Africa-Press – Congo Brazzaville. Avec « Rumba congolaise: les héroïnes », Yamina Benguigui signe un documentaire engagé, salué par les autorités, le public et les artistes lors de sa projection dans le cadre du Festival panafricain de musique 2025. Une œuvre qui redonne voix et place aux femmes trop longtemps reléguées dans l’ombre d’un patrimoine musical classé à l’Unesco en 2021.
C’est un moment d’histoire, de mémoire et de reconnaissance qui s’est vécu le 24 juillet à Canal Olympia à Brazzaville. Le film « Rumba congolaise: les héroïnes », réalisé par la cinéaste franco-algérienne Yamina Benguigui, a été présenté en avant-première dans le cadre du Fespam, en présence du président de la République, Denis Sassou N’Guesso. Ce documentaire de 60 minutes, produit par Canal+, retrace l’évolution de la rumba tout en braquant les projecteurs sur les femmes qui ont contribué, souvent dans l’ombre, à sa richesse et à son rayonnement.
Porté par une narration riche et émouvante, un fond sonore nostalgique et des images d’une grande beauté, le film tisse un récit vibrant entre passé et présent. Yamina Benguigui convoque les voix féminines d’hier et celles d’aujourd’hui pour raconter une autre histoire de la rumba: celle des oubliées mais ayant pourtant jouer un rôle important. « On avait cité tous les hommes… et pas une seule femme », raconte Yamina Benguigui, émue, expliquant le déclic de ce projet né d’un oubli lors d’une cérémonie officielle à l’Unesco.
Le film entremêle images d’archives, scènes actuelles et témoignages poignants d’icônes comme Mbilia Bel, Fally Ipupa, Barbara Kanam, Faya Tess ou encore la jeune génération telle la chanteuse Ancy ou la slameuse Maruisca. Tous rendent hommage aux pionnières invisibilisées de la rumba congolaise. Lucie Eyenga, première femme à chanter à la radio en 1954 et première femme intégrée à l’African Jazz, en est l’un des symboles que ce documentaire encense. Dans une société dominée par les hommes, elle a ouvert la voie à d’autres artistes souvent contraintes à se faire connaître uniquement par les ondes. « Elle est morte dans le plus grand dénuement, oubliée. Ce n’est pas acceptable », déplore la réalisatrice. Outre Lucie, on découvre également des récits et des visages méconnus ou peu connus comme ceux de Marcelle Ebibi, Martha Badibala, Marie Bella, M’pongo Love, Tshala Muana, Abeti Masikini, Jolie Detta…
Avec cette œuvre, Yamina Benguigui ne propose pas seulement une relecture critique de l’histoire de la musique congolaise, en déconstruisant l’idée d’une rumba exclusivement masculine. Comme le soulignent les différentes évocations des historiens Scholastique Dianzinga et Didier Gondola ou encore les propos d’Henri Ossebi, membre du comité d’experts Rumba-Unesco et du chroniqueur musical Clément Ossinondé ; ce film met aussi en évidence le rôle de la rumba comme forme d’expression populaire et de résistance douce, en dénonçant les oppressions coloniales et politiques, en valorisant les langues locales, et en portant des revendications implicites. Il permet aussi de comprendre les dynamiques entre culture, politique et société, en montrant comment une musique populaire devient un vecteur d’émancipation, d’unité nationale, voire d’influence diplomatique.
Témoignages
La ministre de l’Industrie culturelle, Lydie Pongault, voit dans ce film une « transition réussie entre les héroïnes d’hier et celles d’aujourd’hui ». L’historien Didier Gondola, saluant une œuvre « importante et nécessaire », rappelle que « la rumba a servi de pont entre Brazzaville et Kinshasa » et fut un moteur d’émancipation. « Ces femmes libres ont inspiré un discours qui a libéré socialement l’homme et la femme congolais », a-t-ilsouligné. « C’est une reconnaissance pour cette carrière entamée il y a plus de vingt ans », a confié Barbara Kanam, très émue. « On espère que ce film renforcera l’élan de structuration du secteur musical pour les femmes », a espèré la chanteuse congolaise. La slameuse Mariusca se réjouit d’un « début de quelque chose de beau ».
Le film pose aussi les enjeux cruciaux des droits d’auteur ou royalties, et la nécessité de préserver ce patrimoine vivant. Mbilia Bel, dans un témoignage fort, déplore l’absence de rémunération. « On ne me paie pas mes droits. Ce sont mes chansons, mon héritage », a-t-elle martelé. Elle milite aujourd’hui pour transmettre son savoir aux jeunes artistes via une école.
Une ambiance saisissante au rythme de la rumba
Sur scène, après la projection du film, un moment d’émotion a vu Barbara Kanam, Mbilia Bel, Faya Tess et Mariusca interpréter en a cappella leurs morceaux cultes. A l’extérieur, dès l’entrée, Canal Olympia s’était transformé en véritable village de la rumba. Un podium installé sur la façade a accueilli des performances live. La playlist, subtilement choisie, a bercé le public entre classicisme et modernité. La projection s’est clôturée par un cocktail riche en échanges, entre artistes, passionnés, membres du gouvernement et journalistes. Une immersion totale dans l’âme de la rumba, et une célébration des voix longtemps tues.
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