Africa-Press – Congo Brazzaville. Il est de ceux qu’on ne saisit pas tout de suite. Benic Matsiona se découvre par strates, à la manière de ses images naissantes. Son regard est encore neuf, mais déjà habité. Il vient de la danse, il marche vers la photographie. Entre les deux, un corps, une histoire, un besoin de dire. Nous l’avons rencontré lors de la 5e édition des Rencontres internationales de la photographie d’auteur de Brazzaville qui s’est tenue du 6 au 10 mai à travers plusieurs activités.
Benic est jeune, mais il a déjà un parcours artistique inspirant à conter. D’abord danseur, puis performeur. Pendant plusieurs années, il explore les scènes locales et internationales à travers le corps en mouvement, apprenant à ressentir l’espace, à capter les regards, à raconter sans mots. Cette expérience scénique lui offre une sensibilité rare, un sens du rythme et du détail qu’il transpose aujourd’hui dans un autre médium: la photographie.
Il entre dans la photographie par nécessité plus que par accident, avec un déclic qui s’est fait presque naturellement. « Je me suis toujours dit: si j’arrêtais la danse, je serai soit devant, soit derrière la caméra », confie-t-il avec simplicité. La photographie, chez lui, n’est donc pas un renoncement à la danse. C’est un prolongement.
Comme lors de chaque édition, Kokutan’art avait initié deux ateliers en photographie auxquels Benic a eu l’occasion de participer. Lors de l’atelier dirigé par le photographe français Adrien Tache, il a découvert la rigueur du cadrage, l’intimité du portrait et l’humilité du binôme. Il fallait, en quelques jours, affronter quatorze défis photographiques, en choisir quelques-uns, les apprivoiser, les traduire. « Avec mon binôme, on ne se connaissait pas. On a d’abord dû se comprendre, partager nos motivations… C’est comme cela qu’on a abordé le portrait simple, la courte histoire en trois images », a fait savoir l’artiste.
Le second atelier avec le photographe camerounais expérimenté Yvon Ngassam, consacré à l’écriture d’un projet photographique, lui a offert un cadre pour penser sa démarche. Cette formation a été un véritable terrain fertile pour une prise de conscience: Benic ne veut pas seulement faire de la photo, il veut faire œuvre. Et derrière cette réflexion, un projet personnel s’élabore déjà, plus vaste, plus viscéral.
Intitulé « Patrimoine en péril », ce travail en gestation interroge les paradoxes de la mémoire africaine. « Tout le monde crie à la restitution des œuvres en Occident, mais ce que nous avons ici, nous ne le protégeons pas », s’indigne-t-il. À travers ce projet, l’artiste veut documenter l’abandon des biens culturels, alerter sur la fragilité de notre héritage, inviter à une prise de responsabilité collective. Sa photographie s’annonce frontale, sensible, traversée par une volonté de compréhension du réel. Pas de mise en scène excessive, pas de fioritures: juste le besoin de montrer ce qu’on ne regarde plus ou simplement ce qu’on choisit de ne pas regarder.
Au terme de Kokutan’art 2025, Benic Matsiona est ressorti armé d’un sujet, d’une urgence, et d’une conviction. « Je ne peux pas m’arrêter à cette édition. S’il y a une prochaine saison de Kokutan’art, je suis obligé d’y participer », promet-il. Il le dit avec le feu tranquille de ceux qui ont trouvé leur voie déployée sur plusieurs axes. Effectivement, Benic Matsiona n’abandonne pas la danse qu’il continue à pratiquer. Seulement, il entend bien l’infuser dans ses cadrages, dans le rythme de ses séries, dans la manière dont il approche le réel: avec le corps, avec la peau.
C’est en cela tout l’enjeu de sa démarche: mixer les médiums, faire dialoguer les langages. Danser avec la lumière comme il danse avec l’espace. Benic ne cherche pas à devenir photographe. Il est déjà en train de le devenir. Pas à pas, image par image. Il regarde le monde et, pour la première fois, le monde commencera à le regarder sous ce spectre. Bravo à Kokutan’art qui contribue chaque année à révéler des talents !
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