Le professeur Michel Ekwalanga, l’atout anti-coronavirus de la RDC

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Le professeur Michel Ekwalanga, l’atout anti-coronavirus de la RDC
Le professeur Michel Ekwalanga, l’atout anti-coronavirus de la RDC

Africa-PressCongo Kinshasa. Avec son équipe de l’université de Lubumbashi, le virologue Michel Balaka Ekwalanga a conçu un protocole trithérapeutique contre le Covid-19. Un traitement prometteur, auquel les autorités ont mis six mois à s’intéresser…

Certes, la gestion de la pandémie accuse des faiblesses ; il n’y a pas suffisamment de dépistages, de tests et de statistiques fiables ; la prise de décisions est très centralisée. Cependant, la RDC semble plutôt bien résister au coronavirus. En effet, pour un pays de quelque 80 millions d’âmes, le nombre cumulé de personnes affectées par la maladie reste faible, avec, au 15 octobre, 10 872 cas confirmés, 10 249 guéris et 276 décès depuis le début de la pandémie, déclarée le 10 mars. Et si les cas graves existent, ils sont très rares.

L’explication ? Outre la jeunesse de la population, « nous avons la chance d’avoir une immunité collective efficace, comme partout en Afrique subsaharienne », explique le professeur Michel Balaka Ekwalanga. L’immunologiste, enseignant-chercheur à l’Université de Lubumbashi (Unilu), a développé avec son équipe un protocole de traitement du ­Covid-19 utilisant trois molécules : Bela-Unilu-20. Retour sur le parcours singulier d’un scientifique aussi humble que brillant et qui est reconnu par ses pairs.

Il naît le 22 juillet 1949 à Kahemba, une petite ville de la province du Kwango, proche de la frontière avec l’Angola. À la maison, on ne badine pas avec les valeurs familiales. Honnêteté, travail, droiture, sens des choses bien faites sont les vertus cultivées par son père, fonctionnaire colonial et ex-séminariste, comme par sa mère, femme au foyer. Michel Balaka Ekwalanga ne dérogera pas à ces principes, auxquels il ajoutera ceux de la philosophie ubuntu (« se voir en autrui »).

Cette éducation stricte se poursuit à Kikwit, ville principale de la province du Kwilu (ex-Bandundu), à 500 km à l’est de Kinshasa, où son oncle, instituteur, l’accueille. Après l’école primaire, l’adolescent poursuit ses études secondaires à la mission jésuite Sacré-Cœur et se passionne déjà pour la biologie. « J’aimais disséquer les animaux. Je voulais comprendre leur fonctionnement biologique », se souvient-il.

Après l’obtention de son diplôme d’État (bac), en 1967, Michel Ekwalanga s’inscrit à la faculté de médecine de l’Université Lovanium, à Kinshasa. Il ne terminera pas son cycle. Féru de politique, il milite dans les mouvements d’étudiants opposés à Mobutu. En 1969, une grève éclate à l’université à la suite de l’arrestation et du décès de l’opposant Pierre Mulele, l’un de ses oncles, qui avait été à la tête d’une rébellion, dite rébellion Simba. Michel Ekwalanga et d’autres responsables du mouvement sont arrêtés et incarcérés à la prison de Ndolo. Il parvient à s’enfuir avec la complicité d’amis et avec celle du consul de France.

L’étudiant congolais arrive à Paris en ­janvier 1970. Il lui faudra près de deux ans pour régulariser sa situation administrative. Ne pouvant apporter la preuve de ses années de médecine, il reprend ses études de zéro. En 1973, il s’inscrit à la faculté de médecine de l’université Pierre-et-Marie-Curie ­(Paris-6), puis, optant pour la recherche, il intègre sa faculté des sciences. Deug, licence, maîtrise, DEA et doctorat… Michel Ekwalanga achève son cursus en 1980 avec le titre de docteur en immunologie.

Commence alors la carrière professionnelle. Le stage de troisième cycle que le jeune chercheur effectue à l’Institut Pasteur de Paris, dans l’unité du biologiste Louis Selim Chedid, lui ouvre les portes des meilleures équipes parisiennes. Il sera chercheur associé à l’hôpital Laennec (service des Prs Philippe Even et Jean-Marie Andrieu), à la Pitié-Salpêtrière (département de médecine tropicale du Pr Gentilini), puis à l’hôpital Saint-Louis (équipe de François Clavel).

Pendant toutes ces années, Michel Ekwalanga côtoie des sommités en immunologie, biologie et virologie, dont Claude Leclerc, Dominique Mazier, Sentob Saragosti, Arnaud Fontanet et Jacques Thèze, sans oublier Pierre-André Cazenave, son mentor, et Michel Kazatchkine, son soutien financier et scientifique. Il publie de nombreux articles, en particulier sur le VIH-sida et sur le sida des singes, démontrant que la malaria et le sida sont antagoniques et que les porteurs du VIH-sida ont la capacité de détruire des cellules comme les lymphocytes.

Au cours de ses vingt-cinq années passées en France (durant lesquelles naissent son fils, Hugo, et sa fille, Ayessi), Michel Ekwalanga découvre d’autres choses : « Le vin de Bordeaux et la musique classique, la passion pour la recherche, le sens de l’organisation et le courage de dire ce que l’on pense », dit-il. Ce côté « grande gueule » ne sera pas toujours apprécié au Zaïre, où il décide cependant de rentrer, en 1995, ses réseaux l’ayant « informé de changements en cours et de l’éventuelle chute du régime de Mobutu ».

Dans un premier temps, Michel Ekwalanga enseigne au sein de l’Institut supérieur des techniques médicales (ISTM), puis, en 1997, il intègre, en tant que chef du département de virologie et immunologie, l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) – déjà dirigé par le Dr Jean-Jacques Muyembe, virologue codécouvreur, en 1976, du virus Ebola et actuel coordinateur de la cellule de riposte à la pandémie de Covid-19.

Invité par Masanori Hayami, immunologiste de l’université de Kyoto, Michel Ekwalanga séjourne six mois au Japon, pendant lesquels il pose avec ce pays les jalons d’une coopération de l’INRB, qui débouchera sur la réalisation d’un complexe ultramoderne abritant le laboratoire national de santé publique de l’Institut, financé par le Japon.

En 2003, en raison de divergences sur le fonds japonais alloué au laboratoire et à ses travaux, il démissionne de l’INRB après quinze jours de grève de la faim. Grâce au recteur Kaumba Lufunda, il intègre l’Unilu, où, professeur ordinaire et coordonnateur en chef de tous les laboratoires, il enseigne la virologie, l’immunologie et la biologie clinique à la faculté de médecine.

Le manque de moyens octroyés à la recherche, un secteur peu valorisé en RD Congo, ne l’empêche pas de poursuivre son activité de chercheur. Il bénéficie pour cela des contacts établis avec des équipes et des structures de recherche françaises et japonaises. S’il a le soutien du ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technique et de celui de l’Enseignement supérieur et universitaire, Thomas Luhaka Losendjola, il est parfois découragé, surtout quand les financements promis tardent à arriver.

L’annonce de la pandémie de Covid-19 ne l’a pas pris au dépourvu. Le Pr Ekwalanga connaît bien les coronavirus, qu’il suit depuis 2003 – à travers le Sars-CoV (syndrome respiratoire aigu sévère), le Mers-CoV (syndrome respiratoire à coronavirus du Moyen-Orient) et le Sars-CoV-2 – et, fort de ses recherches sur le VIH-sida et sur le virus Ebola, avec sa consœur Philomène Lungu Anzwal, le microbiologiste Éric Kasamba et Kalumba Kombote, également enseignants-chercheurs à l’Unilu, il conçoit le protocole Bela-Unilu-20 : une approche trithérapeutique combinant des interférons de type alpha et bêta, de la chloroquine et des antioxydants. Une solution inédite, présentée dès la fin du mois de février à Lubumbashi, qui a suscité l’intérêt de chercheurs chinois et cubains.

Côté congolais, il faudra plus de six mois pour que le protocole obtienne l’accord de la Commission d’éthique, de la Commission scientifique et du Comité multisectoriel de riposte à la pandémie du Covid-19 et pour que deux centres soient mis à disposition pour les essais cliniques à Lubumbashi. « Pour soigner les malades, on a d’abord utilisé le protocole du Français Didier Raoult et on a négligé ceux des scientifiques congolais. J’ai donc fait du bruit dans les médias pour sensibiliser les autorités. »

Le Protocole Bela UNILU est accepté par le comité scientifique. Et les essais cliniques peuvent commencer .Info RTNC 21h00 pic.twitter.com/UodwA1mgJH
— Professeur Michel Ekwalanga (@Peof_Ekwalanga) April 15, 2020

Loin de se reposer sur ses lauriers, le Pr Ekwalanga planche sur la conception d’une molécule qui modifierait la fixation du virus sur le récepteur des cellules, ainsi que sur un spray nasal ou buccal apte à neutraliser le virus pendant quelques heures pour éviter le port du masque. Son point de vue sur les vaccins ? « Je suis sceptique lorsqu’on ne parle que des anticorps neutralisant les virus. Je suis pour l’immunité à médiation cellulaire [principal mécanisme de défense contre les infections intracellulaires, en particulier les virus] plutôt que pour le vaccin. Éventuellement pour les deux », conclut-il.

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