voulaient accéder aux tas de graviers rejetés devaient payer 1 000 francs CFA. Un vieux de soixante-dix ans, une femme enceinte, un jeune homme, tout le monde payait le même tarif. Pas d’exception. Un deuxième passage dans la journée coûtait 1 000 francs supplémentaires. Pour des gens qui vivaient déjà dans l’extrême pauvreté, cette taxe quotidienne représentait une charge écrasante.
Certains tentaient de contourner la barrière, de passer en dehors des heures de contrôle, d’esquiver le péage. Les soldats patrouillaient constamment. Quand ils attrapaient un contrevenant, la punition était immédiate et féroce. Le malheureux se faisait tabasser sauvagement. Les coups pleuvaient jusqu’à ce que la victime ne puisse plus se relever. Un exemple pour les autres, une démonstration de ce qui attendait ceux qui refuseraient de payer.
Deux bases militaires encadrent le chantier de Rondi. Base 1 et Base 2. De ces positions, les soldats contrôlent tout le secteur. Rien ne leur échappe. Chaque mouvement, chaque activité est surveillée et taxée. Pour les villageois qui continuaient d’extraire de l’or ailleurs, dans des trous qu’ils avaient creusés eux-mêmes loin du site chinois, le commandant a fixé une redevance hebdomadaire: 50 000 francs CFA. Chaque semaine, sans faute.
Cette somme dépassait les capacités de la plupart des orpailleurs. Beaucoup ne gagnaient même pas cette somme en un mois de travail acharné. Ceux qui ne pouvaient pas payer voyaient leur matériel saisi et bloqué. Les pompes à eau indispensables pour laver les graviers, les groupes électrogènes qui alimentaient les installations, tous les outils nécessaires à l’extraction étaient confisqués. Impossible de travailler sans ces équipements. Les familles se retrouvaient sans ressources du jour au lendemain.
Pour plus d’informations et d’analyses sur la CentrAfricaine, suivez Africa-Press





