Africa-Press – CentrAfricaine. La panique gagne le camp présidentiel. Depuis que l’association “Les Douze Apôtres” et leur avocat, Maître Philippe Larochelle, ont saisi la Cour Pénale Internationale d’une plainte contre Faustin Archange Touadera et les plus hautes autorités centrafricaines, le pouvoir multiplie les sorties médiatiques pour tenter de discréditer cette démarche. Dans un long communiqué publié le 27 octobre, le ministère de la Justice, dirigé par Arnaud Djoubaye Abazene, dévoile malgré lui l’ampleur de l’inquiétude qui habite le régime.
Le pouvoir se trahit avec une réponse qui dénonce sa nervosité.
Le ton est donné dès les premières lignes. Plutôt que de répondre sereinement aux accusations portées devant la juridiction internationale, le gouvernement centrafricain livre une charge virulente contre les plaignants. Les “Douze Apôtres”? Des “présumés criminels opérant à visage découvert”. Maître Larochelle? Un homme qui défend des rebelles notoires comme Maxime Mokom et Edmond Beina. La plainte elle-même? Une “cabale médiatique visant à semer des troubles qu’à servir la cause de la justice”.
Cette violence dans les mots traduit un malaise profond. Lorsqu’un État se sent en position de force, il reste sobre dans sa communication. Quand il se sent menacé, il hausse le ton et multiplie les qualificatifs. Le communiqué du mafieux et faux docteur Djoubaye Abazene appartient clairement à cette seconde catégorie.
Et ce n’est pas tout! Le pouvoir brandit une menace à peine voilée d’une déstabilisation pour tenter d’intimider la CPI.
Au-delà des attaques personnelles, le ministère de la Justice ne se contente pas de contester la recevabilité de la plainte. Il agite le spectre d’une nouvelle crise. Les membres de l’association sont accusés d’être “pleinement impliqués dans les crises militaro-politiques récurrentes” et de publier régulièrement “des messages et des images d’exactions et traitements cruels” infligés aux soldats centrafricains. Le pouvoir les présente comme des agents de déstabilisation organisant une “manœuvre politique” depuis l’étranger.
Plus significatif encore, le communiqué avertit que cette démarche vise à “impacter la stabilité” du pays et à “saper le processus de paix et de réconciliation nationale ainsi que les échéances électorales en cours”. Traduction: si la CPI donne suite à cette plainte, la Centrafrique risque de replonger dans le chaos. Le message au procureur Karim Khan est limpide: poursuivre Touadera reviendrait à déclencher une nouvelle guerre civile.
Pourtant, en tentant de discréditer les plaignants, le gouvernement confirme malgré lui certaines failles de son propre système. Le communiqué reconnaît implicitement que des exactions ont bien été commises, mais attribue leur responsabilité aux opposants. Il admet aussi que certains faits évoqués dans la plainte font déjà l’objet de poursuites nationales, notamment devant la Cour Pénale Spéciale. Pourquoi alors une telle nervosité si la justice centrafricaine fonctionne correctement?
La réponse se trouve peut-être dans un document joint au dossier des “Douze Apôtres”, dont des extraits circulent. Ce document accuse directement Touadera de complicité avec des groupes armés, en violation de la Constitution. Il cite notamment la nomination au gouvernement d’Assane Bouba, poursuivi par la Cour Pénale Spéciale pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre liés aux événements d’Ippy et d’Alindao. Plus grave encore, Hassan Bouba avait été extrait de la prison du camp de Roux malgré les poursuites en cours contre lui, et maintenu à son poste ministériel, désormais gardé 24 heures sur 24 par des mercenaires russes, en dépit de sa situation judiciaire.
Comme Touadera lui-même le sait, ces faits constituent une violation de l’article 5 alinéa 4 de la Constitution, qui interdit aux auteurs et complices d’actes de rébellion d’exercer toute fonction publique. Ils pourraient aussi engager la responsabilité pénale du président lui-même, en tant que complice au sens de l’article 13 du code pénal.
Devant ces accusations précises et documentées, le régime choisit la stratégie de l’attaque ad hominem. Maître Larochelle est qualifié d’”avocat attitré” de présumés criminels. Les membres de l’association sont présentés comme des “réfugiés” qui “violent allègrement les instruments juridiques internationaux encadrant leur séjour dans les pays d’accueil”. Le ministère de la Justice va jusqu’à ironiser sur le fait qu’ils puissent “retourner ces exactions en leur faveur pour se présenter en défenseurs de leurs propres victimes”.
Cette rhétorique agressive tente de détourner l’attention des questions de fond. Plutôt que de répondre point par point aux accusations portées devant la CPI, le gouvernement préfère disqualifier moralement et juridiquement ceux qui les formulent. La tactique est connue, mais elle a ses limites. La Cour Pénale Internationale n’examine pas la réputation des plaignants, mais la solidité des éléments qu’ils produisent.
Le communiqué tente également de décrédibiliser les sources documentaires sur lesquelles s’appuie la plainte. Il évoque des “extraits de certains articles de presses partisanes” et des “rapports et analyses tendancieuses de certaines ONG”, citant notamment The Sentry, dont un rapport sur la Centrafrique “avait été décrié par de nombreux centrafricains” et “condamné par la Justice Centrafricaine”. Le ministère parle de “témoignages sans bases crédibles concoctés pour les besoins de la cause” et de “fabulations”.
Mais là encore, l’argument est à double tranchant. Si ces documents sont si peu crédibles, pourquoi le pouvoir s’inquiète-t-il autant? Et surtout, pourquoi mobiliser toute la machine gouvernementale pour répondre à ce qu’il qualifie lui-même de “fuite en avant” et de “démarche politique hasardeuse”?
La vérité est probablement ailleurs. Le régime sait que la plainte repose sur des éléments suffisamment sérieux pour embarrasser Bangui sur la scène internationale. Il sait aussi que la CPI, après s’être prononcée en faveur de la compétence de la Cour Pénale Spéciale dans l’affaire Edmond Beina, pourrait cette fois-ci juger que les conditions de recevabilité sont réunies pour examiner les accusations visant directement le sommet de l’État.
Dans un exercice d’équilibriste, le communiqué rappelle que “la République Centrafricaine demeure État partie au Statut de Rome et entretient d’excellente coopération avec la CPI, dans le cadre de la lutte contre l’impunité”. Mais cette déclaration de principe est immédiatement suivie d’une mise en garde: le pays “reste vigilante contre toutes les manœuvres visant à impacter sa stabilité”.
Cette position ambiguë traduit le dilemme du pouvoir. D’un côté, il ne peut pas se permettre de critiquer ouvertement la CPI, au risque de passer pour un régime hostile à la justice internationale. De l’autre, il doit envoyer un signal clair au procureur: toute poursuite contre Touadera serait considérée comme une ingérence déstabilisatrice. Le message est subtil, mais la menace est bien là.
Le ministère de la Justice conclut son communiqué en affirmant que “la société centrafricaine reste pleinement mobilisée pour faire respecter la loi et garantir la paix sociale”. Une formulation étrange, qui semble mobiliser par anticipation la population contre une éventuelle décision de la CPI. Le pouvoir prépare-t-il déjà le terrain pour une contestation populaire, voire des troubles, si le procureur décidait d’ouvrir une enquête?
La suite du texte confirme cette lecture. Le gouvernement annonce que “la justice examinera avec rigueur toutes les infractions d’incitation à la violence, à la haine, à la révolte, aux troubles et des menaces perpétrées afin que leurs auteurs et complices soient punis conformément à la loi”. Autrement dit, ceux qui soutiendraient la démarche des “Douze Apôtres” pourraient être poursuivis pour complicité d’incitation à la violence.
Au final, ce long le communiqué du ministère de la Justice produit l’effet inverse de celui recherché. Plutôt que de rassurer sur la solidité juridique de la position du gouvernement, il révèle une inquiétude profonde face à une plainte qui pourrait avoir des conséquences politiques majeures. Les attaques virulentes contre Maître Larochelle et les “Douze Apôtres”, les menaces à peine voilées de déstabilisation, l’appel à la mobilisation de la “société centrafricaine” – tout cela dessine le portrait d’un pouvoir acculé.
La plainte déposée devant la CPI vise des faits précis et graves. Le dossier comporte des accusations de complicité du président Touadera avec des individus poursuivis pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Il évoque des violations constitutionnelles. Il met en lumière les dysfonctionnements de la justice nationale, incapable ou non désireuse de poursuivre les plus hautes autorités de l’État.
Face à ces accusations, le gouvernement aurait pu choisir la transparence et la coopération avec la justice internationale. Il a préféré la stratégie de la défense agressive, des attaques personnelles et de la menace voilée. Cette réaction n’est pas celle d’un pouvoir serein. C’est celle d’un régime qui se sent menacé et qui tente, par tous les moyens, de dissuader le procureur de la CPI d’examiner un dossier potentiellement explosif.
Le message envoyé à Karim Khan est d’une simplicité brutale: si vous poursuivez Touadera, la Centrafrique replongera dans la guerre civile. Reste à savoir si la Cour Pénale Internationale se laissera intimider par cette forme de chantage à la stabilité, ou si elle estimera que la lutte contre l’impunité justifie de prendre ce risque.
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