La Coupe d’Afrique, une opportunité de cessez-le-feu pour le Cameroun

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La Coupe d’Afrique, une opportunité de cessez-le-feu pour le Cameroun
La Coupe d’Afrique, une opportunité de cessez-le-feu pour le Cameroun

Africa-Press – CentrAfricaine. Lorsque débutera dimanche au Cameroun la Coupe d’Afrique des nations, le coup de projecteur ne sera pas que sportif. Huit matchs seront joués à Limbe et Buea, dans les régions anglophones du pays, déchirées depuis 2016 par un conflit entre gouvernement et séparatistes. Les milices anglophones ont annoncé leur intention de perturber la compétition, afin de faire valoir leurs revendications. Le gouvernement a réagi en imposant de sévères restrictions aux déplacements et aux rassemblements dans les régions anglophones.

Mais ces stratégies sont sans issue : de possibles attaques séparatistes pendant le mois que durera le tournoi risquent d’entamer le capital de sympathie dont jouissent les Camerounais anglophones en Afrique et ailleurs, tandis que les mesures draconiennes du gouvernement pourraient provoquer une réaction populaire et une escalade du conflit.

Gouvernement et séparatistes devraient, au lieu de cela, donner sa chance à la diplomatie et cesser les hostilités pendant la durée de la Coupe. Avec un soutien diplomatique extérieur, une telle trêve pourrait constituer la première étape du rétablissement de la confiance et de l’ouverture de négociations.

Contexte

Même sans la menace des milices anglophones, garantir la sécurité de ce tournoi international très médiatisé est un défi majeur. Neuf des dix régions du Cameroun sont plongées dans une profonde crise humanitaire sur fond de violents conflits, notamment des insurrections djihadistes et des conflits intercommunautaires entre éleveurs et pêcheurs dans le nord du pays. La situation politique du pays est également tendue. Le 27 décembre, un tribunal militaire a condamné au moins cinq hauts responsables d’opposition à des peines de sept ans de prison pour avoir organisé des manifestations contre le président, Paul Biya, en septembre 2020.

Dans les régions anglophones, qui posent le principal défi sécuritaire, les troubles ont commencé en octobre 2016, lorsque des avocats et des enseignants ont organisé des manifestations appelant à la mise en place d’une fédération à deux États pour préserver les systèmes juridiques et éducatifs anglophones. Celles-ci ont dégénéré en un conflit qui a tué plus de 6 000 personnes et en a déplacé environ un million d’autres, provoquant l’une des crises humanitaires les moins médiatisées au monde.

Enrica Picco est la Directrice du Projet Afrique centrale d’International Crisis Group.

© Carlos Javier Crisis Group et d’autres ont plaidé à plusieurs reprises pour des pourparlers qui pourraient déboucher sur une solution politique. Mais jusqu’à présent, le gouvernement s’est montré peu enclin à négocier de bonne foi. Il a ignoré une initiative de dialogue conduite par la Suisse en 2019, qui avait rassemblé une douzaine de groupes séparatistes appelant à des pourparlers, et a choisi d’organiser son propre dialogue national en octobre de la même année. Cet effort n’ayant pas inclus les séparatistes, il était voué à l’échec. En guise de geste de conciliation, le gouvernement a ensuite établi unilatéralement un statut spécial pour les régions, créant notamment deux assemblées régionales aux pouvoirs limités. Mais cette mesure n’était pas à la hauteur des exigences des anglophones et n’a pas permis de calmer le conflit.

Un statu quo déleitère

Le conflit anglophone s’est intensifié en 2021. Les séparatistes sont convaincus qu’ils gagnent du terrain malgré leurs divisions internes alors que le gouvernement se prépare à une longue guerre, et se dote de nouveaux équipements militaires. Mais aucune des deux parties ne prenant clairement l’ascendant et toutes deux étant réticentes à engager des pourparlers, le conflit est dans l’impasse.

Des attaques sur des lieux où se déroulent des matchs ne correspondraient pas au modus operandi des séparatistes, mais la violence pourrait prendre d’autres formes pendant la durée du tournoi. Depuis 2018, les séparatistes ont souvent cherché à perturber les événements sportifs dans les régions anglophones. En janvier 2021, pendant un autre tournoi de football, le Championnat d’Afrique des nations, des miliciens ont fait exploser une bombe à Limbe, blessant trois policiers. Le 21 décembre, alors que le président Biya rencontrait à Yaoundé, la capitale, Patrick Motsepe, président de la Confédération africaine de football, des combattants séparatistes ont attaqué un poste de contrôle de police à Kumba, dans le Sud-Ouest.

Toujours en décembre, des affrontements entre des milices séparatistes et les forces gouvernementales ont touché Bamenda, troisième ville du Cameroun. Significativement, quand il a fait le tour de cette ville le 16 décembre, l’homme déguisé en Mola, le lion mascotte de la Coupe d’Afrique, portait un gilet pare-balles et était escorté par des militaires.

Pressions sur le régime

Malgré les difficultés, le tournoi est un moment propice à la recherche d’une trêve, qui permettrait aux parties de s’engager à cesser les hostilités au moins pendant la durée de la Coupe et peut-être même de jeter les bases d’un nouvel effort de rétablissement de la paix. Les délais sont courts, mais les acteurs internationaux qui ont discrètement fait pression sur le président Biya pour qu’il engage de nouveaux pourparlers devraient presser le gouvernement de réactiver les canaux directs qu’il a développés en 2020 avec des dirigeants séparatistes influents en prison. Ils pourraient peut-être insister sur l’intérêt majeur pour Yaoundé d’éviter tout accroc pendant le déroulement des matchs. Parallèlement, les diplomates suisses pourraient chercher à obtenir le soutien des dirigeants séparatistes vivant à l’étranger en faveur d’une trêve et à remobiliser les Nations unies, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada pour qu’ils soutiennent leur initiative de dialogue.

Arrey Elvis Ntui est Consultant d’International Crisis Group pour le Cameroun.

© Carlos Javier Les avantages d’une cessation des hostilités, même brève, seraient considérables. Outre la protection qu’elle accorderait aux joueurs, aux supporters et à la population, elle donnerait aux organisations humanitaires la possibilité d’acheminer davantage d’aide dans les régions anglophones, actuellement difficiles d’accès car trop dangereuses. Mais elle pourrait aussi contribuer à jeter les bases d’indispensables négociations de paix et inviter le gouvernement à prendre des mesures à court terme, comme la libération des prisonniers anglophones détenus pour des crimes non violents, qui pourraient aider à amener les séparatistes à négocier.

Il est difficile de savoir si ces progrès sont réalisables à l’heure actuelle. Mais le tournoi à venir offre une occasion rare de mettre en œuvre une diplomatie créative dans le cadre de cette guerre souvent délaissée.

* Enrica Picco est la directrice du Projet Afrique centrale d’International Crisis Group, et Arrey Elvis Ntui est consultant d’International Crisis Group pour le Cameroun.

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