Andjouza Abouheir
Africa-Press – Comores. Dans un communiqué distribué à la presse, le procureur de la République de la Grande-Comore évoque la « légitime défense » sur la mort de Mouslim, jeune manifestant tué d’une balle dans la tête par le garde du corps du ministre des télécommunications alors qu’il s’était introduit au domicile de ce dernier pendant les manifestations post-électorales. Pour chercher à mieux comprendre la notion de légitime défense, notamment dans ce contexte précis, nous avons interrogé Me Fahmi Saïd Ibrahim, avocat au barreau de Moroni.
Question : Au lendemain du déclenchement du mouvement de contestation contre les résultats de la présidentielle, un jeune homme a été tué d’une balle dans la tête au domicile du ministre des télécommunications par le garde-corps de ce dernier. Le procureur évoque la « légitime défense » dans un communiqué distribué à la presse. À quel moment peut-on évoquer cette légitime défense ?
Fahmi Saïd Ibrahim : Tout d’abord je tiens à présenter mes sincères condoléances à la famille du défunt. Je souligne que c’est la première fois, dans l’histoire électorale de notre pays, qu’une personne décède dans ces conditions. À propos de votre question, je n’ai pas écouté personnellement le procureur, mais s’il a affirmé que cet accident peut être qualifié de légitime défense, je ne partage pas du tout sa lecture du droit régissant cette matière. La légitime défense est reconnue lorsqu’une personne est confrontée à une menace imminente et injuste contre sa vie ou celle d’une autre personne. Mais, le législateur pose des conditions légales devant être remplies pour qu’un acte soit qualifié de légitime défense. Aux Comores, comme dans beaucoup de pays francophones, notre droit découle du droit de la famille romano-germanique. Dans cette famille juridique, la doctrine, la loi et la jurisprudence posent une condition fondamentale pour qu’un acte puisse être qualifié de légitime défense : la force utilisée doit être proportionnée pour se protéger. Alors, le seul argument pouvant justifier l’usage d’une arme à feu au domicile du ministre, c’est si feu Mouslim lui-même s’y était introduit avec une arme à feu, ce qui n’est, manifestement, pas le cas sinon l’opinion l’aurait su et le parquet l’aurait relevé. Ainsi, sans risque de me tromper, bien qu’il soit regrettable que des jeunes se soient introduit dans le domicile d’une personne quelle que soit sa qualité et son rang, l’usage d’une arme à feu sur un jeune qui n’était pas armé est inacceptable.
Question : Le procureur a annoncé une enquête sur la violation du domicile du ministre des télécommunications par ce groupe de manifestants, et omet de le faire sur l’usage de la mort de Mouslim pour s’assurer que les éléments constitutifs de la légitime défense étaient réunis. Pensez-vous qu’en agissant de la sorte, le procureur procède de la bonne manière ?
FSI : Si j’ai bien compris, le procureur cherche à comprendre comment ces jeunes se sont introduits au domicile du ministre et omet de nous informer si une enquête est ouverte ou pas pour connaître les circonstances exactes de l’usage de cette arme à feu ayant conduit à la mort d’une personne. C’est étonnant.
Question : En tant qu’homme politique, quelle lecture faites-vous de ce mouvement de contestation ? Quelles leçons les autorités peuvent-elles en tirer ?
FSI : Je pense que la population n’est pas satisfaite de sa condition. Comme dans tout pays se voulant démocratique, elle rêve d’alternance pour espérer un avenir meilleur. Il est vrai que la population est appauvrie depuis une dizaine d’années, avec des causes à la fois endogènes et exogènes. D’abord, la conviction profonde que la gouvernance est défaillante, l’administration inefficace, la justice critiquée, l’éducation nationale en faillite, la santé publique mercantilisée, et aucune perspective pour la jeunesse diplômée. En 2022, l’inflation était de 12%, et en 2023 de 9%, impactant considérablement le pouvoir d’achat de la classe moyenne. La crise du Covid-19 a fait exploser le coût du fret maritime, et la situation dans le Golfe d’Aden aggrave les choses. Dans ce contexte, seule une amélioration de la gouvernance et un renforcement de la gestion des finances publiques pourraient nous donner une chance de survie. Ainsi, il faut rationaliser nos choix budgétaires, renforcer les bases de l’éducation nationale et ce, dès le primaire pour garantir l’acquisition des fondamentaux par nos enfants. Mais ces questions majeures n’ont pas été abordées dans les discours à l’occasion des élections. J’ai, en revanche, entendu beaucoup de promesses. C’est dommage. Alors, pour revenir sur ta question, dans cette situation, la fraude électorale, telle que les réseaux sociaux l’ont largement diffusée, a sans nul doute servi de déclencheur à ce mouvement spontané de la rue.
Source: lagazettedescomores
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