Le Conflit à l’Est du Congo et la lutte pour les ressources: Des approches régionales contradictoires

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Le Conflit à l’Est du Congo et la lutte pour les ressources: Des approches régionales contradictoires
Le Conflit à l’Est du Congo et la lutte pour les ressources: Des approches régionales contradictoires

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Congo Kinshasa. Le conflit dans l’Est du Congo (anciennement Zaïre), a des répercussions considérables, tant au niveau local que régional.

• Sur le plan local: la violence continue a entraîné des déplacements à grande échelle, obligeant des millions de personnes à fuir leurs foyers, entraînant une crise humanitaire caractérisée par l’insécurité alimentaire, la malnutrition et le manque d’accès aux services de base tels que les soins de santé et l’éducation.

La présence de groupes armés et l’effondrement de l’ordre public ont également contribué aux violations des droits humains, notamment aux violences sexuelles et au recrutement d’enfants.

• Sur le plan régional: économiquement, le conflit a perturbé les activités agricoles et les routes commerciales, exacerbant la pauvreté et entravant les efforts de développement dans la région.

En outre, l’instabilité dans l’Est du Congo s’est étendue aux pays voisins, alimentant les tensions régionales, propageant le phénomène de guerre « par procuration » et les conflits de volontés entre les puissances régionales, ce qui pose des défis à la paix et à la sécurité dans la région des Grands Lacs.


Campements de déplacés de l’Est de la RDC

C’est pourquoi: il est essentiel de s’attaquer aux causes profondes du conflit dans l’Est du Congo et promouvoir des initiatives de consolidation de la paix durables, pour atténuer ces répercussions et renforcer la stabilité en RDC et dans son voisinage régional.

Il faut savoir que la guerre rampante qui menace la région du Haut Nil, des Grands Lacs et de l’Afrique australe est liée à la lutte pour les ressources naturelles et à la compétition d’influence entre les grandes puissances régionales.

Le manque de gouvernance au Rwanda et en Ouganda, à titre d’exemple, fait partie du problème fondamental des Grands Lacs et constitue la raison de la propagation du phénomène de guerre par procuration dans la région, en particulier dans l’Est du Congo.

Et il importe de rappeler que le conflit en RDC, un pays africain peuplé d’environ 80 millions d’habitants et doté de vastes ressources naturelles, a acquis un caractère de plus en plus régional, car il s’étend à la plupart des régions des Grands Lacs, et la complexité de la situation vient du fait qu’il existe dans ce pays plusieurs acteurs ayant des intérêts vitaux: le Rwanda, l’Ouganda, et deux groupements régionaux d’Afrique de l’Est et du Sud, ainsi que de nombreuses milices armées, comme les Forces démocratiques alliées, le groupe rebelle Tutsi du 23 mars (M23) et les Maï-Maï (Forces démocratiques pour la libération du Congo), qui comptent parmi les groupes les plus meurtriers au Nord-Kivu et en Ituri, qui sont deux régions minières situées aux frontières avec le Rwanda et l’Ouganda.

Dans cet article, nous allons chercher à analyser la dynamique du conflit aux multiples facettes dans l’Est de la République démocratique du Congo et à comprendre la nature des polarisations régionales qui alimentent le phénomène de guerre par procuration dans la région.

Comprendre les approches régionales contradictoires

Lors du sommet de Windhoek (Capitale de la Namibie), tenu en mai 2023, les dirigeants de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), composée de 16 pays, ont convenu de déployer une mission militaire en République démocratique du Congo. Il est clair que son objectif principal est de vaincre et de neutraliser le « mouvement rebelle M23 » soutenu par le Rwanda. Le contrôle de ce mouvement, composé principalement de Tutsis congolais, sur les terres de la province du Nord-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, s’est accru au cours des deux dernières années, après avoir été vaincu par une force africaine conjointe. il y a une dizaine d’années.

Le sommet a été officiellement ouvert et présidé par le président de la République de Namibie, Hage G. Geingob (mort le 4 février 2024), en sa qualité de président de l’Organe de la SADC en charge de la politique, la défense et la coopération en matière de sécurité. La rencontre de Windhoek a réuni les chefs d’État et de gouvernements des pays suivants: Namibie, Afrique du Sud, République démocratique du Congo, Tanzanie, Angola, Malawi et Zambie.

A noter également qu’en mars 2023, la communauté de développement d’Afrique australe (SADC) avait dépêché dans le Nord-Kivu et en Ituri, une équipe de ses experts pour notamment s’enquérir de la situation sécuritaire dans la région de Beni, en proie aux exactions des ADF et autres groupes armés, en République démocratique du Congo (la ville de Beni est une entité administrative distincte).

Il est clair que le scénario d’une intervention régionale peut se répéter de la même manière, car en 2013, la Brigade de la Force d’Intervention, alors composée uniquement d’Afrique du Sud, de Tanzanie et du Malawi, bien qu’opérant dans le cadre de la mission de maintien de la paix des Nations Unies (MONUSCO), a vaincu le M23 et l’a contraint à fuir vers le Rwanda et l’Ouganda. Cependant, aujourd’hui, le mouvement M23 est devenu une force bien plus forte. Bintou Keita, experte en résolution de conflits, représentante spéciale du secrétaire général de l’ONU pour la République démocratique du Congo, depuis 2021,a noté que le mouvement M23 ressemble désormais davantage à une armée conventionnelle qu’à un groupe rebelle.

Même si la pression internationale, parallèlement au déploiement de la Brigade de la Force d’Intervention en 2013, a contraint, à l’époque, le président rwandais Paul Kagame à retirer tout son soutien au Mouvement du 23 Mars, les alliés occidentaux du Rwanda, peut-être en raison de la Guerre en Ukraine et au conflit se déroulant à Gaza, n’exercent pas la même pression sur le Rwanda aujourd’hui. Il est clair que Kagame est ferme sur sa position et ne reculera pas soudainement face à la Communauté de développement de l’Afrique australe. En revanche, il semble que le mouvement M23 ait gagné en force en rejoignant d’autres groupes armés, milices et formations politiques pour lancer la « Congo River Alliance » à Nairobi, à la mi-décembre 2023.

Toutefois, à la lumière du chaos des initiatives régionales, la force de la Communauté d’Afrique de l’Est a été créée, suivant mandat des chefs d’État du groupe lors de leur vingt-deuxième sommet ordinaire en juillet 2022, dans le cadre d’un effort multinational visant à résoudre les conflits et l’instabilité dans l’Est de la République démocratique du Congo, mais le travail de cette force n’a pas duré longtemps, car Kinshasa a décidé de ne pas renouveler son mandat, l’accusant de « coexister avec les rebelles au lieu de les contraindre à remettre les armes ».

La mission a déjà commencé à se retirer du pays, pour être remplacée par une force militaire de la Communauté de développement de l’Afrique australe.

Contrairement à ces initiatives basées sur le « hard power », le Kenya et l’Angola ont travaillé, au cours de l’année 2022, pour parvenir à une solution diplomatique pour apaiser les tensions dans la région. Les deux pays dirigent les efforts de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs. En juillet 2022, ils ont négocié à Luanda un accord sur une feuille de route entre les présidents de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, et du Rwanda, Paul Kagame, qui semblait reconnaître implicitement que Kigali et Kinshasa avaient respectivement une influence sur le M23 et les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda).

Lever le voile sur le conflit autour des ressources

Le Coltan: une des richesses minières de la RDC

À la lumière du conflit que suscitent ces initiatives, il apparaît nettement que la guerre rampante qui menace la région du Haut Nil, dans les Grands Lacs et en Afrique australe, s’implique étroitement dans une lutte qui tourne autour des ressources naturelles et de la compétition d’influence entre les grandes puissances régionales, du faut que la République démocratique du Congo est extrêmement riche en ressources naturelles, notamment en « coltan », un métal rare utilisé dans la fabrication de réacteurs nucléaires, de moteurs d’avion, de missiles et d’appareils de haute précision.

A ce propos, la République démocratique du Congo en possède à elle seule 80 % des réserves mondiales. L’essentiel de cette richesse est concentré dans la partie orientale du pays, notamment dans les provinces du Katanga et du Kivu et leurs environs, qui constituent un noyau d’instabilité depuis au moins 20 ans. En 2019, 40 % de l’offre mondiale de coltan a été produite en RDC.

Cette ressource minière qu’est le coltan, a gagné en notoriété depuis les années 2000, lorsque des rapports de l’ONU ont révélé des liens entre son exploitation et la violence au Congo. D’ailleurs, ceux qu’on qualifie de « seigneurs de guerre » exploitaient le minerai et finançaient leurs activités avec les bénéfices générés par son extraction et sa vente. Les grandes réserves congolaises sont concentrées dans les provinces du Kivu et du Maniema, à la frontière avec le Rwanda. Comme on le sait, le Rwanda est limitrophe des principales régions congolaises productrices de coltan et possède également de la « tantalite », bien qu’en quantités moindres.

La tantalite est un minerai oxydé contenant du tantale, se présentant en cristaux prismatiques le plus souvent de couleur noire avec un éclat métallique.

Ainsi, le coltan congolais obtenu illégalement peut facilement être mélangé au coltan rwandais et, après avoir été passé par des intermédiaires, est vendu à des sociétés multinationales. Cependant, le Rwanda n’est pas le seul à bénéficier de l’exploitation illégale des richesses minières congolaises. Alors que la République démocratique du Congo est le plus grand producteur mondial de coltan, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi se classent respectivement troisième, neuvième et onzième, malgré des gisements de minerai connus, pour la plupart, limités.

Ce n’est donc un secret pour personne que l’instabilité basée sur l’extraction minière, selon l’enquête de terrain conduite par le Groupe d’experts des Nations Unies sur le Congo, menée entre avril 2021 et juillet 2022, soit liée à l’escalade des tensions entre le Rwanda et la RDC pendant la période en question. Cela inclut la présence de soldats rwandais sur le territoire congolais et les allégations d’une guerre par procuration des deux côtés.

S’appuyant sur le soutien logistique apporté par les forces militaires rwandaises, le mouvement M23 a repris ses attaques depuis novembre 2021, et élargi sa zone d’opérations. En mars 2022, le mouvement s’était emparé d’une grande partie du territoire de Rutshuru, à la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda. Ses forces ont également envahi la base militaire de Rumangabo, la plus grande installation militaire des FARDC (les Forces armées de la république démocratique du Congo) au Nord-Kivu. Les troupes ont ensuite poussé vers le sud, en direction de la capitale régionale, Goma, et à travers la ville frontalière de Gisenyi au Rwanda.

La focalisation géographique des opérations du M23 répond à une logique économique très claire, car il couvre une zone riche en coltan, s’étendant de Bunagana, près de la frontière avec l’Ouganda, jusqu’à Goma, située à la frontière territoriale congolaise avec le Rwanda.

De facto, les relations diplomatiques entre les deux pays sont au point mort, sachant qu’en octobre 2022, lorsque Félix Tshisekedi, président de la République démocratique du Congo, avait expulsé l’ambassadeur du Rwanda, quelques mois plus tard, en novembre 2022, le président rwandais Paul Kagame s’était absenté du Sommet des Grands Lacs à Kinshasa. Outre les problèmes liés au mouvement M23, les relations entre Kinshasa et Kigali ne sont pas bonnes depuis 2021, Kagame se sentant déçu après que Tshisekedi ait maintenu des relations étroites avec l’Ouganda pour une coopération commune dans la guerre contre les ADF.

Connaître les causes profondes du conflit

Malgré l’importance des dimensions et des données que nous avons évoquées ci-dessus, la compréhension du conflit à l’Est du Congo et de la tendance actuelle à sa régionalisation reste liée à une vision globale de celui-ci et aux véritables raisons qui le sous-tendent, dont les plus marquantes, à notre avis, sont les suivantes:

• Échec de la gestion de la phase post-conflit

Il est clair que la République du Congo et les pays voisins n’ont pas capitalisé sur la victoire remportée sur le mouvement M23 en 2013, car ils ne se sont pas attaqués aux causes profondes du conflit, notamment l’échec de l’intégration des combattants du mouvement dans l’armée nationale de la République Démocratique du Congo. Certains observateurs estiment que l’attention internationale portée aux accusations du Groupe international d’experts sur le Rwanda et l’Ouganda de soutenir le mouvement M23 a conduit à une exagération de la dimension régionale de la question du M23 au détriment des dynamiques locales et nationales, qui ont besoin de plus d’attention politique.

Par exemple, le déficit démocratique et le manque de gouvernance au Rwanda et en Ouganda font partie du problème sous-jacent, car cela conduit à des insurrections armées déstabilisatrices émanant de l’Est de la RDC contre les régimes de Kigali et de Kampala. C’est peut-être là la raison de la propagation du phénomène de guerre par procuration dans la région.

• Loyautés régionales conflictuelles

Un autre facteur important contribuant à l’instabilité actuelle dans la région de l’est du Congo est l’adhésion de la République démocratique du Congo à la Communauté de l’Afrique de l’Est en juillet 2022, à l’initiative du Kenya. La Communauté d’Afrique de l’Est a lancé des pourparlers de paix à Nairobi sur la République démocratique du Congo et a également envoyé la force régionale de l’EAC, principalement composée de forces kenyanes, dans l’Est du Congo.

Il semble que le président rwandais Paul Kagame se méfiait de l’entrée du Kenya dans la question de l’Est du Congo et soupçonnait qu’il recherchait des opportunités commerciales dans la région, et que cela se ferait au détriment des intérêts stratégiques du Rwanda.

De son côté, le président Tshisekedi espérait que la force régionale de l’EAC combattrait le mouvement M23 et l’aiderait ensuite à remporter une victoire électorale, le Rwanda et son mandataire n’étant pas très populaires parmi la plupart des Congolais. Mais cela ne faisait pas partie du mandat de la Mission d’Afrique de l’Est, ce qui a incité le président Tshisekedi à prendre du recul et à demander à la Communauté de développement de l’Afrique australe de jouer le même rôle, à la place de la Communauté d’Afrique de l’Est.

• Le facteur sud-africain

S’il est difficile de dire exactement pourquoi la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), et en particulier l’Afrique du Sud, a pris la tâche de lutter contre le mouvement M23, il est clair que Pretoria est mécontente de l’influence croissante du Rwanda sur le territoire de la communauté régionale, y compris son ingérence.

Au Mozambique, l’Afrique du Sud a de vieux comptes qu’elle veut régler avec Kagame concernant ses assassinats ou tentatives d’assassinat de ses opposants politiques résidant sur son territoire. Il semble que Pretoria ait également été troublée par la tentative du Kenya de jouer un rôle de leader dans le processus de paix dans l’Est de la République démocratique du Congo, que Pretoria considérait comme sa propre prérogative.

En plus de ces raisons, il faut admettre que ce n’est un secret pour personne que le problème du triangle des communautés Tutsi au Rwanda, au Burundi et au Congo représente un conflit d’intérêts entre les trois pays, chacun d’eux adoptant une approche différente de l’autre.

A titre d’exemple, le Burundi a accusé les autorités rwandaises de soutenir le mouvement M23. On sait que les deux pays disposent de forces en République démocratique du Congo, mais à des fins différentes. Il est donc clair que le Burundi maintiendra sa présence militaire en RDC et redoublera d’efforts dans la province du Sud-Kivu.

De même, le gouvernement burundais pourrait renouveler sa répression contre ceux soupçonnés de soutenir l’opposition armée dans son pays, et l’incertitude et la fermeture des frontières pourraient entraver le commerce régional.

• Qui alimente les flammes du conflit ?

Un document publié par le Centre d’études stratégiques de l’Afrique indique que les rebelles de l’Est du Congo, soutenus par le Rwanda et l’Ouganda, contrôlent les chaînes d’approvisionnement stratégiques s’étendant des mines du Nord et du Sud-Kivu jusqu’aux deux pays, utilisant les revenus de la contrebande d’or, de diamants et de coltan pour acheter des armes, recruter des mineurs et des artisans, et soudoyer les agents des douanes et des frontières congolais.

En raison de ces complications, les accords de paix successifs n’ont pas pu résister et amener le pays à l’étape post-conflit.

En fait, ces règlements ont souvent ouvert la voie à de nouvelles divisions qui ont rapidement trouvé leur chemin vers le soutien des capitales concurrentes, alimentant les flammes du conflit dans une région qui n’a pas connu la paix depuis.

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