Africa-Press – CentrAfricaine. Le souvenir de votre journée au ski hier n’a pas effacé celui de votre pique-nique sur la plage l’été dernier. Vos souvenirs s’accumulent, sans s’écraser au fur et à mesure, mais pourquoi ? Des chercheurs de l’université Cornell (Ithaca, Etats-Unis) ont étudié le sommeil des souris et identifié une clé de ce processus.
On sait depuis longtemps que les souvenirs sont rejoués pendant le sommeil. C’est une étape essentielle de leur consolidation dans notre mémoire à long terme. Face à cet afflux ininterrompu d’informations, le cerveau a développé un mécanisme qui lui permet d’éviter les interférences: séparer les séances de « replay ». Les nouveaux souvenirs d’une part, les anciens de l’autre. C’est le résultat d’une nouvelle étude, publiée dans la prestigieuse revue Nature.
Les trois étapes clés de la mémorisation
Apprendre une leçon, mémoriser une chorégraphie, ou se rappeler une réunion. Quelle que soit la nature du souvenir, le cerveau fonctionne en trois phases. D’abord, l’encodage permet de traiter l’information en profondeur. Durant cette étape, le cerveau capte et organise l’information pour qu’elle soit compréhensible, ce qui nécessite une attention soutenue. Ensuite, on passe à la consolidation. L’hippocampe, une structure cérébrale essentielle dans le processus de mémorisation, rejoue le souvenir, jusqu’à ancrer la trace mnésique dans le cortex pour le convertir en un souvenir durable. Diverses activités répétées, telles que les quiz, permettent de favoriser l’ancrage du souvenir: la mémoire doit être mise à l’épreuve. Enfin, la dernière phase, celle de la récupération, consiste à rappeler activement les connaissances. Plus les rappels sont réguliers, plus ils favorisent la mémoire à long terme. La leçon est apprise !
La première étape de la consolidation des souvenirs s’effectue pendant le sommeil. L’hippocampe réactive le souvenir: les neurones qui ont été impliqués dans une expérience se réactivent dans le même ordre. Jusqu’à présent, on ne savait pas comment les traces mnésiques des souvenirs récents et anciens restaient distinctes. Mais de récents travaux ont élucidé une partie du mystère.
La pupille, une fenêtre sur le cerveau
« On a effacé leur mémoire », révèlent les chercheurs de l’université Cornell. Pour leur nouvelle étude, l’équipe d’Azahara Oliva vient en effet de supprimer le souvenir récent d’un nourrissage à plusieurs souris, en utilisant de la lumière. L’expérience est loin d’être anecdotique: les chercheurs ont identifié avec précision les phases durant lesquelles les souvenirs anciens et récents étaient rejoués, et c’est ainsi qu’ils ont pu accéder à un souvenir de la veille.
Pour étudier le fonctionnement du cerveau pendant le sommeil, les scientifiques ont tiré profit d’une particularité des souris: leurs paupières sont partiellement ouvertes lors de certaines phases du sommeil, laissant apparaître leurs pupilles… « Pendant le sommeil dit « non paradoxal », la taille de la pupille oscille, montrant l’existence de différents sous-états du sommeil non paradoxal », indique Azahara Oliva lors d’une interview pour Sciences et Avenir. La pupille se dilate et se rétracte suivant des cycles de quelques minutes. Avec son équipe, la chercheuse s’interroge: ces variations sont-elles liées au traitement des souvenirs ? Les enregistrements de l’activité cérébrale des souris, pendant leur sommeil, soulignent en effet une association étonnante: la rétractation des pupilles correspondait à une activité neuronale intense liée à la consolidation des souvenirs. Restait à élucider quel type de souvenir y était associé, et que concernait l’autre sous-état, durant lequel la pupille des souris était, cette fois, dilatée.
Segmenter la consolidation des souvenirs
Pour le savoir, les chercheurs ont utilisé l’optogénétique, une technique qui permet de contrôler l’activité des neurones modifiés génétiquement, en illuminant le tissu ciblé. Dans un premier temps, ils ont entraîné des souris génétiquement modifiées à trouver une friandise cachée sur une plateforme. Dans la nuit qui suivait cet exercice, les chercheurs ont utilisé l’optogénétique pour inhiber les ondes associées à la relecture des souvenirs. Chez certaines souris, le blocage a eu lieu pendant que leurs pupilles étaient dilatées et chez d’autres pendant que leurs pupilles étaient rétractées.
Résultat ? Les souris qui avaient la pupille rétractée pendant l’inhibition des ondes ne se souvenaient pas de l’emplacement de la friandise. Tandis que le souvenir de cet évènement chez les souris du second groupe était intact. Le sous-état du sommeil non paradoxal durant lequel les souris avaient les pupilles rétractées était donc associé aux souvenirs récents. Des expériences complémentaires montrent, à l’inverse, que le cerveau rejouait des souvenirs plus anciens, de quelques jours en arrière, pendant que la pupille des souris était dilatée. « Le sommeil non paradoxal est donc divisé en périodes durant lesquelles le cerveau consolide alternativement des souvenirs récents et des souvenirs anciens », résume Antonio Fernandez Ruiz, co-auteur de l’étude, pour Sciences et Avenir. « Ce système de consolidation empêche les interférences.”
A l’aune de ces nouveaux résultats, les chercheurs ont entamé des discussions avec le milieu médical pour élaborer un protocole permettant d’empêcher la consolidation d’un souvenir récent dans la mémoire à long terme. Une avancée qui pourrait être utile dans le syndrome de stress post-traumatique par exemple.
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