Africa-Press – Congo Kinshasa. L’arrivée aux États-Unis de la première cargaison de tungstène rwandais, provenant de la mine de Nyakabingu à quelques dizaines de kilomètres de la frontière congolaise, soulève de sérieux doutes sur la neutralité et la transparence de l’initiative américaine. Entre soutien historique au régime Kagame, accords commerciaux opaques et traque des populations congolaises, la question se pose: les États-Unis poursuivent-ils réellement la paix ou défendent-ils avant tout leurs intérêts stratégiques dans la région des Grands Lacs?
Le 28 août 2025, Kigali et Washington signaient en grande pompe un accord commercial qualifié d’« historique ». Moins de deux mois plus tard, le 30 septembre, l’ambassadeur américain au Rwanda, Eric Kneedler, se félicitait publiquement de l’arrivée aux États-Unis de la première cargaison officielle de tungstène estampillé « made in Rwanda ».
Cette exportation, fruit d’un partenariat entre la société rwandaise Trinity Metals et l’américaine Global Tungsten & Powders (GTP), serait issue de la mine de Nyakabingu, située à environ 70 kilomètres seulement de la frontière congolaise. Une localisation qui nourrit les soupçons et les critiques: comment croire à une transparence totale, alors que le Rwanda est accusé depuis des années de mélanger sa modeste production nationale avec des minerais extraits frauduleusement du sous-sol congolais, pour ensuite exporter le tout sous son propre label?
Risque de conflit d’intérêts et critiques au Congrès américain
C’est dans ce contexte que surgit une problématique centrale: la médiation américaine dans le processus de paix entre la RDC et le Rwanda peut-elle être crédible, alors même que Washington se félicite d’accords commerciaux aussi opaques que contestés?
Ce questionnement est renforcé par un débat récent au Congrès américain. En août 2025, une quarantaine de députés démocrates ont adressé une lettre au président Trump et au secrétaire d’État Marco Rubio, dénonçant l’absence de consultation du Congrès et le manque de transparence autour du pacte sur les minerais critiques négocié avec la RDC.
Ils ont exprimé de vives inquiétudes sur un possible conflit d’intérêts, rappelant qu’un associé politique du président serait impliqué dans des consortiums visant des gisements congolais. Plusieurs élus ont également critiqué publiquement le département d’État pour ses « discussions secrètes » autour des minerais de la RDC, qualifiant le processus de « trop opaque » pour une zone en conflit et soulignant les risques que cela représente pour la crédibilité de la diplomatie américaine.
Duplicité américaine: médiation et business mêlés
Le paradoxe saute donc aux yeux. Alors que Washington se présente comme médiateur du processus de paix entre la RDC et le Rwanda, il célèbre simultanément l’arrivée aux États-Unis d’une cargaison de tungstène estampillée « rwandais ». Une première historique, selon l’ambassadeur Eric Kneedler, mais qui illustre une duplicité préoccupante.
La logique aurait voulu qu’un médiateur impartial exige, avant tout accord, le gel des exportations de ressources provenant de la zone en conflit. Or, c’est l’inverse qui se produit: les États-Unis soutiennent des deals miniers (Trinity Metals – Global Tungsten) en plein processus de négociation. En mélangeant paix et affaires, Washington brouille les cartes et nourrit un sérieux déficit de confiance.
Et ce contraste est d’autant plus saisissant qu’au même moment, les USA soutiennent des entreprises américaines, come Kobol Metals, de s’en tenir encore à des mémorandums d’entente avec la RDC.
Soutien historique des USA à Kagame et au FPR
Ce déficit n’est pas anodin. Depuis les années 1990, les États-Unis n’ont jamais cessé de soutenir le Front Patriotique Rwandais (FPR) et Paul Kagame, y compris pendant sa formation militaire dans une académie américaine, contribuant ainsi au renversement du régime hutu et à l’installation de Kagame au pouvoir en 1994. Ce soutien s’est prolongé tout au long de son règne, en dépit des violations documentées des droits humains et du droit international. Parallèlement, la traque systématique des Hutus en exil et des populations soupçonnées de sympathie pour l’ancien régime d’Habyatimana a été menée sur le sol congolais, avec toutes les conséquences que l’on connaît: exploitation illicite des ressources, massacres, déplacements massifs, enrôlements forcés dans des milices, et instabilité durable dans l’Est de la RDC. Cette longue complicité américaine confère un caractère structurel au déficit de confiance autour de toute médiation menée par Washington dans la région.
Le contrôle des minerais congolais et les « chaînes d’approvisionnement transparentes »
Le récent accord commercial, qualifié d’« historique » par Kigali, renforce cette perception: derrière la rhétorique de « chaînes d’approvisionnement transparentes », se cache une captation des minerais congolais labellisés rwandais. Les preuves sont abondantes: témoignages, enquêtes et rapports établissent comment les 3T (tantale, étain, tungstène) quittent le Congo pour être rebaptisés « made in Rwanda » avant leur exportation.
Pendant ce temps, Goma et Bukavu continuent de saigner. Les enlèvements et enrôlements forcés par le M23 se poursuivent, tandis que des containers de tungstène congolais traversent discrètement les ports kenyans pour approvisionner l’industrie américaine. Washington, médiateur autoproclamé, n’interrompt pas ces flux ; au contraire, il les célèbre.
Quand la médiation américaine devient source de doute
Le processus de paix RDC-Rwanda se retrouve donc hypothéqué par cette confusion volontaire entre diplomatie et business. D’où une question centrale: les États-Unis recherchent-ils réellement la paix dans la région des Grands Lacs, ou instrumentalisent-ils ce discours pour sécuriser leurs propres intérêts stratégiques face à la Chine, au prix de l’intégrité congolaise?
En célébrant des exportations qui reposent sur une opacité criante, Washington démontre que sa médiation n’est ni neutre ni transparente. Pour les Congolais, la vigilance s’impose: sans rupture claire entre mission de paix et affairisme, la soi-disant facilitation américaine ressemble davantage à une entreprise de camouflage qu’à un véritable processus de résolution des conflits.
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